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[Nous ne croyons pas qu'on puisse élever le moindre doute sur cette solution, qu'adoptent Favard, t. 4, p. 797, no 1, et Thomine, no 417. 1331. Mais le tribunal pourrait-il se refuser à ordonner le sursis à toutes les procédures dans les tribunaux en conflit?

Les expressions de l'art. 364 prouvent que cette surséance est laissée à l'arbitrage du tribunal, qui peut la refuser, s'il y a lieu de présumer que la demande en règlement est susceptible d'être contestée par la partie adverse. (Voy. Pigeau, t. 1, p. 133; Demiau, ubi suprà.)

[Ceci est encore évident, et Pigeau, Comm., t. 1, p. 119, no 148, Favard, t. 4, p. 797, n° 2, et Thomine, no 417, adoptent cette solution. Si le sursis est ordonné, les procédures et jugements postérieurs seraient évidemment nuls, quelle que fût l'issue définitive de la demande en règlement; car les actes auraient été faits devant ou par des juges sans pouvoir re

connu.

Aussi, le 6 mai 1812 (Dalloz, t. 17, p. 555; Sirey, t. 13, p. 31), a-t-il été jugé par la cour de cassation qu'on doit annuler les actes de procédure faits, ainsi que les arrêts ou jugements rendus, au mépris de l'arrêt de la chambre des requêtes, qui, suivant les règles tracées par l'art. 13 du tit. II de l'ordonn. de 1737, a ordonné la communication de la requête en règlement, toutes choses demeurant en état. Cette jurisprudence a été suivie par la cour de Paris, le 21 juin 1835 (DeviH., t. 53, 2o, p. 523).

Mais la simple demande en règlement ne peut opérer le sursis avant que la requête ait été répondue et que l'arrêt ait été communiqué. (Toulouse, 8 août 1827; Sirey, t. 28, p. 109.)] 1332. Le jugement qui accorde la permission d'assigner doit-il contenir l'énoncé des points de fait et de droit, ainsi que les motifs, conformément à l'art. 141? Pigeau, t. 1, p. 119, no 148, aux notes, dit que l'art. 141 ne se rapporte qu'aux jugements rendus après contestation, et non à ceux qui seraient rendus sur requête. Néanmoins, ajoute-t-il, on peut appliquer à ceux-ci les motifs de la loi : il est bon d'y étendre cet article. On sentira, d'après ce que nous avons dit, 1. 1, p. 505, Quest. 595, à la 1re note, que nous partageons cette opinion; mais nous ne croirions pas que l'on pût opposer, dans l'espèce actuelle, la nullité du jugement qui ne serait pas strictement conforme à l'art. 141.

[Nous partageons cet avis.]

ART. 365. Le demandeur signifiera le jugement, et assignera les parties au domicile de leurs avoués (1).

Le délai pour signifier le jugement et pour assigner sera de quinzaine, à compter du jour du jugement.

Le délai pour comparaître sera celui des ajournements, en comptant les distances d'après le domicile respectif des avoués. Tarif, 29. [Tar. rais., no 278.] Ord. de 1757, tit. 11, art. 1, 9 et 10, et ord. de 1669, tit. II, art. 1 et 6. [Locré, t. 9, p. 240.] (Voy. FORMULE 322.)

CCCV. Le demandeur en règlement lève au greffe expédition du jugement par lui obtenu, pour le signifier avec assignation aux fins de sa requête.

Les parties assignées ne doivent pas recevoir à leur domicile, ni faire à celui de leurs avoués, la signification du jugement d'adjudication, qui doit leur être faite dans la quinzaine, à compter du jour même du jugement.

Elles ont pour comparaître les délais ordinaires d'ajournement, en comptant les distanchez lesquels est remise l'assignation. ces d'après le domicile respectif des avoués 1333. Comment la signification et l'assignation sont-elles faites lorsqu'il n'y a pas d'avoués, et comment, en cette circonstance, se calculent les délais de la comparution?

Lorsqu'il n'y a pas d'avoués, ce qui arrive dans les justices de paix et dans les tribunaux de commerce, la signification et l'assignation sont données au domicile des parties, et alors les délais se calculent d'après la distance de la cour ou du tribunal saisi de la demande en règlement de juges. (Voy. Pigeau, t. 1, p. 120, n° 148.) On applique au reste le principe consacré par l'art. 151, qui veut que l'on ne prenne défaut qu'après l'échéance du délai donné à la partie la plus éloignée. (Voy. Prat., t. 2, p. 356.)

