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S'il s'agit d'une dette civile pour laquelle un Français serait soumis à la contrainte par corps, les dispositions de l'article 7 seront applicables aux étrangers, sans que toutefois le minimum de la contrainte puisse être au-dessous de deux ans.

1. Cet article met fin à la question de savoir combien doit durer l'emprisonnement d'un étranger. Il complète les dispositions de l'article 14, qui se borne à déclarer que tout jugement entraîne la contrainte par corps contre lui. Il distingue deux cas, celui où une dette civile par lui contractée entraînerait cette contrainte contre un Français, et celui où il ne l'entrainérait pas. Au premier cas, il l'assimile au Français, et ordonne de lui appliquer les dispositions de l'article 7; au deuxième, il établit une échelle proportionnelle à la quotité de la dette pour la durée de la détention. Si la dette est commerciale, il faut suivre à son égard la même échelle. Enfin, en aucun cas sa détention ne peut durer moins de deux ans. L'intention du législateur est certaine sur ce dernier point. Elle résulte des derniers mots du 6 de l'article qui nous occupe. Cette addition est nécessaire, disait le rapporteur à la Chambre des députés. Autrement, les juges seraient autorisés par exception à ne prononcer contre les étrangers pour certaines dettes qu'une arrestation d'une année, tandis qu'en règle générale elle doit être de deux ans pour la moindre somme (§ 1 de l'art. 7), et l'exception s'appliquerait précisément à des obligations qui peuvent avoir plus d'importance qu'une somme de 150 à 500 francs.

2. Sera-ce du jour de l'arrestation provisoire, ou du jour de l'emprisonnement pratiqué contre un étranger, que courra le temps après lequel sa captivité devra cesser? L'article ne prévoit pas cette question, qui pourra souvent s'élever, et qu'il faudra, selon nous, résoudre en faveur du débiteur, d'après la règle qu'en matière rigoureuse il faut se décider en faveur de la liberté.

ART. 18.

Le débiteur étranger, condamné pour dette commerciale jouira du bénéfice des articles 4 et 6 de la présente loi. En conséquence, la contrainte par corps ne sera point prononcée contre lui, ou elle cessera dès qu'il aura commencé sa soixante dixième année.

Il en sera de même à l'égard de l'étranger condamné pour dette civile, le cas de stellionat excepté.

La contrainte par corps ne sera pas prononcée contre les étrangères pour dettes civiles, sauf aussi le cas de stellionat, conformément au premier paragraphe de l'article 2066 du Code civil, qui leur est déclaré applicable.

Cet article a pour but d'assimiler les étrangers aux nationaux. Sa première disposition n'était pas indispensable. Elle résultait de l'esprit de la loi, qui prohibe la contrainte par corps contre tous les septuagénaires, hormis ceux qui se sont rendus coupables de stellionat. 11 en était de même de la deuxième; mais il en était autrement de la troisième : car la généralité des termes de la loi de 1807 faisait juger communément qu'une étrangère

était soumise à la contrainte par corps, même pour dettes civiles. Il fallait donc que la loi l'assimilât expressément à la femme française.

TITRE IV.

Dispositions communes aux trois titres précédens.

ART. 19.

La contrainte par corps n'est jamais prononcée contre le débiteur au profit,

1° De son mari ni de sa femme;

2o De ses ascendans, descendans, frères ou sœurs, ou alliés au même degré.

Les individus mentionnés dans les deux paragraphes ci-dessus, contre lesquels il serait intervenu des jugemens de condamnation par corps, ne pourront être arrêtés en vertu desdits jugemens: s'ils sont détenus, leur élargissement aura lieu immédiatement après la promulgation de la présenté loi.

1. Cet article met fin à bien des questions que faisait naître le silence de la loi de germinal an 6, et sur lesquelles nous avons rapporté l'état de la. jurisprudence, t. 8, p. 638. Il était indispensable. Sa dernière disposition peut être considérée comme contraire au principe de la non-rétroactivité des lois. Mais elle est justifiée par ce que nous avons dit sous l'art. 4.

2. Il y a division sur le point de savoir și un mari peut contraindre par corps sa femme à cohabiter avec lui. (Voy. J. A., t. 32, p. 92.) De fortes raisons militent pour l'affirmative et la négative. Il aurait fallu que l'art. 19 con sacrât l'une ou l'autre.

3. Observez que la loi défend non-seulement d'exercer, mais encore de prononcer la contrainte par corps entre les individus qu'elle énumère, à la différence des cas qu'elle prévoit dans l'art. 21. A l'égard de toutes autres personnes, elle permet de la prononcer. Mais elle ne peut être exercée si d'autres lois s'y opposent. Tels sont les pairs du royaume, dont l'arrestation doit être autorisée par leur Chambre. (Voy. sur ce point J. A., t. 32, p. 353.)

ART. 20.

