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temps passés, que le bien que la Providence en a fait sortir.

>> A ces touchantes expressions des vœux que forme aujourd'hui, pour nous, cette même Europe que nous avons si long-temps tourmentée, plus qu'aucun autre, le maréchal Ney s'est senti soulagé tout à coup de l'une de ses peines les plus cruelles ; il a reçu la plus douce et la plus salutaire des consolations. Il en eût trop coûté à cette âine qui fut toujours compatissante aux maux que son bras avait été forcé de faire à l'ennemi, de vérifier qu'en effet celui-ci, redevenu vainqueur, au sein de la victoire, ne lui pardonnait pas des avantages désormais plus que compensés, et qu'il s'acharnait à sa perte, au point de la demander à grands cris aux tribunaux français.

» Ainsi donc, le tableau déchirant de l'accusation cesse d'être rembruni par les hideuses couleurs d'un crime froidement calculé, et de l'Europe conjurée pour en poursuivre judiciairement l'expiation.

» Il ne me reste donc plus, Messieurs, qu'à vous convaincre de ces propositions inverses : que, dans la matinée du 14 mars, le maréchal Ney n'a pris aucune détermination spontanée; qu'il n'a point agi de son propre mouvement; qu'il a simplement cédé à la force majeure la

plus irrésistible; qu'il a été loin, en y cédant, d'imaginer qu'il allait décider du sort de la cause royale, et d'en entreprendre la ruine; qu'il y a dans tous les cas, une injustice évidente à s'en prendre au maréchal Ney, à sa démarche isolée, de même qu'à sa volonté, des funestes suites du retour de Bonaparte.

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» Dans le développement de ces moyens les plus directement justificatifs, je n'oublierai pas,. Messieurs, ce qu'a hautement proclamé dans cette enceinte, le 23 novembre dernier, l'éloquent organe du ministère public, que vous étiez des jurés dont les nobles consciences ne pouvaient pas être assujetties à tant de formes. Je ne me séparerai pas de cette idée, que je parle devant un grand juri national, l'élite et l'ornement de la France, convoqué spécialement pour prononcer sur un fait survenu dans l'une des crises les plus violentes que l'état puisse jamais éprouver ; que c'est, en un mot, de la connaissance d'un événement politique, né des nos discordes civiles, que vous êtes exclusivement saisis.

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» Cette part faite aux arbitres suprêmes de l'intention, aux appréciateurs éclairés des réelles de l'événement dont nous gémissons tous à la loyauté si étrangement compromise d'un maréchal de France, et, je puis l'ajouter, à la dignité

du trône et de la famille régnante, il restera pour les conseils du maréchal Ney à prouver que le fait qui lui est imputé n'est prévu par aucune des lois existantes.

>>> Dans cette deuxième partie de la défense, vous serez loin, Messieurs, de voir désormais le maréchal de France marchandant sa vie, et s'épuisant en moyens de droit, pour conserver ce qu'il a si souvent prodigué. Vous ne verrez que le défenseur de la loi, dévoué également et au prince légitime et à la patrie, aspirant de tous ses vœux au bonheur de l'un et de l'autre, fortement convaincu que les événemens déplorables du mois de mars sont dus à une fatalité sans exemple, qui heureusement ne saurait se reproduire.

>> J'examinerai donc successivement avec toute l'indépendance de la fonction que j'exerce ici, avec toute la circonspection que m'impose l'intérêt public, si ces événemens de mars sont de nature à faire retomber la criminalité sur d'autres que leur détestable auteur (Bonaparte), et trèsintermédiairement sur le maréchal Ney, en particulier ?

Si l'Europe, qui s'est armée contre ce grand coupable,ayant renoncé au droit qu'elle avait de le frapper, le maréchal Ney, qu'on prétend avoir été

son complice, pourrait être traité avec moins de ménagement?

» Si aucune des circonstances qui caractérisent, dans l'espèce, le crime politique le plus imprévu, comporterait une application raisonnable des peines portées, soit par le code pénal, promulgué en 1810, contre les auteurs ou complices des crimes qu'il a définis, soit par le code pénal militaire ?

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Si, à ces événemens de mars, n'a pas sucédé en France, heureusement pour un court intervalle, un ordre de choses suffisamment reconnu, même encore à présent, pour rendre impraticable la poursuite criminelle intentée contre le maréchal Ney?

» Enfin, si de l'ensemble des conventions politiques, arrêtées entre la France et les puissances alliées, les 30 mai 1814, 3 juillet et 20 novembre 1815, il ne résulte pas que les fautes provenues d'erreurs d'opinion doivent être remises?

» Je terminerai, Messieurs, par des considérations respectueuses sur ce que la magnanime bonté du roi nous permet d'espérer, dans le cas où, éclairée par votre délibération sur ce procès, elle reconnaîtrait qu'en effet le maréchal Ney, trompé sur les vrais intérêts de la France, a été loin de vouloir rien méditer ni exécuter qui lui fut contraire.

PREMIERE PARTIE.

Refutation de l'acte d'accusation et des six Chefs de criminalité dont il se compose.

» Jamais on ne parviendra à qualifier exactement la conduite tenue par le maréchal Ney, dans la matinée du 14 mars, si l'on n'a pas commencé par se mettre franchement d'accord sur la naturė qu'avaient dès leur principe, ou, en tout cas, sur le Caractère qu'avaient acquis ce jour-là, jour-là, les événemens déplorables auxquels le maréchal a eu le malheur de prendre part.

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» A en raisonner d'après l'acte d'accusation ne se serait agi, encore au 14 mars, que d'un complot tramé par les fraudes et les intrigues de Bonaparte, secondé par quelques manoeuvres dans l'intérieur, et qui n'était encore soutenu que par une poignée d'hommes ! Ce serait la défection subite du maréchal Ney, ce seraient ses provocations toutes seules qui auraient ébranlé la fidélité des troupes sous ses ordres, et qui les auraient contraintes en quelque sorte à quitter les meilleures résolutions pour suivre leur chef dans la route du parjure où il les entraînait après lui! » Vue de cette manière, la conduite du maré

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