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dans des conditions nécessaires et nécessairement différentes, égale ment résignés, sont également contens de leur sort; et cette liberté véritablement civile, qui n'est que la sécurité que les hommes se donnent les uns aux autres, sous la garantie d'une croyance commune, que dans les nombreux rapports qu'ils ont ensemble, ils respecteront mutuellement les biens dont la lor, la loi humaine, leur recanoit la propriété, et ne peut leur garantir la possession. Quand les époux, quand les pères et les enfans, les maitres et les serviteurs, le pouvoir et les sujets, n'ont que des lois civiles ou criminelles pour se garantir réciproquement leurs droits et leurs devoirs, un peuple est fini; et avec toutes ces lais, qu'il faut multiplier à mesure qu'elles sont plus impuissantes et que la corruption s'étend, comme on ajoute toujours de nouveaux étais à un édifice qui tombe en ruines, l'homme est hvré à cette oppression de tous les jours et de tous les lieux, à cette oppression la plus cruelle de toutes, qui le peursuit dans toutes ses affections et tous ses intérêts, le blesse sur tous les points de son existence, l'atteint jusque dans le sein de sa famille, l'oppression des mauvaises mœurs et de la mauvaise foi, qui lui fait trouver de la tyrannie partout, et de protection nulle part.

» Sans doute on voit ce que la religion n'empêche pas; mais qui pourroit connoitre ce qu'elle empêche, partout où une habitude im mémoriale l'a infiltrée, si j'ose le dire, dans les mœurs et les usagés d'une nation devenue religieuse presqu'à son insu? La religion est comme la salubrité du climat, qui n'empêche pas maladies partienlières, mais qui prévient les maladies endémiques, ou en répare promptement les ravages; et, considérée dans la société sous un rapport plus vaste encore et plus philosophique, elle en est la raison dans ses dogmes, la morale dans ses préceptes, la politique dans ses conseils.

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» Il ne faut donc pas s'étonner si, au sortir d'une révolution qui, en comprimant, en étouffant la religion, avoit déchainé toutes les oppressions publiques et domestiques, et fait trouver à chacun, à sa porte, un dénonciateur, un spoliateur, ou un échafaud, et, dans sa propre maison, une épouse parjure, des enfans indociles, des domesti ques infidèles, des amis ingrats; il ne faut pas s'étonner que les François affamés de religion aient demandé à l'Etat de la rendre à la famille; qu'ils au rétablissement du lien conjugal, peuplé de leurs enfans les établissemens religieux d'éducation, accueilli avec enthousiasme l'apostolat religieux des missionnaires : ainsi l'histoire nous montre des peuples, opprimés par une foule de tyrans, appeler un maitre comme un libérateur; et quand une philosophie superbe, qui attache tant de prix et fait tant de sacrifices à la popularité même la plus abjecte, reproche à la religion, comme du fanatisme de l'ignorance, le zèle religieux d'une multitude peu éclairée, si l'on veut, dans les sciences profanes, mais si bien instruite sur ses intérêts, l'homme éclairé y voit une preuve de plus de la divinité de la religion; pouvoir su→ prême, et le plus étendu de la société, parce qu'il protège le plus de foiblesses: la religion doit être chère à tous ceux qui souffrent, et odieuse à tous ceux qui font souffrir.

» Les premières et les plus nécessaires autorités de la religion catho lique furent les premières en butte à la haine des beaux esprits, qui soulevèrent contre elle jusqu'à la plus vile populace. Les évêques furent massacrés, déportés, contraints à s'exiler, et l'épiscopat luimême fut mis aux plus rudes épreuves. La constance des martyrs dés sarmoit les persécuteurs idolâtres, et les convertissoit à la foi. Des persécuteurs chrétiens étoient sans repentir comme sans pitié.