[Ces observations, très-justes, sont reproduites par Pigeau, Comment., t. 1, p. 637 et 658, et Favard, t. 4, p. 797 et 798, n° 2.]

ART. 366. Si le demandeur n'a pas assigné dans les délais ci-dessus, il demeurera déchu du règlement de juges, sans qu'il soit besoin de le faire ordonner, et les poursuites pourront être continuées dans le tribunal saisi par le défendeur en règle

ment.

précède, relativement à la communication au ministère public. D'ailleurs, si le tribunal n'avait pas cette faculté, à quoi bon le législateur eût-il exigé qu'il fût donné permission d'assigner?

(1) La signification du jugement et l'assignation doivent être données par un même acte, conformément à l'art. 29 du Tarif.

art. 8.

Ord. de 1737, tit. II, art. 13, et ord. de 1669, tit. II, | le jugement de la cause, puisqu'il ne tient qu'à lui de ne pas le poursuivre. On ne peut crainpuisqu'elle n'existe pas. dre de voir éternellement durer l'instance,

CCCVI. Si le demandeur n'a pas assigné, dans la quinzaine du jugement par lui obtenu, la loi le déclare déchu du règlement de juges.

Cette déchéance a lieu de plein droit : ainsi le défendeur en règlement peut, sans avoir besoin de la faire prononcer, continuer ses poursuites sur la demande principale, devant le tribunal qu'il en a lui-même saisi.

[La déchéance étant de plein droit, les frais du jugement qui la déclarerait devraient rester à la charge de l'avoué comme frustraloires. (Voy. dans ce sens notre Comm. du Tarif, t. 1, p. 364, no 9.]

La demande en règlement de juges ne saurait exiger une longue instruction. Cependant, comme elle n'est point mise au nombre des affaires sommaires, le défendeur peut signifier ses défenses et le demandeur ses réponses dans les délais et suivant les règles établies pour l'instruction des actions ordinaires; mais les écritures signifiées de part et d'autre doivent être d'autant moins volumineuses, qu'il s'agit ici d'une espèce de déclinatoire et que l'art. 75 du Tarif ne permet pas que les requêtes respectivement signifiées sur un déclinatoire excèdent six rôles.

On se rappelle que les règlements de juges sont rangés au nombre des causes qui doivent être communiquées au ministère public.

Le tribunal ou la cour, après avoir entendu les parties à l'audience, dans leurs moyens respectifs, ainsi que le ministère public dans ses conclusions, délibère sur la question de savoir si les demandes prétendues en conflit ont réellement un objet identique: s'il admet l'affirmative, il fait cesser le conflit, en renvoyant les parties et la cause devant l'un des tribunaux saisis.

[1333 bis. La déchéance de l'art. 366 estelle applicable en matière de conflit négatif?

Non. Cette déchéance a pour but de lever le sursis dont était frappée l'instance pendante devant le tribunal saisi par le défendeur en règlement, puisque l'article se hâte d'ajouter: et les poursuites pourront être continuées dans le tribunal, etc., et de là, la cour de cassation a conclu, avec raison, le 11 mai 1807 (Dalloz, t. 5, p. 296; Sirey, t. 7, p. 87), que cette déchéance est absolue et s'oppose à l'introduction d'une nou. velle demande en règlement entre les mêmes tribunaux. (Voir la Quest. suiv.) Mais le mème motif n'existe pas dans le cas de conflit négatif; il n'y a point de poursuites suspendues, puisqu'on se plaint, au contraire, qu'elles aient été annulées. Le demandeur en règlement ne peut pas être soupçonné de vouloir retarder

résultat de rendre la contestation impossible à Enfin, la déchéance en pareil cas aurait pour juger; ce serait un vrai déni de justice.

Thomine, no 418, partage cette opinion.] [1333 ter. S'il y a plusieurs défendeurs en règlement qui aient saisi des tribunaux différents, devant lequel de ces tribunaux les poursuites seront-elles continuées?

L'art. 366, en prononçant la déchéance, a eu encore pour but de faire cesser le conflit, quoique d'une manière peu favorable aux prétentions du déchu, puisqu'il l'oblige à procéder devant le tribunal saisi par son adversaire.

