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assez que je n'ai pas eu la prétention d'écrire une histoire.

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Acteur, assez important, des immenses événements qu'a vus naître l'année 1830, j'ai éprouvé le désir de conserver la trace de ce que j'avais fait. Ce désir est devenu un besoin impérieux pour moi, lorsque j'ai vu avec quelle insigne adresse, ou plutôt avec quelle impudente perfidie on falsifiait ce qui s'était passé sous nos yeux. Notre nature est oublieuse, et nous ne prenons guère la peine de réclamer contre les mensonges intéressés dont nous sommes journellement témoins. Il en résulte que ces mensonges finissent par s'établir en quelque sorte comme des vérités, et que les faits les plus évidents sont ainsi complétement dénaturés. C'est contre ces mensonges que j'ai cru devoir protester en disant sans détour, sans ménagement, sans flatterie, ce que je sais être la vérité.

Avec de pareilles dispositions et quelque goût pour le repos, on doit concevoir que je n'ai pas eu l'intention de donner une publicité, surtout immédiate, à ce que j'écrivais. Satisfait d'avoir consigné ce que j'ai vu, de l'avoir exprimé avec franchise et indépendance, j'attendais patiem

ment, pour qu'il en fût fait un usage quelconque, le calme des passions, qui souvent n'est autre que celui de la mort; mais le pouvoir est envahi par des hommes qui, dès l'origine même de notre révolution, ont tout fait pour qu'elle avortât; mais ces hommes poussent de tous leurs efforts le char de l'état dans une voie rétrograde; mais ils osent hypocritement soutenir qu'ils exécutent ce qu'a voulu la révolution de 1830; il devient donc indispensable de les démasquer, et quelque timide que soit ma voix, elle doit recueillir toutes ses forces pour proclamer que ce sont des ennemis de la liberté qui nous gouvernent en ce moment. Voilà la cause vraie, sincère, unique, de la publicité anticipée donnée à ce que j'ai écrit sur la révolution de 1830; car, je le déclare, je dédaigne de répondre aux écrits calomnieux publiés sur cette époque, de quelque source qu'ils émanent. On me dit que je vais susciter contre moi de puissantes haines; mais, le 6 août 1830, j'en assumais sur moi de puissantes aussi. Je n'ai pas hésité alors, parce qu'il me semblait que je remplissais un devoir. Je n'hésite pas davantage, car aujourd'hui encore j'ai la conscience de remplir un devoir.

Le souvenir des faits passés se perd si vite chez nous, que quelques personnes trouveront sans doute que je joue dans mon récit un rôle beaucoup trop considérable. Je les prie de ne pas perdre de vue que ce sont mes souvenirs que j'écris et non pas l'histoire des événements. Si je m'étais cru le talent nécessaire pour en tracer le tableau, j'aurais placé chaque personnage dans son plan, et je me serais trouvé nécessairement fort effacé. Je me suis borné à esquisser un portrait dans lequel tout devient accessoire relativement à la figure principale. C'est là surtout en quoi consiste la différence entre les mémoires et l'histoire.

Quelle que soit l'exactitude à laquelle je me suis astreint, il n'est pas impossible que plusieurs des personnages que je mets en scène cherchent à la contester. Pour rendre ce genre de contestation au moins bien difficile, j'ai fait pour ainsi dire assister des témoins à tous les faits importants que j'ai racontés, et surtout à ceux qui me sont personnels. Presque tous ces témoins existent encore, et on pourra les consulter sur ma véracité. Loin de le redouter, j'appelle leur contrôle. Souvent aussi j'aurais pu produire des preuves bien

plus convaincantes que je ne l'ai fait de ce que j'avançais, mais elles étaient de nature à être prises pour des personnalités et elles se seraient écartées de la ligne de modération que je me suis tracée, et dont je désire vivement qu'on ne me force jamais à sortir. Je crois pouvoir affirmer que ceux même qui se loueront le moins de mes paroles, me doivent de la reconnaissance pour la réserve avec laquelle j'ai su m'exprimer, et que j'ai eu quelque mérite à ne pas être plus incisif que je ne l'ai été.

Une circonstance assez singulière pour devoir être rapportée, vient à l'appui de ce que j'ai dit, et fera connaître le degré de confiance que ma relation peut mériter. Au commencement de 1831, un jeune médecin de beaucoup d'esprit, pour qui j'ai de l'estime et de l'amitié, et qui était alors membre du comité de la Société Aide-toi, le Ciel t'aidera, vint me prier de lui permettre d'extraire de ma relation des journées de juillet, des notes sur la conduite des députés qui y ont joué un rôle. Ces notes devaient servir à la publication d'une Biographie des Députés de la Chambre de 1830, destinée à éclairer les électeurs sur les droits de leurs représentants à une réélection. J'ac

quiesçai à cette demande, et permis à mon jeune ami de venir faire, chez moi, les extraits qu'il désirait. Il les fit sans que je vérifiasse son travail, et mon étonnement fut grand, en recevant, quelques mois après, avec un exemplaire de cette Biographie, publiée sous le titre de Notes et Jugements de la Chambre de 1830, la lettre suivante :

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« Je vous envoie un exemplaire de la Biographie publiée par la Société Aide-toi, le Ciel t'aidera; il est probable que vous y trouverez plus d'un fait inexact et plus d'une opinion erronée. Il ne pouvait guère en être autrement. Un ouvrage fort long, fait dans un laps de temps très-court, est rarement irréprochable. A la prochaine session, car chaque année une publication semblable viendra éclairer le jugement des électeurs; à la prochaine session, dis-je, ces défauts auront été réparés. Au reste, comme il n'y a pas une rectification invoquée qui ne soit sur-le-champ accueillie et publiée, nous avons le droit d'espérer que si la critique

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