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fort compliquées, seraient cependant suffisantes pour nécessiter l'intervention d'un officier civil. La loi indiquait ceux qui auraient qualité pour intervenir; elle fixait aussi les honoraires qui leur seraient dus. Honoraires minimes, sans doute, mais l'apprenti, le plus souvent, est pauvre, et, pour lui, tout le bénéfice de la loi nouvelle se réduirait, peut-être en résumé, à cette innovation.

En quoi le projet l'emportait-il sur les lois précédentes? Il interdisait bien le travail des apprentis le dimanche, mais sans apporter de sanction à cette interdiction. Il énumérait les devoirs de l'apprenti, et les obligations du maître; il définissait les causes de résolution du contrat d'apprentissage, au nombre desquelles, sur la proposition de M. Morellet, fut compris le mariage de l'apprenti.

Le contrat d'apprentissage intéresse une partie considérable de la population: tout ouvrier en France doit d'abord être apprenti. La loi nouvelle était appelée à définir et à fixer les conditions de l'apprentissage, à règler les droits et les devoirs qu'il implique, à protéger et à défendre les intérêts qui s'y trouvent engagés. L'Assemblée, sans aucun doute, se rendait compte de la gravité des questions à traiter, et elle avait à cœur de les résoudre le mieux possible. Mais un aveu tacite, une sorte de conscience secrète de l'impuissance de la loi et de son inutilité en pareille matière, dominèrent la discussion et les articles se succédèrent sans éveiller l'attention.

Quelques modifications furent pourtant apportées au projet primitif de la commission. Ainsi, la loi modifiée reconnaissait le contrat d'apprentissage fait par un acte sous seing privé, ou par couvention verbale. Elle interdisait au maître d'appliquer l'apprenti à des travaux et à des services qui ne se rattacheraient pas à l'exercice de sa profession. Elle prolongeait jusqu'à seize ans, l'âge où l'apprenti qui ne saurait ni lire, ni écrire, ni compter, ou qui n'aurait pas complété son instruction religieuse, serait en droit de prélever, sur la journée de travail, deux heures par jour, pour son instruction. Elle interdisait au maître qui aurait subi une condamnation pour outrage aux mœurs le droit de recevoir des apprentis. Les sanctions pénales avaient été changées, le maximum de l'amende que la commission avait porté à 2,000 fr.

en certains cas de récidive avait été fixé à 300 francs. La pénalité pécuniaire avait été remplacée par l'emprisonnement, qui, selon le projet de la commission, n'était que de un à cinq jours, et qui pourrait être de trois mois.

Conformément au décret du 11 juin 1809, les différends suscités par l'exécution du contrat d'apprentissage, seraient renvoyés devant le conseil des prud'hommes. C'était là, en effet, la magistrature la plus rapprochée des apprentis et des patrons.

Telle est cette loi qui, votée le 22 février, fut sanctionnée le 4 mars. Quelles que fussent ses imperfections et ses lacunes, elle avait l'avantage de refondre et de compléter les dispositions éparses dans des lois diverses, et dont l'insuffisance avait été depuis longtemps signalée. Réclamée dans l'intérêt des familles ouvrières et dans celui de l'industrie, cette loi appartient à la fois à l'ordre moral et à l'ordre économique; elle est l'expression d'une pensée d'humanité, et forme une première base pour l'enseignement professionnel. Entre toutes les mesures se rattachant à l'œuvre d'amélioration morale et matérielle que le gouvernement et l'Assemblée nationale s'étaient efforcés de réaliser dans le domaine du travail industriel, celle-là mérite particulièrement l'attention et l'éloge.

Ce que l'on

Situation des domestiques ou gens à gages. avait fait pour l'apprenti, on chercha à le faire pour une autre classe de mineurs, mal protégés par notre législation, les domestiques ou les ouvriers à gages.

Dix fois déjà, depuis la fondation de la République, on avait essayé de modifier ou de supprimer l'article 1781 du code civil. Aucune de ces tentatives n'avait abouti. Une tentative nouvelle ne fut pas plus heureuse que les autres.

L'article 1781 stipule qu'en cas de contestation entre le maître et le domestique, ou ouvrier à gages, le maître est cru sur son affirmation, 1° pour la qualité des gages, 2° pour le payement du salaire de l'année échue, 3° et pour les à-comptes donnés sur l'année courante. Est-il nécessaire de faire remarquer combien l'article 1781 blesse les principes généraux de notre droit. Le législateur établit la règle, mais c'est le juge qui l'applique, il y aurait empiétement de l'un sur l'autre si le législateur prétendait

juger, et le juge légiférer. Or, le juge a pour mission d'examiner si les faits qui lui sont déférés rentrent dans les catégories prévues par la loi, et les faits s'apprécient par les intentions des parties. Ordonner au juge de s'en rapporter à la déclaration de telle ou telle partie, c'est décréter à l'avance qu'on est nécessairement de bonne foi dans une situation donnée. Par l'art. 1781, le législateur intervient dans le procès, le juge n'a plus la liberté de sa conscience. En vain lui serait-il démontré que le maître est de mauvaise foi, il faut qu'il se conforme à cette déclaration.

C'est cet article dont M. Nadaud et plusieurs de ses collègues demandaient l'abrogation pure et simple. De leur côté, MM. Heurtier et Riché avaient présenté une proposition ayant pour but de conférer aux domestiques attachés au service de la personne ou du ménage la faculté de faire constater leurs conventions par des livrets de compte, faute de quoi, le domestique aurait été censé avoir suivi la foi du maître, et s'en être référé, par conséquent, aux règles posées dans l'article 1781 sur le livret devraient être inscrits la quotité des gages et le payement des à-compte.