Mais nous ne pouvons croire qu'on ait voulu l'obliger à procéder à la fois devant deux ou plusieurs tribunaux. Nous pensons donc que, tout déchu qu'il est du bénéfice de l'arrêt qui avait attribué la cause au tribunal par lui réclamé, il n'en conserve pas moins le droit de la faire régler entre les autres, de manière qu'un seul puisse juger. Il exercera donc ce droit s'il y a avantage pour lui, et si l'un des défendeurs à la première demande n'en forme pas une à

son tour.

Pigeau, Comm., t. 1, p. 638, nous paralt incliner vers cette solution.]

1334. Le défendeur peut-il défendre par écrit à l'assignation en règlement de juges?

Oui, puisque les règlements de juges ne sont pas mis au rang des matières sommaires. D'ailleurs, la demande en règlement est un déclinatoire, et nous avons vu, sur la Quest. 738, que l'art. 75 du Tarif permet de défendre en cette forme. (Voy. cette question, Pigeau, t. 1, p. 120, no 148.

[Nous avons émis la mème opinion dans notre Comm. du Tarif, t. 1, p. 364, no 10.]

ART. 367. Le demandeur qui succombera pourra être condamné aux dommagesintérêts envers les autres parties.

Ord. de 1737, tit. II, art. 29.-(Voy. FORMULE 323.)

CCCVII. Si le tribunal devant lequel les parties sont renvoyées est celui que le demandeur prétendait avoir pour juge, le défendeur doit, comme toute partie qui succombe, être condamné aux dépens, sinon le demandeur subit la même peine.

Quand c'est le demandeur qui succombe, il peut, outre les dépens, être condamné aux dommages-intérêts envers les autres parties. Cette condamnation, qui dépend des circonstances,

est ordinairement prononcée quand le tribunal, jugeant que les demandes prétendues en conflit n'ont point un objet identique, rejette une demande en règlement qui n'avait d'autre but que d'entraver la marche de la justice et de paralyser une double procédure.

1335. De ce que l'art. 367 ne parle que d'une condamnation facultative aux dommagesintérêts, doit-on conclure que le tribunal doive toujours joindre les dépens de l'instance en règlement de juges?

Lepage, Questions, p. 238, donne plusieurs raisons d'après lesquelles il conclut que le jugement qui prononce sur une demande en règlement de juges doit ou adjuger les dépens, ou les compenser, ou les réserver, selon les circonstances. Ce point, dit-il, est laissé à la prudence des juges: ce qui est pour eux d'obliga

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tion, c'est de statuer d'une manière quelconque sur les dépens.

Nous pensons que le demandeur en règlement qui succombe doit nécessairement être condamné aux dépens, indépendamment des dommages-intérêts que les autres parties peuvent obtenir à raison du retard que l'instance en règlement a mis dans leurs poursuites.

Si, au contraire, le demandeur a eu raison de se pourvoir en règlement, et si le défendeur n'a point fait de mauvaises contestations, il y a lieu de joindre les dépens au sort de la demande ou des demandes principales, et de renvoyer, pour y être statué par les juges à qui la connaissance en est déférée.

[C'est l'opinion que nous avons exprimée au Comm. du Tarif, t. 1, p. 364, no 11. Elle est adoptée par Pigeau, Comm., t. 1, p. 639, et Favard, t. 4, p. 798, no 2.]

TITRE XX.

DU RENVOI A UN AUTRE Tribunal, pour parenté ou alliance.

Si la loi a pu n'avoir aucun égard aux craintes imaginaires d'un plaideur toujours disposé à l'inquiétude, elle ne devait pas mépriser également des appréhensions qui peuvent avoir un fondement raisonnable.

Sans doute, comme le disait l'orateur du conseil d'État (éd. de Didot, p. 40), la majeure partie des juges, tous peut-être sont capables de s'élever au-dessus de toute affection de sang et de toute considération d'intérêt de famille. Mais enfin la prévention qui résulte de la parenté et de la confraternité est, pour nous servir des expressions de notre estimable confrère Poncet (Traité des actions, p. 256), un de ces sentiments naturels qui peuvent entraîner, même à leur insu et contre leur gré, les hommes les plus intègres et les plus attachés à leur devoir. La loi se prêtant à cette présomption, fondée sur la seule considération de la faiblesse humaine, a mis le plaideur à l'abri de toute inquiétude, en autorisant la demande en renvoi pour parenté ou alliance.

ses membres, jusqu'au degré de cousin issu de germain, avec la partie contre laquelle on oppose cette demande.

