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Les cahiers sont déposés, conformément à la loi; toute reproduction d'un article de doctrine, dissertation, observations, ou question proposée, sera considérée comme contrefaçon.

FEB 17 1911

Impr. de COSSE ET J. DUMAINE, rue Christine, 8.

DES AVOUÉS.

ARTICLE 994.

Revue annuelle de jurisprudence et de doc

trine.

Le rédacteur d'un recueil d'arrêts qui ne veut pas se borner à enregistrer des décisions plus ou moins bien rendues éprouve le besoin de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur la jurisprudence, aux premières lignes d'une année nouvelle. Tel était le but des revues annuelles qui, commencées en 1832, se sont continuées jusqu'à ce jour dans le Journal des Avoués. J'ai pensé que ces revues acquerraient un plus haut degré d'utilité en y comprenant ce qui, les années précédentes, faisait l'objet des Bulletins de Jurisprudence. Les décisions abondent; celles qui paraissent les moins importantes sont néanmoins utiles à connaître. Beaucoup d'entre elles ne renferment dans leurs motifs que l'énonciation de la question; une analyse substantielle suffit pour le lecteur intelligent. Le rapprochement de plusieurs décisions permet d'employer moins d'espace, facilite les recherches et donne le moyen de saisir plus facilement l'ensemble de la jurisprudence. On aperçoit le plan nouveau que je me suis tracé.

La revue de 1850 occuperait plusieurs cahiers, si je la bliais immédiatement en totalité. Je la distribuerai en six articles qui paraîtront de mois en mois, ce qui me facilitera l'insertion successive des précieux documents que veulent bien me communiquer mes abonnés (1).

Avant de commencer cette revue, dans laquelle je suivrai, comme toujours, l'ordre alphabétique, il me paraît convenable

(1) Un examen de quelques heures du registre des décisions de leur tribuna de 1850, leur permet de m'envoyer un bulletin dont j'ai souvent démontré tous les avantages.

de soumettre à mes lecteurs quelques observations générales, en le moins de mots possible, car l'espace me manque...

I.-Une commission a été créée le 25 août 1849 (J.Av., cahier de nov. 1849), pour s'occuper des modifications à apporter au Code de procédure civile. Je ne sache pas que les hommes éminents dont elle se composait aient élaboré un projet nouveau, aient voulu modifier une oeuvre dont le temps et l'expérience avaient démontré la supériorité (1).

M. le garde des sceaux persiste néanmoins dans cette pensée de révision, car il finit ainsi son rapport sur la statistique de 1817: « Il importe que des règles mieux coordonnées et plus en harmonie avec l'esprit progressif de notre législation générale lèvent des obstacles, fassent cesser des retards qui énervent la justice et paralysent les efforts de la magistrature. La commission chargée de préparer ce travail, pénétrée de l'utilité de la mission qui lui a été confiée, va se mettre à l'œuvre, et tout porte à espérer que, sans s'arrêter à des innovations téméraires et par cela même dangereuses, elle proposera un ensemble de dispositions conformes à l'attente du pays et qui pourront être soumises aux délibérations de l'Assemblée naz tionale. >>

Mais on s'occupe sérieusement de réformes hypothécaires, de révisions du titre de l'ordre, et d'un nouveau remaniement du titre des ventes judiciaires. Pour cette dernière partie, si longuement préparée, de 1829 à 1841, si longuement discutée au sein des deux chambres, et sur laquelle la doctrine et la juris prudence éprouvent chaque jour tant de difficultés pour assu rer la marche de la pratique, cette nouvelle oscillation est fa cheuse, surtout pour les plaideurs. On paraît vouloir revenir à la clause de la voie parée; ce serait encore sacrifier le débiteur à la tyrannie du créancier; ce serait contrarier les idées mêmes qui tendent à protéger la propriété foncière. Je ne puis croire que l'expérience de longues années soit si promptement méconnue. On parle beaucoup des frais d'une saisie immobilière, et il n'y a pas un débiteur qui ne préférât consigner d'avance une somme équivalente à ces frais, que de subir la condition de voir passer sa propriété dans les mains de son créancier,

Quant à la réforme hypothécaire, elle a été demandée, et cependant il est à craindre que des innovations trop hardies ne

(1) Les tribunaux de commerce dont on vante si souvent la procédure rapide et économique ne de la nature de jugent immédiatement que les défauts et les affaires commerciales qui sont portées devant les juges de paix. Mais dans toute autre circonstance, ce qui arrive très-fréquemment, ils usent du moyen de s'éclairer que leur ouvre l'art. 429, C.P C. Ce renvoi devant arbitres (mot impropre, on devrait dire commissaires) est une véritable instruction par écrit, souvent plus longue et plus coûteuse que notre procédure ordinaire devant les tribunaux civils.

produisent des résultats fâcheux. J'ai signalé, notamment, la disposition qui supprime l'hypothèque judiciaire.

