Page images
PDF
EPUB

concernaient les criminels politiques 13. Ceux-ci ont été extradés, avant qu'on ait songé à rechercher, au delà des frontières, les vulgaires assassins et les vulgaires voleurs. Pourquoi cette interversion dans le sentiment des « crimes d'État », ce contraste entre le présent et le passé? Les motifs de cette évolution du droit pénal sont tirés, soit de la nature des délits politiques, soit de considérations internationales. a) Les délits politiques sont moins dirigés contre les bases mêmes de la vie sociale que contre l'ordre établi ils n'ont donc pas la même nature que les délits de droit commun ". Les mobiles qui poussent à agir dans le délit politique sont le plus souvent désintéressés, quelquefois même louables; le but que l'on veut atteindre n'a pas ce caractère personnel et égoïste qui inspire le malfaiteur ordinaire le délit politique n'a donc pas la même immoralité que le délit de droit commun. Une législation rationnelle réprimera ces deux espèces de délits par des peines différentes. b) D'autre part, la faculté, pour un gouvernement, d'accorder ou de refuser l'extradition en matière politique, aurait fatalement pour conséquence d'appeler chaque État à s'immiscer dans les affaires. intérieures d'un autre État, et à se faire juge du caractère plus ou moins excusable d'une attaque contre les pouvoirs établis : la prudence internationale a su éviter toutes ces questions en refusant l'extradition des criminels politiques 15.

13 Comp. RENAULT, op. cit., p. 56; STIEGLITZ, op. cit, p. 86; BERNARD, op. cit., t. 1, p. 251.

14 Il convient de remarquer, du reste, combien le caractère des délits politiques tend, depuis quelques années, à se transformer dans la plupart des pays de l'Europe. Il s'agit moins, pour le délinquant, de changer le gouvernement que de changer la société elle-même. Cette évolution du délit politique amènera, nous n'en doutons pas, une évolution dans la manière de le considérer.

15 Cfr. RENAULT, op. cit., p. 61, qui a très bien expliqué pourquoi l'extradition ne s'applique pas aux crimes politiques. Je ne pense pas, en effet, que ce soit par un sentiment de fausse sentimentalité, que cette règle ait été établie. « L'asile des temps antiques a été réédifié au profit des victimes des dissensions civiles »... « Les proscrits sont redevenus sacrés ». Je le veux bien mais pourquoi? Ces proscrits sont-ils donc intéressants? Placés au-dessus de la loi par un privilège dont quelques-uns peut-être sont dignes, parce que, de bonne foi, ils ont rêvé le progrès, et combattu pour son

Du reste, une double évolution se produit, sous nos yeux, dans le sentiment des crimes politiques. D'une part, la distinction faite, par les législations modernes, entre les actes qui attaquent l'État, c'est-à-dire, l'organisation politique d'un pays, et ceux qui attaquent la Nation, c'est-à-dire, la patrie, tend à préciser et à restreindre aux seuls « crimes contre la sûreté intérieure de l'État » la notion de la criminalité politique. D'autre part, à côté de la notion du délit politique, naît et se développe la notion du délit social. Celui qui se montre réfractaire non plus. seulement à l'ordre social établi, mais à tout ordre social, se rapproche du délinquant de droit commun, bien plus que du délinquant politique; ce n'est plus seulement un anti-gouvernemental, c'est un anti-social. Et alors le sentiment utilitaire de la conservation, plus fort que toutes les théories, fait reprendre, contre les criminels nihilistes et anarchistes, les anciennes sévérités et remettre en vigueur les anciennes mesures 16.

S VI.

CLASSEMENT DES INFRACTIONS AU POINT DE VUE
DE LEUR ÉTENDUE

(C. p., art. 5.)

110. Délits spéciaux par

109. Double sens de ces mots « délits spéciaux ». leur caractère. 111. Délits spéciaux par la disposition qui les prévoit. — 112. Intérêt de la classification des délits en délits communs et délits spéciaux.