» La haine philosophique avoit banni la religion; les craintes de la politique la rappelèrent. Le chef du dernier gouvernement fit, en 1801, un Concordat avec le chef de l'Eglise; la nécessité l'accepta, et il fut reçu comme un premier pas hors du chaos révolutionnaire où la religion avoit été plongée. Sans doute, beaucoup de gens en France, a cette époque, trouvoient qu'il y avoit beaucoup trop de cinquante évêques; mais le chef du gouvernement d'alors en auroit proposé cent qu'il en auroit été remercié; et, dès qu'il se montroit chrétien, tout le monde vouloit le paroître.

>> Le Roi, de retour dans ses Etats, fit, en 1817, d'autres arrangemens avec le saint Siége. Ils furent faits, d'une part, avec une autorité plus légitime; de l'autre, avec une liberté plus apparente; et cependant ils furent moins heureux que les premiers, et restèrent sans exécution. Quarante-sept siéges de l'ancienne France supprimés ne parurent pas un sacrifice suffisant à l'esprit du siècle, et six siéges de plus que ceux qu'avoit décrétés l'assemblée constituante furent regardés comme une profusion scandaleuse; peut-être aussi que quelques esprits, plus fins que les autres, trouvèrent dans ce dernier traité quelque chose d'attentatoire aux libertés de l'église gallicane, devenue, avec ses libertés et malgré ses libertés, un bureau du ministère et un chapitre du budget. En attendant, un vide immense dans le ministère ecclésiastique s'accroissoit tous les jours, et la religion restoit entre deux Concordats, sans organisation et sans ministres. Ce vide, le gouvernement le reconnoit lui-même, puisqu'il y cherche un des motifs au petit nombre de siéges qu'il se propose d'établir; ainsi, dans un temps, on a craint un trop grand nombre d'évéchés, aujour d'hui on déplore un petit nombre de prètres : on a voulu la cause, et on se plaint de l'effet!

» La politique n'est pas assez alarmée du manque absolu de ministres de la religion dans les campagnes, où un prêtre, même sans beaucoup de science, sans être profond théologien ou orateur éloquent, explique avec simplicité, aux simples habitans des champs, les vérités fondamentales de la religion et de la morale, et leur administre les secours spirituels, dont l'efficace ne dépend ni des talens de l'homme, ni même de ses vertus.

» L'absence absolue de la religion dans les campagnes y est une calamité, à laquelle nulle autre n'est comparable. Le monde a vu, en Asic, en Afrique, disparoitre entièrement des peuples chrétiens exterminés par les Huns ou les Vandales; mais il n'a pas encore vu un peuple, long-temps chrétien, sevré peu à peu, et à la fin privé touta-fait des leçons et des exemples du christianisme, survivre, arts seuls, à cette destruction morale. La civilisation, qui est la per

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fection des lois (bien différente de la politesse, qui est la perfection des arts), la civilisation est le christianisme appliqué à la législation des sociétés ; c'est la vie des nations; et, comme la vie, la civilisation commence et ne recommence pas. Elle périr it donc sans retour avec la religion; et la société, malgré les arts, retomberoit dans la barbarie, semblable à un pays inhabité qui se peuple d'animaux malfaisans, et ne produit que des ronces et des épines.

A peine cinquante siéges épiscopaux avoient été établis par 18 Concordat de 1801, que le besoin d'un plus grand nombre s'étoit fait sentir, et lorsque les vœux des peuples purent se faire entendre, les départemens, en grand nombre, demandèrent, par l'organe de leurs conseilsgénéraux, et plusieurs, à toutes leurs sessions, qu'il leur fut accordé un siége épiscopal; la plupart offroient d'y contribuer par des dons volontaires, quelques-uns d'en faire entièrement les frais. Le gouvernement du Roi avoit depuis long-temps reconnu la nécessité de cette augmentation. Il vous la déclaré aujourd'hui, et propose d'affecter à la dotation de douze siéges épiscopaux les sommes provenant des extinctions successives de la partie des pensions ecclésiastiques qui, lors du décès des pensionnaires, fait retour au trésor royal. L'autre partie de ces pensions accordées à des pensionnaires desservans, sur le traitement desquels elle opère une retenue équivalente, est définitivement acquise au clergé, et, au décès des titulaires, retourne en traitement intégral à leurs successeurs non pensionnés.

