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rendu à la même destination, serait de 3 fr. 50, et celui du sel anglais de 3 fr. 63; de telle sorte qu'il y avait une différence de 2 fr. 08 c. au profit du sel portugais, et de 1 fr. 95 c. au profit du sel anglais; la commission fut ainsi conduite à proposer un droit de 2 fr. et de 2 fr. 50, suivant le pavillon; ce droit de 2 fr., s'élevant à 2 fr. 20 avec le décime, laissait à nos produits un avantage de 25 c. sur le sel anglais et de 12 c. sur le sel de Portugal.

Le tarif de la commission fut vivement attaqué et, malgré l'appui que lui donna M. le ministre des Finances, le chiffre proposé fut rejeté au scrutin de division par 385 votans contre 344. C'est qu'il était difficile, en effet, de s'expliquer le décret proposé, si l'on se rappelait que le principal argument des partisans de la réduction du sel avait été celui-ci : La réforme ne coûtera rien au trésor; l'augmentation de la consommation sera considérable, et le fisc retrouvera sur la quantité ce qu'il perdra sur la quotité de perceptions. Mais si la consommation devait augmenter, il fallait aussi dès lors permettre l'entrée des marchés français aux sels étrangers. Sans cela, il était évident que les producteurs français élèveraient leur prix de vente, et que le consommateur ne profiterait pas de la réduction dont le Trésor public paierait tous les frais. Tels furent les arguments de MM. Dezeimeris et Frédéric Bastiat. Ce que l'on proposait aujourd'hui, selon eux, c'était, au lieu de la prohibition, un droit prohibitif. D'où il suivait qu'en votant la réduction des deux tiers sur l'impôt du sel, l'Assemblée avait travaillé bien moins dans l'intérêt des consommateurs que dans celui des propriétaires de marais salants.

On avait, il est vrai, l'air de croire que le droit de 2 fr., proposé par le décret, permettrait l'entrée des sels étrangers et concilierait tous les droits engagés dans le débat. Mais sur quoi se fondait cette opinion? Il résultait, au contraire, des documents et des chiffres que le rapport avait réunis à l'appui de cette thèse, que ce n'était pas à 2 fr., mais à 4 fr. ou à 5 fr. qu'il faudrait fixer le droit pour établir une transaction équitable entre les sels français de l'Ouest et ceux de Liverpool ou du Portugal.

Le droit de 2 fr. une fois repoussé par la Chambre, M. Passy insista pour qu'on ne compromit pas, faute d'une protection suf

fisante, l'existence d'une industrie qui, selon M. le ministre, occupait plus de 100,000 ouvriers, et qui procurait un transport de plus de 100,000 tonneaux à notre marine côtière. Le ministre n'établit par aucuns documents officiels la vérité de ces chiffres évidemment exagérés.

Après lui, M. Dufaure s'attacha à montrer les conséquences funestes qui résulteraient de l'abandon des marais salants, dont les exhalaisons pestilentielles porteraient la mort dans le voisinage et décimeraient toute la population du littoral de l'Ouest.

Ces arguments, plus spécieux que solides, parurent l'emporter sur la majorité qui, faute d'études suffisantes sur la question, semblait surtout préoccupée de la crainte de se déjuger. L'Assemblée adopta un amendement de M. Sautayra, qui fixait le droit d'importation dans les ports de la Manche et de l'Océan à 1 fr. 75 sous pavillon français, et 2 fr. 25 sous pavillon étranger. C'était une diminution de 25 centimes sur le droit proposé par la commission (11 janvier).

Sur la proposition de M. Fould, appuyée par M. Demesmay, l'Assemblée, reconnaissant implicitement son ignorance de la question, décida qu'il serait fait, en 1849, une enquête parlementaire sur la production et le commerce du sel en France. Ce serait peut-être un correctif du vote imprudent qui avait prononcé la réduction; cette résolution signifiait que la question restait encore à l'étude, et que si la réduction ne tenait pas ce qu'elle avait promis, l'Assemblée prochaine pourrait corriger l'erreur de sa devancière (13 janvier).