109. Des infractions peuvent être spéciales à deux points de vue distincts.

triomphe, le plus grand nombre de ces agitateurs sont des coupables ambitieux, poussés par le désir d'arriver au pouvoir en sacrifiant à leurs espérances la tranquillité et la vie de leurs concitoyens. Seulement, qui fera ce triage? Le gouvernement du pays refuge. Ne voit-on pas quelles difficultés, quels conflits amènerait une pareille question? L'exclusion des délits politiques des faits passibles d'extradition est donc une mesure, peut-être transitoire (Cfr. BERNARD, t. II, p. 253), mais, dans tous les cas, utile dans l'état actuel des rapports internationaux. Cfr. HEFFTER, Droit international, § 63. p. 130.

16 Voy., pour les développements, ma brochure sur L'anarchie et la répression (Paris, 1896), nos 10 à 13. En sens contraire: GRIVAZ, op. cit., p. 292.

110. Elles peuvent être spéciales, parce qu'elles résultent de la violation non des devoirs communs à tous les membres de la société, mais des devoirs spéciaux qui s'imposent à certaines personnes à raison de leur fonction ou de leur état1. Parmi les infractions qui ont ce caractère, les plus importantes sont les infractions militaires. L'article 5 du Code pénal nous dit expressément que « Les dispositions du présent Code ne s'appliquent pas aux contraventions, délits et crimes militaires ».

Mais qu'est-ce qu'on entend par une infraction militaire2? Deux manières de résoudre la question sont possibles: on peut se préoccuper de la nature de l'infraction et ne voir de délit de ce genre que dans la violation du devoir militaire; ou bien, au contraire, attacher ce caractère à la situation personnelle de l'auteur du délit et voir une infraction militaire, dans toute infraction commise par un militaire. Sans remonter au droit antérieur à la Révolution, on trouve les systèmes les plus divers dans la législation de notre pays. Dans le décret des 22 septembre5 octobre 1790, l'Assemblée constituante avait d'abord posé le principe rationnel de la séparation des délits et des juridictions (art. 12), puis elle avait, dans l'article 2, défini les « délits civils, ceux commis en contravention aux lois générales », en décidant que ces délits seraient du «< ressort de la justice ordinaire, quand même ils auraient été commis par un officier ou un soldat3», et les délits militaires, « ceux commis en contraventions à la loi militaire par laquelle ils sont définis ». Ces derniers étaient seuls, en temps de paix, de la compétence de la justice militaire. Mais la

§ VI. De la loi 2 D., De re militari, nos anciens auteurs, généralisant à l'excès, ont tiré la classification des délits en delicta communia et delicta propria : « Militum delicta aut propria sunt, aut cum cæteris communia....... Proprium militare est delictum, quod quis uti miles admittet ».

2 Sur la question Francis LALOë, Observations sur la compétence des conseils de guerre de l'armée de terre (Paris, 1894). Ce travail, très intéressant et très complet, s'occupe de la compétence actuelle et de la compétence rationnelle des conseils de guerre. Voy. Albert DESJARDINS, Jurisprudence des conseils de guerre et des conseils de révision (Rev. crit., 1886, p. 1 et suiv.).

