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PARIS,

IMPRIMERIE DE DUBUISSON ET C,

Rue Coq Héron, 5.

CATHOLIQUE

REVUE

DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES ET DES FAITS RELIGIEUX.

Omnia instaurare in Christo. Eph., I, 10.

SENTIMENT DE L'ANCIENNE ÉGLISE DE FRANCE

SUR LES PREROGATIVES DU PAPE PROUVÉ PAR L'ÉCRITURE
ET LA TRADITION.

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Saint Cyprien a cru que saint Pierre avait été le premier évêque de Rome, ou du moins qu'il avait ordonné Clément évêque de Rome (1), et par conséquent qu'il avait contribué

(1) Il n'est pas vraisemblable qu'il y eût autant de confusion, d'obscurité et de contradiction, qu'on en trouve dans les auteurs qui ont parlé de l'origine de l'Eglise de Rome et de ses premiers évêques, si elle n'avait eu soin d'embrouiller ce qui regarde les évêques qui ont précédé saint Clément. Du temps de Tertullien, elle se vantait sans doute d'avoir eu pour premier évêque ce saint, qui rapporte dans deux endroits, qu'il avait été ordonné par saint Pierre, puisque Tertullien, pour prouver que l'Eglise de Smyrne et celle de Rome étaient apostoliques, montre par le témoignage de ces deux Eglises, que leurs premiers évêques avaient été ordonnés l'un par saint Jean, l'autre par saint Pierre; cependant le même Tertullien met nettement, ainsi que saint Irénée, saint Lin pour premier évêque de Rome, et saint Clet pour second. Donc, l'Eglise de Rome cachait sa véritable origine du temps de Tertullien, puisque, comme je l'ai dit en examinant la doctrine de cet auteur, l'Eglise de

à la formation de cette Eglise avec saint Paul, qui avait ordonné saint Lin, son premier évêque; que saint Paul en était le premier et le principal fondateur, comme il l'avait appris de saint Clément ou de l'Eglise romaine, de saint Irénée, et de Tertullien son maître. Or, il savait que l'unité sacerdotale a commencé dans saint Pierre; il a donc dû appeler l'Eglise de Rome le lieu de Pierre, la chaire de Pierre, la source de l'unité sacerdotale à cause de Pierre, l'un de ses fondateurs.

Mais comme cette Eglise était la plus nombreuse, étant l'Eglise de la capitale de l'empire, séjour de l'empereur et du sénat, et peut-être aussi la plus savante et la plus ferme dans la foi, à cause des secours continuels qu'elle recevait des fidèles qui se rendaient à Rome de toutes les parties de l'empire pour leurs affaires domestiques, et qui lui portaient la foi de toutes les Eglises respectives, comme le dit saint Irénée, il a dû conséquemment l'appeler l'Eglise principale; peut-être a-t-il eu en vue saint Pierre, un de ses fondateurs. Mais nous avons vu qu'il n'en conclut pas lui-même que Rome ait plus d'autorité que Carthage ou toute autre Eglise. Plane quoniam pro magnitudine sua debeat Carthaginem Roma præcedere. (Lettre 44.)

Voilà le compliment du saint docteur expliqué et justifié; il ne me reste plus qu'à justifier sa logique. Dans les sentiments que je lui donne, il se regardait comme successeur de saint Pierre aussi bien que le pape Corneille, puisqu'il croyait que ces paroles de Jésus-Christ à saint Pierre « Tu es Pierre, et sur, etc.; paissez mes brebis, etc.,» s'adressaient à tous les apôtres, et conséquemment à tous les évêques : donc il a dû traiter de gens perdus et désespérés des évêques qui déclinaient son jugement et celui de ses collègues, leurs

Rome, au lieu de se vanter d'avoir eu pour premier évêque Clément ordonné par saint Pierre, se serait vantée d'avoir eu saint Lin ordonné par le même saint Pierre; mais comme elle savait bien, par le témoignage de saint Clément, que sairt in avait été ordonné par saint Paul, qu n'était que le dernier des apôtres, elle l'a cachée adroitement en ne parlant que de saint Clément.

juges naturels, pour recourir à un juge étranger qui n'avait pas plus d'autorité que lui et ses collègues, d'autant plus que les conciles précédents avaient établi cette discipline.