La réduction des deux tiers de l'impôt sur le sel avait naturellement ramené l'attention vers les projets d'impôts nouveaux soumis à l'Assemblée nationale; malheureusement ces nouveaux impôts seraient loin de pouvoir combler le déficit considérable de l'année qui commençait; ils soulevaient d'ailleurs, soit en principe, soit relativement à l'application, des difficultés non encore résolues.

Parmi ces impôts nouveaux, celui dont on espérait tirer le produit le plus élevé devait atteindre le revenu mobilier; l'ancien ministre des finances, estimant l'ensemble des revenus mobiliers de la France à 3 milliards, avait proposé de fixer l'impôt

à 2 010, ce qui eût donné 60 millions, et d'en faire un impôt de répartition en prenant pour base l'impôt personnel et mobilier et celui des portes et fenêtres. La commission de l'Assemblée nationale adopta la pensée première de l'impôt; mais elle proposa d'en faire un impôt de quotité et non un impôt de répartition; en outre, elle fut d'avis d'exempter les bénéfices réalisés par les fermiers, en faisant valoir que l'impôt sur le revenu ne pouvait s'ajouter à la charge, déjà si lourde, de la contribution foncière, et que l'exception, admise pour la rente du sol, devait s'étendre au résultat général de l'exploitation agricole. Enfin, comme les bénéfices provenant de l'agriculture avaient été évalués à près du tiers des revenus qu'on voulait atteindre, pour ne pas diminuer le produit de l'impôt, elle proposait de porter la taxe de 2 à 3 010.

L'industrie et le commerce sur lesquels on cherchait à retrouver la diminution de produit occasionnée par l'exemption de l'agriculture, firent entendre, à leur tour, leurs réclamations.

La chambre de commerce de Lille, entre autres, après avoir insisté sur ce qu'il y aurait de danger à frapper le commerce et l'industrie, au sortir d'une épreuve aussi douloureuse que celle qu'ils avaient subie depuis quelques mois, s'attacha à démontrer que la création de l'impôt proposé, même dans les temps calmes, serait impolitique, parce qu'il atteint l'activité humaine dans ses efforts pour augmenter le capital social, et qu'il entrave l'esprit de spéculation sans lequel il ne peut y avoir de travail. On comprend l'impôt s'appliquant à des capitaux réalisés, à une terre, à une maison; mais comment l'asseoir par avance sur des bénéfices d'une réalisation aussi problématique que ceux du commerce et de l'industrie? N'avait-on pas fait, d'ailleurs, tout ce qu'on pouvait faire, en les frappant du droit de patente qui pèse sur l'habitation du commerçant et de l'industriel? On disait que l'impôt sur les bénéfices de l'agriculture ferait double emploi avec l'impôt foncier mais ne pouvait-on objecter également qu'il y aurait double emploi à soumettre à un impôt nouveau les bénéfices du commerce et de l'industrie, qui, outre la contribution foncière et celle des portes et fenêtres, supportaient déjà tout le poids de la patente, dont l'agriculteur est exempt. On disait, il est vrai,

que les bénéfices seraient établis, déduction faite de toutes les charges, y compris la patente; mais n'y avait-il pas quelque dérision à dire que le bénéfice de l'industrie serait établi après déduction de la patente, quand la somme de la patente ne peut être un bénéfice que pour l'État? Ne serait-il pas plus logique de décider que l'impôt de la patente viendrait en défalcation de l'impôt sur les bénéfices du commerce et de l'industrie, ou se confondrait avec lui?