Dans les affaires où les tribunaux civils ou de commerce statuent en dernier ressort, la disposition de leur jugement relative à la contrainte par corps sera sujette à l'appel; cet appel ne sera pas suspensif.

1. Jusqu'à présent ce point était vivement controversé ( Voy. J. A., t. 32, p. 238), et il fallait le consacrer par une disposition législative. C'est ce qu'a fait l'art. 20 de la nouvelle loi, qui, en permettant aux débiteurs d'appeler dans tous les cas du chef qui prononce la contrainte par corps, empêche néanmoins que cet appel ne soit un moyen de vexation envers leurs créanciers,

puisque ceux-ci n'en pourront pas moins exécuter le jugement qu'ils ont obtenu.

2. Il faut bien observer qu'en déclarant que l'appel sur le chef de la contrainte par corps n'est pas suspensif, la loi ne veut pas dire que tout jugement prononçant cette contrainte est exécutoire par provision. Elle suppose que le jugement prononçant la contrainte a été rendu dans un des cas où la loi permet aux juges d'ordonner qu'il sera exécuté par provision, nonobstant appel.

3. Dans notre revue de la jurisprudence sur l'acquiescement, nous avons professé que l'acquiescement donné au jugement prononçant la contrainte par corps hors des cas déterminés par la loi, ne pouvait produire aucun effet contre la partie condamnée, qui par conséquent pourrait toujours appeler du chef relatif à la contrainte par corps. On voit que la nouvelle loi vient de consacrer implicitement notre opinion. Nous terminerons par faire remarquer que, malgré la disposition de l'art. 20 qui nous occupe, une partie qui aurait laissé passer en force de chose jugée une décision qui lui reconnaîtrait une qualité de laquelle résulterait contre elle l'assujettissement à la contrainte par corps, ne pourrait ensuite se rendre appelante de cette décision en ce qu'elle aurait prononcé contre elle ce mode d'exécution. Nous en avons donné la raison p. 130 et 132.

4. Il pourra s'élever la question de savoir si le droit d'appeler du chef relatif à la contrainte par corps, contenu dans un jugement en dernier res- ́ sort au principal, appartient tant au débiteur condamné qu'au créancier à qui le tribunal refuserait d'accorder cette contrainte : la généralité de l'article ferait penser qu'on doit l'appliquer à l'un et à l'autre; cependant il est probable qu'en le rédigeant le législateur a eu plutôt en vue le premier que le second.

ART. 21.

Dans aucun cas, la contrainte par corps ne pourra être exécutée contre le mari et contre la femme simultanément pour la même dette.

1. La loi, a dit M. le comte Portalis, rapporteur de la commission de la Chambre des pairs, ne doit point permettre que la famille soit privée à la fois de son chef et de celle qui partage avec lui le gouvernement domestique. Elle ne peut pas vouloir que des enfans, auxquels la mort n'a point ravi leurs parens, deviennent orphelins par mandement de justice. On peut ajouter qu'en laissant forcément la liberté à l'un de ses débiteurs, le créancier lui laissera le moyen et surtout le désir de libérer l'autre, et que, sous ce rapport, la disposition de la loi est autant conçue dans l'intérêt du créancier que dans celui des époux condamnés.

Nous disons condamnés, parce que la loi porte seulement que la contrainte par corps ne sera pas exécutée simultanément contre l'époux et la femme. En telle sorte qu'un tribunal devra toujours la prononcer contre l'un et l'autre, s'ils se trouvent dans le cas où la loi l'établit, sauf ensuite à ne l'exécuter que contre l'un d'eux. Si le tribunal ne la prononçait que contre un scul nominativement, il enlèverait au créancier le droit de l'exercer contre celui qu'il croirait devoir poursuivre plutôt que l'autre. Aussi toutes

les fois que deux époux seront contraignables par corps pour la même dette, les tribunaux devront les condamner à la payer par corps; mais ensuite la partie qui aura obtenu cette condamnation ne pourra l'exécuter par corps que contre l'un d'eux. Seulement les tribunaux pourraient, tout en prononçant cette double condamnation, déclarer qu'elle ne sera exécutée que contre un seul des condamnés, au choix du créancier.

2. Mais, après avoir laissé en prison l'un d'eux tout le temps légal, le créancier pourra-t-il revenir contre l'autre et exercer la contrainte par corps pour le même temps? Le texte de la loi ne s'y oppose pas; elle lui défend de l'exécuter simultanément contre les deux époux. Ils n'en sont pas moins pour lui deux débiteurs solidaires, et c'est le propre de la solidarité de pouvoir poursuivre un des débiteurs après avoir poursuivi l'autre. Par la même raison, il pourra, s'il croit que cela soit dans son intérêt, abandonner les poursuites qu'il a pratiquées contre la femme, la laisser sortir de prison, et ensuite faire incarcérer le mari, sans que celui-ci puisse imputer, sur la durée de l'emprisonnement qu'il doit subir, le temps passé en captivité par sa femme.