Monsieur le président de la République, dans son Message du 12 nov. 1850, a annoncé, en ces termes, l'intention de modifier le titre de l'ordre :

« Mais la loi sur les hypothèques ne suffirait pas à l'établisşement du crédit foncier; elle donne de la solidité au gage territorial; mais elle accélère fort peu la liquidation et ne fait pas cesser les plaintes unanimes qui accusent de lenteur le règlement des créances hypothécaires.

L'administration de la justice, pour compléter son œuvre, a préparé un nouveau projet de loi sur la distribution par voie d'ordre, du prix des immeubles, en conciliant, autant qu'elle a pu le faire, la promptitude avec la sécurité. »

Il est fâcheux qu'une loi d'une aussi haute importance nait pas été préalablement communiquée à tous les corps judiciaires, aux conseils de discipline, aux communautés d'officiers ministé riels et aux facultés de droit. Il est bon, avant de modifier les lois de procédure, de s'entourer de toutes les lumières de la théorie et de la pratique. Peut-être, parmi ceux qui ont élaboré cette loi, qui la discuteront et la voteront, ne s'en trouvera-t-il pas un seul qui ait ou préparé, ou dressé une procédure d'ordre...

II. Une observation qui a son importance et qui contrarie des idées de réforme m'a conduit à penser que plus les lois facilitent aux citoyens les moyens de demander justice, plus les tribunaux sont rapprochés des plaideurs, plus la forme de procéder leur offre de garanties, plus aussi la propriété mobilière et immobilière puise, dans une organisation ainsi régularisée, de force et de développement.

Pourquoi ne permet-on pas aux parties de se défendre ellesmêmes devant les tribunaux et les Cours? Pourquoi leur impose-t-on la nécessité de se faire assister d'un avoué? Pourquoi les place-t-on sans cesse dans une espèce d'état de minorité? Dans une loi de quelques lignes les novateurs peuvent revenir au bienheureux temps de l'an 2 et supprimer les avoués; pourquoi, loin de tendre à une semblable aberration, les tribunaux devant lesquels chacun peut se présenter seul, les tribunaux de commerce, ont-ils toujours cherché à admettre près d'eux des corps de quasi officiers ministériels? Tout cela vient-il du seul désir de conserver des positions acquises, ou d'en créer de nouvelles? Ce serait une grave erreur de le croire. C'est comme garantie pour le plaideur, et pour débarrasser le temple de la justice de ces défenseurs marrons qui, en l'an 2, considéraient, comme l'a dit si énergiquement M. Boncenne, une cause

comme une proie, un plaideur comme une victime à sacrifier. Que si les formes, quelquefois lentes, mais toujours protectrices, de la procédure, sont utiles à celui qui croit son droit violé, que si les officiers ministériels sont des intermédiaires indispensables entre le justiciable et le magistrat, nos modernes législateurs doivent considérer, d'une façon moins sévère, les hommes qui ont l'honneur de préparer les décisions de la justice. Il est de la dignité de la magistrature que les gardiens du temple soient dans une condition honorable. La capacité, la moralité, l'estime publique, ne demeureront l'apanage des officiers ministériels qu'autant que l'exercice de leurs fonctions leur offrira une honorable position.

Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit si souvent, et notamment en 1831, dans l'introduction de mon Commentaire du Tarif. Ma pensée est d'ailleurs assez transparente. Si le législateur croit avoir le droit d'enserrer les officiers ministériels dans la fixation d'une taxe, qui leur sera imposée, il faut que cette taxe soit une convenable rémunération des études qu'on a exigées, des soins que nécessite chaque affaire. Vouloir qu'un avoué, pour un abonnement de 25 à 30 fr., porte à une affaire la vigilance, l'attention que mérite toute discussion judiciaire, c'est méconnaître les besoins réels, les exigences des temps; il y a plus, c'est compromettre les intérêts des parties.

III.-Monsieur le garde des sceaux a présenté la statistique de la justice civile de 1847 (1) et 18'8 (2). Ces travaux intéressants, comme toujours, sous le point de vue économique, et qui fournissent à l'histoire du pouvoir judiciaire de si précieux matériaux, ne doivent obtenir ici qu'une simple mention. Néanmoins il me paraît utile de constater que le nombre des procès suit le courant des affaires publiques, dans un sens opposé à celui qu'on trouve tout naturel. On croit généralement que, plus est grande la misère publique, plus doivent naître les contestations qu'engendre la misère privée qui en est la conséquence immédiate. C'est une erreur. Au contraire, le nombre des procès est comme le cours de la rente publique; il révèle l'aisance du propriétaire, la prospérité du commerce, la facilité des relations. Dès qu'on n'est plus réduit au strict nécessaire, dès qu'on n'a plus d'inquiétude sur l'avenir de sa famille, dès qu'on peut espérer une amélioration progressive, le premier besoin est d'obtenir justice, de défendre ses droits méconnus; mais quand l'existence de la famille elle-même est compromise, quand les bases de la propriété sont contestées, quand l'avenir n'a plus qu'un horizon précaire, à quoi bon plaider? Avant

(1) Gazette des Tribunaux des 4 et 9 octobre 1850, no* 7252 et 7256. (2) Moniteur du 10 novembre 1850, no 314.

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