C'est, disons-nous, une exception déclinatoire, car elle tend à soustraire l'affaire à la juridiction du tribunal qui en a été saisi; c'est aussi une récusation, puisque c'est un refus d'ètre jugé par ce tribunal. Mais cette récusation diffère de la récusation proprement dite, en ce qu'elle est générale, tandis que l'autre est partielle et personnellement dirigée contre tel ou tel juge (1).

ART. 368. Lorsqu'une partie aura deux parents ou alliés jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement, parmi les juges d'un tribunal de première instance, ou trois parents ou alliés au même degré dans une cour royale; ou lorsqu'elle aura un parent audit degré parmi les juges du tribunal de première instance, ou deux pa

Elle peut être définie une exception décli-rents dans la cour royale, et qu'elle-même sera membre du tribunal ou de cette cour, natoire par laquelle le tribunal saisi d'une contestation est récusé en entier, à raison de l'autre partie pourra demander le renvoi. la parenté ou alliance d'un ou de plusieurs de

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Ord. de Blois de 1579, art. 117. - Ord. de 1669,

concerne la compétence des tribunaux à l'égard de ces demandes. Quant à la forme de procéder, il nous suffira de dire qu'elle est absolument la même que celle que l'on doit suivre pour les indications de juges, dont nous avons parlé ci-dessus. (V. page 223 et la note.)

tit. I (des évocations) art. 1, 2, 3, 4 et 5. Ord. de 1737, tit. I, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7, et enfin arrêts du conseil d'Etat des 17 mars et 23 avril 1807.-C. proc., art. 378. [Devilleneuve, vis Récusation, no 14 à 16, 18; Renvoi, nos 1, 3 à 5, 9, 12 à 15. - Carré, Com

-

pétence, 20 part., liv. Jer, tit. Ier, chap. 1er, art. 10, Q. 26; liv. II, tit. VI, art. 305, 306, § 2, t. 5, p. 249, Q. 371; liv. III, tit. III, chap. 2, art. 560, Q. 468, et tit. VII, chap. 2, art. 544. - Locré, t. 9, p. 162, 262, 293, 298.]

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Il est également facile de sentir que la cour de cassation ne peut jamais être arrêtée par une demande en renvoi, puisqu'il n'existe pas d'autre juridiction devant qui l'affaire puisse être renvoyée.

Cette demande ne peut donc se présenter que devant les tribunaux de première instance, au nombre desquels il faut ranger ceux de commerce, et dans les cours royales.

Dans les tribunaux de première instance, il suffit que l'une des parties compte parmi les juges deux parents ou alliés, pour que son adversaire puisse demander le renvoi devant un autre tribunal.

Dans les cours royales, qui sont plus nombreuses, il faut que les parents ou alliés de cette partie soient au nombre de trois.

parties, si un autre avait sollicité pour elle, si un autre avait été son conseil, etc., etc.?

Pigeau traite cette question, t. 1, p. 306, no 433, et il la résout affirmativement. Il se fonde sur ce qu'il y a même raison pour autoriser le renvoi dans tous les cas où les juges sont récusables. Et en effet, dit-il, la partie qui compte parmi ces juges celui qui a sollicité pour son adversaire, celui qui a été son conseil et son donataire, a des craintes tout aussi fondées, et peut-être davantage, que si elle y comptait deux parents ou alliés de son adversaire.

nion absolument contraire à celle de Pigeau; Lepage, Questions, p. 200, émet une opiet peut-être pensera-t-on, comme nous, que c'est celle-là qui doit l'emporter, si l'on considère que le législateur n'aurait point réuni, sous un titre séparé, un grand nombre de dispositions relatives au renvoi pour parenté ou alliance, s'il avait entendu autoriser ce renvoi pour toutes les causes qui donnent lieu à la récusation; il se fût borné à déclarer qu'il y aurait lieu au renvoi toutes les fois qu'un juge serait récusable.