3. Il nous semble que, pour atteindre sûrement le but qu'il s'est proposé dans l'art. 20 de la loi nouvelle, le législateur aurait dû défendre, en tous cas et à l'égard de tous créanciers, l'emprisonnement simultané des deux époux. C'était le seul moyen d'empêcher que les enfans fussent privés de leurs parens. En se bornant à le défendre pour la même dette et au même créancier, il en résulte les conséquences suivantes :

1o Qu'un créancier pourra à la fois emprisonner les deux époux pour deux dettes différentes et les enlever à leur famille;

2o Que, pour éluder le texte de la loi, il fera engager la femme et le mari dans deux actes séparés qui paraîtront contenir deux obligations différentes, quoique l'une et l'autre soit la même ;

3o Que deux créanciers pourront, chacun de leur côté et à la fois, pour une créance différente, faire emprisonner le mari et la femme;

4° Que si un créancier cède une partie de sa créance, il pourra exercer la contrainte par corps contre le mari pour la part qu'il conservera, tandis que son cessionnaire l'exercera contre la femme pour celle qu'il aura achetée (1).

Tout cela ne sera-t-il pas contraire à l'intention du législateur, tout en paraissant permis par le texte de l'art. 20? L'affirmative nous paraît évidente. Car nous ne voyons pas pourquoi il aurait défendu d'emprisonner simultanément deux époux dans le seul cas que ce texte paraît indiquer. La raison semble ordonner que cette prohibition doit avoir lieu dans tous les cas possibles, puisqu'en tous cas l'emprisonnement simultané d'un mari et d'une femme produit les mêmes effets que le législateur a voulu prévenir. Cependant nous ne pouvons nous dissimuler que les termes restrictifs de l'article qui nous occupe ne permettent pas d'adopter une telle doctrine. La loi, selon nous, aurait dû la consacrer en déclarant qu'en aucun cas la contrainte par corps ne pourrait être exercée simultanément contre deux époux.

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(1) On pourra pourtant opposer au cessionnaire qu'il n'a pas plus de droit que son cédant, et peut-être l'empêcher par là d'emprisonner celui des époux que celui-ci n'aura point fait incarcérer.

ART. 22.

Tout huissier, garde du commerce ou exécuteur des mandemens de justice, qui, lors de l'arrestation d'un débiteur, se refuserait à le conduire en référé devant le président du tribunal de première instance, aux termes de l'article 786 du Code de procédure civile, sera condamné à mille francs d'amende, sans préjudice des dommages-intérêts.

Il n'y aurait ni amende contre l'huissier, ni nullité de l'emprisonnement, si le débiteur ne demandait à être conduit en référé qu'après avoir été écroué. L'article oblige d'obtempérer à sa demande seulement lors de l'arrestation. (Voy, ci-dessus p. 34, et nos observations, p. 38.) Mais si on n'y obtempérait point alors, son emprisonnement serait nul. (Arrêt de Bourges, 30 nov. 1821, t. 23, p. 364.) Au surplus, que devrait faire le débiteur si l'huissier refusait de le conduire devant le président? (Voy. J. A., t. 8, P. 707.)

ART. 23.

Les frais liquidés que le débiteur doit consigner ou payer pour empêcher l'exercice de la contrainte par corps, ou pour obtenir son élargissement, conformément aux articles 798 et 800, paragraphe 2, du Code de procédure, ne seront jamais que les frais de l'instance, ceux de l'expédition et de la signification du jugement et de l'arrêt s'il y a lieu, ceux enfin de l'exécution relative à la contrainte par corps seulement.

1. Cet article mettra fin aux discussions qui s'élevaient continuellement sur le point de savoir en quoi consistaient les frais liquidés que le débiteur devait payer d'après l'art. 800 C. P. C. pour obtenir sa liberté. Mais quelles soient les limites que le nouvel article donne à ces termes, on est forcé que de reconnaître qu'il offre une contradiction avec l'art. 2063 C. C. et divers articles de la loi dont il fait partie qui défendent d'exercer la contrainte par corpspour les dépens.

2. A la suite de cet article, un député (M. Jacquinot) proposa d'ajouter au projet de 1829 que « tous paiemens postérieurs à la contrainte par corps seraient imputés de droit, et nonobstant toutes stipulations contraires, sur les causes de la contrainte et de l'emprisonnement. » C'était là, sinon déroà l'art. 1256 C. C., du moins établir en présomption légale que le débiteur a plus d'intérêt à acquitter une dette entraînant la contrainte par corps que toutes les autres dont il peut être en même temps tenu. Mais l'addition proposée fut supprimée par la commission chargée de l'examiner, et elle n'a pas été reproduite dans le projet de 1832, qui forme la loi nouvelle.

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ART. 24.

Le débiteur, si la contrainte par corps n'a pas été prononcée pour dette commerciale, obtiendra son élargissement en payant ou consignant le tiers du principal de la dette et de ses accessoires, et en donnant pour le surplus une caution acceptée par

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