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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

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COURS COMPLET DE RHÉTORIQUE; par M. AMAR, profes`seur d'humanités au Lycée Napoléon, et l'un des conservateurs de la Bibliothèque Mazarine. Seconde édition, avec des corrections et des additions. Un volume in-8°, imprimé sur carré fin d'Angoulême. Prix, 6 fr., et 7 fr 50 c. franc de port; le double en papier vélin. A Paris, chez Hyacinthe Langlois libraire pour la Géographie et l'Histoire, rue de Seine, n° 6, faub. Saint-Germain.

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L'AUTEUR a pris pour épigraphe ces paroles de Quintilien, qui expriment une pensée que l'on trouve aussi dans Cicéron Oratorem autem illum instituimus, qui esse, nisi vir bonus, non potest. Ainsi son but est parfaitement indiqué. S'il veut former des orateurs, il veut aussi en faire des hommes probes. Il a donc regardé comme utile de faire passer de la classe où il professe dans la société, les leçons qu'il donne à ses élèves. Rien de plus ordinaire que de voir des professeurs communiquer ainsi au public leur méthode d'enseignement; des professeurs qui, comme lui, se chargent de nous montrer les beaux endroits (c'est l'expression adoptée) des ou→ vrages devenus classiques.

M. Amar convient qu'il doit beaucoup aux grands critiques qui l'ont précédé. En nommant, après les anciens, Rollin, Blair et Laharpe, il n'aurait pas dû oublier l'abbé Lebatteux, homme d'un extrême mérite, dont l'ouvrage qui n'est pas, je l'avoue, écrit d'une manière très-piquante, contient des principes sains, et fait voir par-tout une connaissance parfaite de l'antiquité grecque et latine. On y trouve des morceaux de main de maître, spécialement une analyse comparative d'Héraclius et d'Athalie, ces deux chefs-d'oeuvre tragiques.

M. Amar, suivant le conseil donné par Fénélon dans sa lettre à l'Académie sur l'éloquence, a préféré les

MERCURE DE FRANCE, NOVEMBRE 1811. 205

exemples aux préceptes, et son cours est un tissu de citations. Toutefois ses premiers chapitres offrent des notions élémentaires. Il commence par la plus difficile de toutes les définitions, celle du goût. C'est, dit-il, la faculté de recevoir une impression de plaisir ou de peine des beautés ou des difformités de la nature. Mais je vois ici l'effet plutôt que la cause d'un sentiment exquis. II serait malheureux que cette définition du goût, qui n'apprend rien, fût blamée par le goût même dont il est si difficile de poser les principes et d'analyser les jouissances. Les vains efforts que l'on fait à ce sujet rappellent l'ancien adage de l'école, qui les qualifie : obscurum per obscurius. M. Amar est plus heureux quand il traite du sublime dans les choses et dans les compositions littéraires. Ici ses préceptes ont plus de précision, et ses exemples sont bien choisis. Il indique ensuite les sources du beau et des plaisirs du goût; mais ce qu'il dit des scènes champètres est loin de soutenir la comparaison avec les admirables morceaux de ce genre que l'on trouve dans les Etudes de la nature, de M. de SaintPierre. Celui-là est peintre; oui, la plume qui traça les tableaux des Etudes, et les sites de l'île où Virginie fut élevée près de Paul, est un véritable pinceau.

Le chapitre cinquième traite du style en général et de ses qualités, de l'harmonie imitative, de celle du style, des figures en général, et de celles qui appartiennent spécialement à l'éloquence. On trouve dans tous ces exposés, les bons principes, une doctrine saine, du goût, de la vérité, et de grandes autorités faites pour appuyer les maximes. En tout cela rien de neuf : ces choses sont par-tout; mais c'est beaucoup de les présenter dans un bon ordre et avec clarté.

Le chapitre huitième nous fournit une remarque sur les citations qui doivent être exactes et fidèles. M. Amar ne peut l'ignorer, et c'est sans doute par erreur typographique qu'on lit dans la citation d'un vers d'Athalie: Vous rappelant un jour que caché sous ce lin.

Le grand prêtre Joad dit à Joas enfant :

ous souvenant, mon fils, que caché sous ce lia.

Le livre second commencé par un bon exposé des principes et des devoirs de l'éloquence: suit une histoire abrégée de l'éloquence chez les anciens et les modernes. Les réflexions sur les causes des succès et de la décadence de l'art oratoire à Athènes, à Rome, et chez nos contemporains, sont neuves, judicieuses et profondes. La comparaison de notre éloquence avec celle des Grecs et des Romains, avec celle des insulaires nos voisins, est juste et instructive, balançant très-bien le mérite et les défauts des uns et des autres.

Le livre troisième a pour objet les trois genres principaux de l'éloquence qui éclate dans les trois tribunes: la tribune politique, la tribune du barreau, et la tribune sacrée. Dans la section qui traite de la tribune politique, l'auteur caractérise fort bien Démosthènes et Cicéron, ainsi que le mérite oratoire des historiens anciens. Au sujet de l'éloquence politique des Français, M. Amar parle des grands talens qu'on vit malheureusement briller dans nos états-généraux, de l'éloquence, qu'il fallait nommer brutale et funeste, de Mirabeau de celle de son adversaire M. le cardinal Maury, plus digne d'un grand succès.