» Il y auroit eu plus de dignité, de générosité, d'humanité même, pour une nation teile que la France, à ne pas faire dépendre l'existence de nouveaux évêques de la mort des prêtres qui ont si longtemps et si fidèlement exercé le ministère ecclésiastique. L'art si habile de la finance n'auroit-il pas pu trouver le moyen de dissimuler au moins dans les termes cette triste économie ? Ce sera du moins une consolation pour eux de penser qu'après avoir consacré leur vie au service de la religion, leur mort encore lui sera utile. Le sang des premiers martyrs fut la semence de nouveaux chrétiens; la mort des derniers confesseurs de la foi sera la semence de nouveaux ministres des autels.

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» L'article 1er, du projet de loi n'a donné lieu à aucune observation. C'est une simple déclaration de faits.

» L'article 2 est divisé en trois paragraphes, auxquels il a été fait quelques changemens sur le premier, et quelques observations sur les autres. Les motifs en seront exposés avec autant de franchise qu'il y a eu de droiture dans les intentions.

» Le paragraphe premier de l'article 2 du projet de loi est ainsi

conçu:

« Cette augmentation de crédit sera successivement employée, 1o. à » l'établissement et à la dotation de douze siéges épiscopaux dans les » villes où le Roi le jugera nécessaire. La circonscription de leurs dio> cèses sera concertée avec le saint Siége, de manière à ce qu'il n'y » ait pas plus d'un siège par département ».

» Dans la discussion de ce premier paragraphe, votre commission s'est proposée trois objets. Le premier, d'expliquer plus clairement

l'intention présumée du gouvernement de ne pas borner à douze siéges épiscopaux ceux en plus grand nombre dont la France a besoin, et que demandent les départemens. Il ne dépend pas d'un gouvernement qui veut être paternel; il appartient encore moins aux députés de tous les départemens de déshériter ceux qui les ont envoyés de l'espoir qu'ils ont conçu, de contrarier le vœu qu'ils ont formé. La demande des départemens est légitime en soi, elle est faite avec connoissance de cause, avec persévérance; elle sera donc toujours appuyée par les députés, et tôt ou tard accueillie par le gouvernement, et j'ose dire qu'il est impossible, qu'elle ne le soit pas. Un gouvernement éclairé ne peut pas ne pas ceder enfin à des demandes raisonnables, ni un gouvernement populaire repousser opiniȧtrement le vœu des peuples; et les administrations départementales et municipales, devenues, il faut l'espérer, plus indépendantes, mettront aussi plus de poids dans leurs demandes.

» Le second objet que s'est proposé votre commission est de donner au gouvernement du Roi, puisqu'il croit en avoir besoin, l'autorisation nécessaire pour établir à l'avenir le nombre de siéges épiscopaux que demandent les nécessités de l'Eglise et de l'Etat, sans recourir de nouveau aux chambres, et remettre ainsi sans cesse la religion en discussion. C'est là, nous osons l'affirmer, le vœu de tous les gens de bien et de tous les hommes éclairés, c'est l'intérêt de la religion et de la politique. Mander la religion à la barre de l'assemblée pour la doter de la dépouille de ses ministres, et peut-être pour lui reprocher ce triste bienfait, c'est déjà lui faire acheter ce qu'on lui donne, et, si, elle doit encore comparoître à notre tribunal pour tendre la main et demander une provisionnelle, que ce soit au moins pour la dernière. fois.....