D'ailleurs, est-il rigoureusement vrai qu'il y ait, pour toutes les causes de récusation, les mêmes raisons de décider en faveur du renvoi

que pour celles qui résultent de la parenté ou de l'alliance? N'a-t-on pas particulièrement à craindre, lorsque plusieurs juges sont parents ou alliés de l'une des parties, que lors même qu'ils ne solliciteraient pas leurs collègues en sa faveur, le désir de leur être agréable n'excitât en ceux-ci, presque involontairement, une prévention contre la cause de la partie adverse? Cenombre diminue si la partie est elle-même Or, ce danger est bien moins redoutable dans juge au tribunal ou à la cour; il suffit dès lors les autres cas de récusation. D'un côté, un juge que cette partie trouve, dans un de ses collè-parent ou allié croira trouver dans cette quagues, un seul parent ou allié, si l'affaire est portée devant un tribunal de première instance, et deux, si elle existe devant une cour royale, pour que la demande en renvoi soit fondée.

Le degré de parenté ou d'alliance qui rend, aux yeux du législateur, un juge suspect de partialité, est, pour la demande en renvoi, la même que pour celle en récusation des juges de première instance ou d'appel : il faut donc que les juges qui donnent lieu à la demande en renvoi soient au moins parents ou alliés au degré prohibé, c'est-à-dire qu'ils soient au moins parents ou alliés au degré de cousins issus de germain. Au delà de ce degré, l'exception ne serait pas recevable.

1336. Peut-on demander le renvoi à un autre tribunal, lorsque des juges sont ré- | cusables pour une autre cause que pour parenté ou alliance, et, par exemple, si l'un des juges était donataire de l'une des

lité une excuse pour les sollicitations qu'il pourrait faire, tandis qu'il ne pourrait, sans rougir, donner pour prétexte des causes qui le rendraient récusable; de l'autre, ces causes peuvent, le plus souvent, être ignorées des autres juges, et la parenté où l'alliance, qui est notoire, est susceptible d'amener la prévention dont nous venons de parler.

Nous ajouterons, avec notre estimable confrère Poncet, dans son Traité des Actions, no 191, qu'un tribunal, dont la compétence n'est pas douteuse, ne peut être privé de sa juridiction qu'en vertu d'un texte formel ou par

suite d'une nécessité bien démontrée.

Or, d'une part, il n'existe aucune disposition de la loi qui étende les cas de demandes en renvoi à d'autres causes que celles qui sont exprimées par l'art. 368; de l'autre, il n'y a aucune nécessité de fournir un pareil moyen aux parties, dont tous les intérêts sont suffisamment mis à couvert par celui de la récusa

tion partielle, ainsi que par les voies de réformation qui leur sont ouvertes contre le jugement, suivant les règles du droit commun, etc. (Voy. infrà, sur l'art. 578.) (1).

[Nous pensons, avec Carré, que la demande en renvoi proprement dite ne peut avoir lieu que pour cause de parenté ou alliance, et les raisons qu'il en donne nous semblent suffisantes. Pour l'explication de notre restriction, roy. la question suivante.]

1337. Mais si d'autres causes que celles de

la parenté ou de l'alliance contre un ou plusieurs juges ne donnent pas lieu à la demande en renvoi, ne peut-on pas du moins récuser en masse tous les membres

d'un tribunal, et par conséquent obtenir le renvoi devant un autre? [ A quelle juridiction faudrait-il adresser cette demande ?]

Cette question était controversée sous l'empire de l'ancienne jurisprudence; mais l'opinion que l'on pouvait récuser en masse, en matière civile, paraissait avoir prévalu. Aujourd'hui, comme le remarque Legraverend, 1. 4, p. 67, no 518, édit. de 1839, il est reconnu que rien ne s'oppose à ce qu'un tribunal entier soit récusé en masse, tant en matière civile qu'en matière criminelle seulement, ajoutet-il, la récusation en masse est considérée comme une demande en renvoi d'un tribunal à un autre, pour cause de suspicion légitime; et, dans ce cas, elle doit en suivre les règles, relativement à la compétence et à la

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forme. (Cass., 6 décemb. 1808; Sirey, t. 9, page 143.) (2).

[Cet arrêt n'a jugé qu'un seul point, savoir, que, lorsque la récusation en masse est dirigée contre une cour royale, c'est à la cour de cassation de statuer, mais il n'assimile point ce cas aux demandes en renvoi pour cause de suspicion légitime.