Et puis, que fallait-il entendre par le bénéfice du commerce et de l'industrie? Il n'est pas un établissement qui, avant sa liquidation, puisse fixer l'importance de ses bénéfices : les bénéfices, en effet, dépendent toujours de la rentrée des créances ou de la réalisation des marchandises, et, s'ils ne peuvent être déterminés. par le commerçant lui-même, ils pourraient l'être encore bien moins par une commission administrative étrangère aux affaires commerciales. On citait, comme preuve de la difficulté d'appréciations semblables, l'estimation même donnée par le ministre des Finances, qui évaluait la production manufacturière à 3 milliards, tandis que M. Cunin-Gridaine ne l'avait évaluée qu'à 2 milliards, et qui portait ses bénéfices à 1 milliard 100,000 fr., c'est-à-dire un peu plus haut que les bénéfices de la production agricole, qui cependant est généralement évaluée à 7 milliards.

Appellerait-on le commerçant ou le manufacturier à déclarer le chiffre de son bénéfice? Mais comment contrôler ses déclarations? N'était-il pas à craindre qu'elles n'occasionnassent un renversement total des situations vraies; que les maisons prospères, par exemple, ne dissimulassent l'importance de leurs bénéfices, tandis que les négociants gênés seraient conduits à accuser des bénéfices fictifs pour ne pas dévoiler leur position et compromettre leur crédit.

Et puis, que de difficultés dans l'application! Quoi! chacun serait obligé d'exposer au percepteur l'état de ses affaires? Le fisc aurait le droit d'entrer ainsi de gré ou de force dans les secrets de chacun, de fouiller dans les livres du négociant, de supputer les bénéfices, de calculer les profits du médecin, les honoraires de l'avocat ou du notaire? Mais, disait-on, cela se passe en Angleterre, et l'impôt sur le revenu s'y perçoit régulièrement. Qui pouvait affirmer qu'il en serait de même en France

M. Passy se refusa à assumer la responsabilité du projet, et il le retira dans la séance du 16 janvier. M. Goudchaux déclara qu'il le reprenait en vertu de son initiative parlementaire.

La première loi de finances soumise ensuite aux délibérations de l'Assemblée fut un projet d'impôt sur les successions et sur les donations. Ce projet, présenté six mois auparavant par M. Goudchaux, avait pour but d'appliquer le principe progressif à l'impôt sur les successions et sur les donations, et d'introduire en outre, dans l'assiette de cet impôt, différentes innovations, la plupart inspirées par les doctrines plus ou moins socialistes avec lesquelles on croyait alors devoir pactiser. Le projet de M. Goudchaux avait une telle portée économique et sociale, que l'Assemblée, malgré toute sa confiance dans le comité spécialement chargé des questions financières, crut devoir en renvoyer l'examen à ses bureaux, afin qu'il fût étudié par une commission qui résumât en quelque sorte les principes de l'Assemblée tout entière; la commission remplit sa mission avec zèle; son rapport, rédigé par M. de Parieu, fut déposé dès le 1er septembre, et il était permis de croire que, si la discussion n'en était pas venue plus tôt malgré la situation de nos finances, c'est que le gouvernement de cette époque ne se souciait pas de soulever les questions d'impôts nouveaux avant la grande élection du 10 décembre.

Est-il besoin de dire que le projet de M. Goudchaux avait été modifié radicalement et de fond en comble par la commission à Jaquelle il avait été renvoyé? La commission avait fait justice de ce principe progressif qu'on proposait d'introduire dans l'impôt des successions, pour en faire ensuite la base de tout notre système d'impôts. La théorie de la progression n'avait pu résister à l'examen. La minorité de la commission avait essayé de la défendre, sous prétexte que certains impôts pesaient, toute proportion gardée, d'une manière plus lourde sur le pauvre que sur le riche, de telle sorte que, suivant elle, l'impôt progressif devait compenser ces injustices et rétablir la proportionnalité. Or, n'était-ce pas, suivant la remarque de M. de Parieu, condamner l'impôt progressif en principe, que de l'admettre seulement comme un moyen de ramener à la loi de proportionnalité notre système actuel de contributions? Ajoutons que, si l'impôt proportionnel peut entraîner des charges et des privations inégalement senties,

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