Donc, il a eu raison de traiter Puppien et le pape Etienne de tyrans et d'évêques des évêques, puisqu'ils manquaient à ce qu'ils devaient à leur égal.

Donc, il a dû appeler le pape Etienne son frère et non pas père; donc, il a dû dire qu'aucun évêque n'avait droit de juger un autre évêque; donc, il a dû avertir le pape Corneille de ne pas recevoir les plaintes des évêques qui ont été condamnés dans un concile quelconque, et trouver mauvais qu'il les écoutât ou qu'il les admît à sa communion.

On m'objectera peut-être que le recours à Rome, si fréquent alors de ́la part des évêques qui se croyaient lésés dans les conciles de leurs provinces respectives, prouve invinciblement qu'on reconnaissait généralement, dans toute l'Eglise, la supériorité de l'Eglise de Rome, sa primauté juridictionnelle.

Je réponds qu'il y a beaucoup d'apparence que c'était effectivement la prétention de l'Eglise de Rome qui commençait dès lors à lever sa tête entre ses sœurs, et qui, pour cette raison, cachait ou dissimulait l'origine qu'elle tirait de saint Paul, pour ne faire mention que de celle qu'elle tirait postérieurement de saint Pierre; mais cela ne dit pas qu'elle eût véritablement l'autorité qu'elle s'attribuait il faut voir si es évêques ou les docteurs que l'Eglise met au nombre des Pères ont reconnu cette autorité. Or, nous avons déjà vu quantité d'exemples et de pratiques dans saint Cyprien, qui prouvent qu'ils ne la reconnaissaient pas. En voici un autre : Basilide et Martial, évêques en Espagne,qui étaient libellatiques (1) et convaincus de crimes exécrables, ayant été déposés, Basilide, dont Sabin prit la place par l'élection du peuple et du clergé, eut recours au pape Etienne, qui le rétablit.

(1) On appelait ainsi ceux qui avaient livre les saintes Ecritures aux

ersecuteurs.

Là dessus les Espagnols écrivirent à saint Cyprien pour savoir s'ils devaient recevoir Basilide rétabli par Etienne.. Or, le saint docteur leur répondit qu'ils ne devaient point avoir égard au rétablissement qu'Etienne avait fait..

Après tout ce que j'ai dit jusqu'ici, il est aisé d'éclaircir un texte dont les ultramontains et les modernes gallicans abusent également. Il est tiré de la lettre 71.

«Pierre, que le Seigneur appelle le premier, dit le saint docteur, et sur qui il bâtit son Eglise, dans la dispute vive et animée qu'il eut avec saint Paul au sujet de la Circoncision, ne se prévalut point avec insolence et fierté de sa primauté pour prétendre que ceux qui avaient été appelés après lui dussent obéir. »

Il est évident qu'il n'y a dans ce texte que le terme de primauté que les ultramontains puissent faire valoir en faveur de leur opinion; mais s'ils étaient équitables, il leur serait aisé de voir que le saint docteur n'attribue ici à saint Pierre qu'une primauté de temps et de rang, comme il l'a fait au commencement de son livre De l'unité, puisque le sens en est déterminé par l'opposition qu'il fait de cette primauté à la postériorité de saint Paul; car saint Paul n'est dit ici dernier que parce qu'il a été appelé à l'apostolat après tous les apôtres. Donc, saint Pierre n'est dit premier que parce qu'il a été non pas appelé parmi les disciples, mais choisi pour apôtre.

Mais, dira-t-on, si saint Cyprien n'avait voulu parler que d'une primauté de temps, aurait-il pu faire valoir la modestie que montre saint Pierre à l'égard de saint Paul dans la dispute dont il parle? N'est-il pas visible que si saint Pierre et saint Paul étaient égaux, saint Pierre étant en faute n'avait pas droit, de se choquer de la liberté de saint Paul? Je réponds: 1° que la bienséance et l'honnêteté exigent que les plus jeunes respectent leurs anciens; la bienséance exigeait que saint Paul eût des égards pour lui; il n'y a que les circonstances où se trouvait saint Paul vis-à-vis de saint Pierre qui puissent excuser sa vivacité, si toutefois elle alla trop loin, ce que je ne dois pas examiner.

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