à

Quant à l'arrêt de la cour de Paris du 18 mars 1813 (Dalloz, t. 23, p. 346; Sirey, t. 16, p. 97), que Carré cite à la note et qu'il approuve, nous ne partageons pas son opinion. Nous critiquerons d'abord cette partie de l'arrêt dans laquelle la cour royale de Paris prétend que la récusation d'un tribunal entier est la prise à partie. Nous ne pouvons pas concevoir partie a ses règles toutes particulières, la loi où a été puisée une pareille doctrine; la prise détermine les cas dans lesquels elle doit avoir lieu, et elle n'a rien qui puisse être confondu avec la récusation. De plus, d'où peut-on induire que la récusation ne peut être exercée contre un tribunal entier, lorsque chacun de ses membres se trouve dans l'un des cas énoncés dans l'art. 578, C. proc.? d'après cet article, la cause de récusation existe, soit qu'elle s'adresse à un seul juge, soit qu'elle s'adresse à plusieurs; seulement on peut être embarrassé sur la marche à suivre. Pigeau, t. 1, p. 320, no 454, pense que, lorsqu'il y a deux ou trois membres qui peuvent être récusés, c'est le cas de demander le renvoi; nous pensons qu'il faut distinguer.

Si le tribunal est, malgré les récusations, en

(1) On trouve cependant, dans Sirey, suppl., t. 7, p. 1181, un arrêt de la cour de cassation qui admet la demande en renvoi sur l'intérêt qu'un des juges du tribunal saisi de l'affaire, avait dans l'affaire même, quoiqu'il ne fût pas partie. Mais il est à remarquer que cette décision, quoique insérée au Code annoté de Sirey, sous l'art. 368, C. proc., a été rendue en matière criminelle. Aujourd'hui, la même décision pourrait bien être donnée d'après ce dernier Code, qui, comme les lois précédentes (voy. Bourguignon, p. 439), a, par son silence, abandonné à la conscience de la cour de cassation les causes de renvoi; mais le Code de procédure civile s'est expliqué à ce sujet ; et d'un autre côté, il a mis au nombre des causes de récusation partielle l'intérêt du juge dans l'affaire : il est donc incontestable que l'arrêt que nous venons de rapporter ne peut recevoir d'application dans les procès civils.

(2) Néanmoins, d'après ce que nous avons dit au numéro précédent, nous devons faire remarquer que cette récusation en masse ne peut avoir lieu que dans le cas de suspicion légitime, dont nous parlerons en notre Traité des lois d'org. et de compét., et non pour les causes mentionnées en l'art. 378, qui ne s'applique qu'à la récusation partielle, ainsi que l'a décidé la cour de Paris, par arrêt du 18 mars 1813. (Sirey, t. 13, p. 325.)

Nous croyons donc mal rendu un arrêt de la cour d'Angers du 12 janvier 1815 (Sirey, t. 17, p. 129), en ce qu'il déclare qu'un tribunal entier peut être récusé en masse; que cette récusation peut durer tant que le

tribunal est composé des mêmes juges, et enfin, que les membres de ce tribunal sont recevables à former opposition à l'arrêt qui a admis leur récusation. Sans doute, si des causes de récusation mentionnées dans l'art. 578 existaient contre tous les juges d'un tribunal, une partie ne pourrait être contrainte de plaider devant eux; mais alors la voie de la demande en renvoi, pour cause de suspicion légitime, lui est ouverte devant l'autorité supérieure, et elle ne peut, par une récusation en masse, paralyser le cours de la justice.

"

[Voy., pour balancer cette opinion de Carré, son traité de la compétence; voy, aussi infrà la note du no CCCX, et les Quest. 1353 et 1358, où il convient que, dans ce cas, par la force des choses, il faudra se pourvoir en indication d'un autre tribunal. Du reste, si les motifs de suspicion légitime étaient fondés sur quelques-unes des causes de récusation énoncées dans l'art. 378, ne serait-il pas juste de donner aux juges le droit de se défendre selon les règles tracées au titre de la récusation? Enfin il nous semble que la suspicion légitime n'est qu'une voie subsidiaire ouverte au justiciable qui, ayant des motifs fondés de soupçonner l'impartialité de ses juges, ne peut néanmoins articuler aucun des faits que l'art. 378 admet comme causes de récusation. Cette opinion ne résulte-t-elle pas d'un arrêt de cass. du 24 therm. an Ix, qui a décidé que les magistrats peuvent puiser, dans leur conscience, les causes de renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime?]

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