En parlant de la tribune du barreau on donne une ana lyse très-bien faite des harangues d'Eschine et de Démosthènes pour et contre Ctésiphon. Les orateurs du barreau français, Le Normant et Cochin, d'Aguesseau et Séguier, obtiennent ici le tribut d'éloges qui leur est dû.

La section troisième concerne la tribune sacrée. On s'attend bien à y voir paraître et briller Bourdaloue et Cheminais, Bossuet et Massillon, mais est-il juste de n'avoir pas nommé Segaud, Mascaron, et aussi quelques prédicateurs plus modernes qui méritent d'être lus? Le chapitre qui traite de l'éloquence des SS. PP. est court pour un aussi grand sujet, et il est dépourvu de citations qui, pour les autres orateurs, sont si longues et si multipliées.

Le genre démonstratif est l'objet de la quatrième section. L'auteur y traite des panégyriques, et nous fait connaître les éloges de Socrate, de Démosthènes, de Pompée, de César et de Trajan, le panégyrique de

Louis XV par Voltaire, son éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1744, le genre de l'éloge funè→ bre, en général et en particulier, les oraisons funèbres, comparées, de Bossuet, de Fléchier et de Mascaron.

La tribune académique occupé l'auteur dans la cinquième section. Il y cite la défense de Fouquet par Pélisson, les discours académiques de Racine, de Voltaire et de Buffon, les éloges composés par Fontenelle, et quelques mots ou phrases précises prononcées par des géné raux à la tête des armées, et valant au moins de longues harangues. Ici on verra avec grand plaisir l'analyse d'un' excellent discours du père Guénard sur l'esprit philosophique. Enfin l'on aperçoit dans cette galerie de portraits la figure boursouflée de Thomas qui est jugé sévèrement, mais sans injustice. Nous croyons devoir remarquer que le mot très-plaisant qui caractérise si bien le style hydropique de ce déclamateur, galithomas, que ce mot, qui exprime parfaitement un nouveau genre de galimathias, n'est point de Voltaire, mais de l'abbé Arnaud.

Le livre quatrième, plus court que les autres, et qui (on ne sait trop pourquoi ) n'offre aucune citation d'écrivains français, traite de la disposition oratoire ou de l'ordre mécanique du discours. L'auteur applique les principes établis dans ce livre au plaidoyer de Cicéron pour Milon; mais il aurait dû ajouter que nous n'avons pas cette harangue telle qu'elle fut prononcée. Cicéron, toujours avide de gloire, la retoucha, et la changea tellement, que son client, exilé à Marseille, auquel il l'envoya, lui répondit: Ah! Cicero, si sic egisses, Milo barbatulos pisces Massiliae non ederet.

Tous les gens de bien et de goût applaudiront aux réflexions que fait dans son livre cinquième M. Amar, touchant l'éloquence des livres saints dont l'improbation et le mépris ne peuvent naître que de la corruption des mœurs, du goût et de la morale. Ici l'on fait remarquer dans les écrivains sacrés les figures, les beautés morales, philosophiques et oratoires, les beautés de détail et de de sentiment. Les exemples sont encore très-bien choisis, ainsi que leurs imitations par quelques-uns de nos

poëtes; mais il en est une dont la critique injuste pourra déplaire c'est le cantique d'Ezéchias par J. B. Rousseau, vrai chef-d'œuvre, honneur de la poésie française, et dont on ne peut dire que du bien.

L'ouvrage que nous annonçons est terminé par des notes sur M. de Laharpe, sur M. de Châteaubriant, sur M. Delille et ses ouvrages. M. Amar, après avoir donné de justes éloges à M. de Châteaubriant, craint, avec quelque raison, que son style brillant ne trouve de mauvais imitateurs; car on peut imiter la diction, mais non pas le génie. Quant aux défauts des deux autres écrivains M. Amar ne nous paraît pas toujours avoir mis le doigt. dans la plaie. Laharpe n'avait point l'ame tendre; pour être poëte il lui manquait le sentiment qui fut le génie de Racine. Son style était pur, clair et froid comme l'eau immobile d'un lac. A la fin de sa vie, la religion toucha son cœur, attendrit sa pensée, et lui fit produire quelques bons morceaux qui ne se ressentaient point des glaces de l'âge, et qui sans doute auraient été suivis de plusieurs autres si la mort ne l'eût ravi. Quant à M. Delille, nous trouvons qu'il en a très-justement apprécié le talent aussi brillant que varié; mais peut-être auraitil pu s'arrêter plus long-tems sur le danger de vouloir l'imiter. De son école sont sortis des élèves qui, si on les avait laissé faire, eussent accéléré la décadence de la langue et du goût.

Nous finissons par recommander aux jeunes gens la lecture du Cours complet de rhétorique. M. Amar y montre partout un grand désir d'être utile, avec les connaissances, le goût et les talens nécessaires pour accomplir ce grand œuvre.

D.

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