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Quant à la part que prennent les divers pouvoirs de l'Etat ou de l'Eglise à l'établissement d'un siège épiscopal, rien, j'ose, le dire, de plus simple pour ceux qui se contentent de notions claires et positives. Le Roi, pouvoir exécutif suprême de l'Etat, propose le territoire, et présente l'évêque; le saint Père, chef de l'Eglise, agrée le territoire, l'érige en diocèse, institue l'évêque; les chambres, pouvoir pécuniaire, dotent l'évêquè et l'évêché, et ainsi, le Roi, le souverain Pontife, les chambres concourent tous à établir le siége épiscopal, mais chacun avec son pouvoir spécial, et dans ses. différentes attributions; aller au delà, et vouloir faire concourir les chambres comme pouvoir législatif, c'est se jeter dans des arguties, sur lesquelles l'on peut éternellement disputer, et même sans s'entendre, et un bon esprit ne verra jamais une loi, jamais la nécessité de mettre en mouvement toute la machine législative, dans une disposition purement locale d'administration civile et religieuse, qui place un village dans tel diocèse plutôt que dans tel autre.

» Enfin, le troisième objet que s'est proposé la commission dans la discussion de l'article 2, et l'objet le plus sacré de ses devoirs comme des nôtres, a été d'éviter que l'établissement d'autres évéchés fut, pour les consciences timorées, une nouvelle occasion de troubles et d'inquiétudes. C'est peut-être ce qui arriveroit si la loi que nous

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allons rendre rappeloit, dans les termes, des époques et des lois sur le clergé, qu'il faut oublier, et autorisait à supposer que nous, assemblée laïque de sujets et de fidèles, voulons assigner des limites au pouvoir du Roi et à celui du saint Siége, et borner l'un ou l'autre par des dispositions directes et positives, lorsque nous pouvons en limiter l'exercice d'une manière indirecte, et toute aussi efficace par le droit que nous avons de refuser ou d'accorder les fonds nécessaires à l'exécution des actes concertés entre eux.

» Votre commission a donc voulu éviter de confondre ensemble les diocèses et les départemens, et autant par un motif politique que par un motif religieux. Le projet de réduire le nombre des départe mens a souvent occupé le gouvernement, et il ne convient ni d'alarmer la religion sur la réduction possible des diocèses soumis à la eirconscription des départemens, ni de gêner la faculté que doit conserver le gouvernement de réduire les départemens, en mêlant sans nécessité leur circonscription à la circonscription des diocèses. Lá crainte que la faveur ou l'importunité n'obtiennent de l'autorité l'établissement de plus de siéges épiscopaux que n'en demandent les besins de la France, est tout-à-fait chimérique: pour favoriser un particulier, on lui donne un évêché, mais on n'établit pas un siége épis copal, pas plus qu'on ne crée une armée pour faire un officier général, Il faut pour cela trop de choses accessoires, et un concert entre deux puissances indépendantes l'une de l'autre, et qui sont entre elles en continuelle observation. Depuis que l'Etat tut entier a été réuni sous la domination directe de nos rois, ils ont été fort avares de ces créations, multipliées auparavant jusqu'à l'excès par les grands fcudataires dans leurs possessions, et n'en ont pas faites, même dans leurs résidences royales ou à leur voisinage. Louis XIV, dans tout son règne, n'a, je crois, établi que l'évêché de Blois (1), La ville de Moulins, où un siége épiscopal étoit reconnu nécessaire, l'a sollicité pendant long-temps, et son érection n'étoit pas consommée lorsque la révolution a commencé. On doit même observer que la cour étoit si peu disposée à faire de nouvelles créations d'évêchés, qu'elle laisscit plusieurs parties du territoire dans des provinces nouvellement réunies à la France, soumises à la juridiction d'évêchés situés en pays étranger, et quelquefois ennemi.

» La clause qu'il n'y aura pas plus d'un siége par département, a paru à votre commission difficile à justifier, au moins par des considérations d'intérêt général.

» Les réformés luthériens ou calvinistes ont en France cent treize consistoires pour huit cent mille ames; et dans le systême de leur communion, les consistoires ont les pouvoirs épiscopaux, c'est-à-dire, qu'ils ont autorité, inspection, surveillance sur les simples pasteurs et les fidèles; et, s'il en étoit besoin, je justific rois cette assertion. Les israélites ont sept synagogues consistoriales pour cinquante mille

(1) L'évêché d'Alais fut aussi établi sous ce règné, en 1694, et trois ans avant l'évêché de Blois.

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