3 L'art. 3 du décret des 20 septembre-19 octobre 1791 précise la même idée.

Convention, convaincue qu'il était impossible de conserver à l'armée le jury et les tribunaux, « si inconvenants sous beaucoup de rapports », posa, dans l'article 1er du décret du 2e jour complémentaire de l'an III, cette nouvelle règle que « tout délit commis par un militaire ou par tout autre individu attaché aux armées ou employé à leur suite sera jugé à l'avenir par un conseil militaire ». La loi du 13 brumaire an V, qui a créé les conseils de guerre permanents qui existent encore aujourd'hui, adopta le même point de vue. Cette loi n'était que provisoire; elle ne devait rester en vigueur que jusqu'à la paix. La question de savoir à quel caractère on reconnaîtrait les délits militaires, se posa donc, devant le Conseil d'État, pendant les travaux préparatoires du Code pénal. Après avoir séparé les infractions de droit commun des infractions militaires dans l'article 5 qui a été adopté, le projet, dans un article 6, définissait les infractions militaires, en revenant au système de la compétence ratione materiæ. Après de vives et successives discussions, la question fut renvoyée à une loi spéciale et l'article 6 abandonné. Ce n'est qu'en 1857 qu'elle devait être reprise et aboutir. En effet, les infractions militaires sont l'objet de deux Codes distincts, l'un des 9 juin-4 août 1857, qui est le Code de justice militaire pour l'armée de terre; l'autre, des 4-13 juin 1858, qui est le Code de justice militaire pour l'armée de mer". Les délits militaires sont soustraits à la juridiction commune et soumis à des tribunaux militaires, dont les Codes de 1857 et de 1858 présentent l'organisation, à côté de la détermination des infractions et des peines.

Le Code militaire pour l'armée de terre range les faits punissables en trois classes: 1° les fautes de discipline et les contraventions de police, punies, pour les militaires, d'un emprisonnement dont la durée ne peut excéder deux mois (C. just. mil., art. 210); 2° les délits correctionnels, pour la répression desquels le Code militaire établit les peines spécifiées dans son article 186; 3° les crimes, à raison desquels les peines portées dans l'article 185 sont applicables. A la division tripartite des

4 LOCRÉ, Législation de la France, t. XXIX, p. 94, 107.

5 Voy. MOLINIER, Études juridiques et pratiques sur le Code de justice militaire pour l'armée de terre (Paris et Toulouse, 1857).

infractions ne correspond pas, comme dans la législation ordinaire, l'établissement de trois ordres de tribunaux. La législation militaire n'établit qu'un tribunal unique, le conseil de guerre. Elle confère des attributions spéciales aux prévôtés qui ne sont établies qu'au sein des armées. Les conseils de révision ne constituent pas un second degré de juridiction, mais simplement une Cour de cassation qui a pour objet de maintenir l'observation de la loi.

La compétence des conseils de guerre de l'armée de terre est actuellement déterminée et par le Code de 1857 et par la loi sur le recrutement du 15 juillet 1889; elle varie suivant que la nation et l'armée se trouvent en état de paix, en état de guerre, ou en état de siège. Une disposition s'applique également à chacune de ces trois situations: c'est celle en vertu de laquelle la justice militaire ne connaît pas de l'action civile (art. 53, 54 et 272). a) En temps de paix, la compétence des conseils de guerre est fondée sur la qualité de la personne; elle résulte du caractère militaire du coupable. En principe, tout individu appartenant à l'armée, au moment où il accomplit l'infraction, est donc justiciable de ces conseils (art. 55, 56, § 1, 271). b) L'état de guerre résulte d'une mobilisation ordonnée par décret du Président de la République. Dès la promulgation de ce décret, il y a lieu de suivre les règles de la compétence établie pour les conseils de guerre aux armées. L'extension de la compétence, qui porte tout à la fois sur les personnes et sur les faits, varie suivant que l'armée est sur le territoire français, loin de l'ennemi, ou sur le territoire ennemi. Aux justiciables des conseils de guerre en temps de paix, viennent s'ajouter, dans le premier cas, « les individus employés à quelque titre que ce soit dans les états-majors et dans les administrations et services qui dépendent de l'armée; les vivandiers et vivandières, cantiniers et cantinières, les blanchisseurs, les marchands, les domestiques et autres individus à la suite de l'armée en vertu de permission » (C. just. mil., art. 62). L'article 64 dispose, dans le second cas, que tout étranger, prévenu de crimes et délits militaires, sera, s'ils sont commis dans l'arrondissement de l'armée, en présence de l'ennemi, jus

« PreviousContinue »