Le rapporteur de la commission, M. Chegaray, exposa que l'abrogation de l'article 1781 du Code civil affecterait deux ordres de relations fort distinctes, celles des maîtres et des domestiques et celles des patrons et des ouvriers. La domesticité, situation légale parfaitement reconnue, dit le savant rapporteur, a pour conditions essentielles, pour conséquences nécessaires, une certaine autorité de la part du maître, une certaine subordination de la part du domestique, une très-grande confiance mutuelle de l'un envers l'autre; de là, dans nos lois, plusieurs dispositions spéciales, qui, sans doute, sont des exceptions au droit commun, mais qui résultent forcément d'une situation exceptionnelle, et dont le plus grand nombre sont même à l'avantage des domestiques, par exemple le privilége pour le payement de leurs gages et salaires; toutes ces dispositions, corrélatives entre elles, forment le code de la domesticité et garantissent autant que possible la bonne harmonie dans les intérieurs. Quant à ce qui concerne les relations des patrons et des ouvriers, la commission avait reconnu que l'article 1781 était susceptible

de modifications, mais de modifications qui réclamaient une étude sérieuse, soit en elles-mêmes, soit dans les rapports avec l'ensemble de la législation. La proposition, sur ce point du moins, appelait donc un examen (12 avril).

Aussi, la commission adopta-t-elle la proposition de MM. Riché et Heurtier, avec quelques modifications de détail. La prise en considération fut votée par 381 voix contre 231 (12 avril).

Mais lorsque vint le jour de la discussion, la légèreté et la négligence de l'Assemblée ne laissèrent aucune place à une discussion sérieuse. Historien impartial, nous devons enregistrer le bien comme le mal et nous ne saurions passer sous silence ces défaillances d'attention et d'intelligence, qui seront plus tard des éléments curieux de l'histoire parlementaire.

Le rapport insistait, cette fois encore, sur la préférence à accorder à l'affirmation des maîtres. C'était à bon droit, suivant la commission, que la loi, en présence des incertitudes et des dangers d'une preuve testimoniale, avait cru devoir ajouter foi de préférence à celle des parties dont l'éducation le plus souvent supérieure, semble promettre le sentiment le plus élevé de la sainteté des serments; à celle qui, habituellement plus connue dans le pays par une résidence plus fixe, doit hésiter le plus à changer sa considération contre le bénéfice d'un parjure; à celle enfin, qui ayant des besoins moins pressants que l'autre, peut être présumée moins accessible à de mauvaises tentations.

A ces considérations, la commission en avait ajouté d'autres empruntées à un ordre plus élevé. Le domestique vit dans l'intimité du maître et du patron: il est de la famille; il participe aux devoirs des enfants envers le chef, dont la loi l'oblige sans doute à reconnaître l'autorité, mais dont elle lui permet aussi d'invoquer la protection. N'a-t-elle pas, en effet, placé la responsabilité civile du maître à la suite de celle du père (art. 1584)? Ne présume-t-elle pas en faveur du domestique l'affection du maître testateur (art. 1023)? Ne frappe-t-elle pas des mêmes peines, des mêmes flétrissures, la profanation des rapports de famille, que l'auteur du crime soit l'ascendant, le tuteur ou le maître (art. 332 et 353 du Code pénal) ? Les mœurs, dans les cam

pagnes surtout, rapprochent la condition du domestique de celle des enfants; il a sa place à la table et au foyer, il est initié à tous les secrets, il est le confident obligé de ces malheurs intimes qui viennent parfois attrister la maison la plus honnête. Ne serait-il pas regrettable d'altérer ces relations, d'y laisser pénétrer des germes de discorde, des pensées de procès et de scandale? Et ce résultat ne serait-il pas à craindre si les garanties contenues dans l'art. 1781 étaient entièrement abolies?

Cette thèse, développée par M. Riché, trouva des adversaires chaleureux dans MM. Dain et Chauffour. Ce dernier orateur posa la question en termes très-simples. L'article 1781 établit une présomption de bonne foi pour les maîtres, de mauvaise foi pour les domestiques. Est-ce là, dit-il, une disposition compatible avec l'esprit démocratique de notre législation, avec le grand principe de l'égalité devant la loi, que la Constitution de 1848 reconnaît comme une de ces vérités supérieures aux Codes et aux lois écrites? Il est vrai que l'art. 13 proclame d'une manière spéciale l'égalité des rapports entre les patrons et les ouvriers; mais cet article, introduit dans un but tout particulier, n'a rien d'exclusif pour les domestiques. La Constitution qui les admettait au plein exercice des droits politiques ne pouvait consacrer à leur préjudice une infériorité dans l'exercice de leurs droits civils. Cette infériorité, on a beau chercher à la justifier par l'intérêt de la famille, par une assimilation forcée entre les enfants et les domestiques, elle n'en reste pas moins une atteinte portée à la dignité humaine, en même temps qu'une marque de méfiance contre la juridiction appelée par sa compétence à connaître des contestations entre les maîtres et les serviteurs.

Voilà les deux principes entre lesquels la discussion était engagée.

Le premier article du projet adopté par la commission était ainsi conçu : « Les conventions entre les maîtres et les domestiques, ou gens de travail, seront constatées par des livrets de compte dont la forme sera déterminée par des règlements. >>

Cet article offrait deux inconvénients assez graves. Il appliquait la formalité du livret aux gens de travail, c'est-à-dire (en le rapprochant de l'art. 4), aux ouvriers autres que ceux des manufac

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