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ses membres ayant été séparés les uns des autres, il finit sa vie dans les tourmens. Charégisile avait été aussi léger dans ses actions que chargé de cupidité. Sorti de bas lieu, il prit par ses flatteries beaucoup de crédit auprès du roi. Il envahissait les biens des autres, violait les testamens, et il mourut de cette manière, afin que celui qui avait souvent détruit les dernières volontés des morts n'obtînt pas, au moment où la mort vint tomber sur lui, le pouvoir de dicter lui-même ses volontés.

Chilpéric, entre la mort et la vie, attendait, immobile et en suspens, ce qui allait arriver de lui, lorsque des messagers vinrent lui annoncer la mort de son frère; alors il sortit de Tournai avec sa femme et ses fils, et fit ensevelir Sigebert dans le bourg de Lambres; transporté ensuite à Soissons dans la basilique de Saint-Médard qu'il avait bâtie, Sigebert y fut enterré près de son père Clotaire. Il mourut la quatorzième année de son règne, âgé de quarante ans. Depuis la mort de Théodebert 1er jusqu'à celle de Sigebert, on compte vingt-neuf ans, et dix-huit entre la mort de Sigebert et celle de son neveu Théodebert. Sigebert mort, son fils Childebert régna à sa place.

On compte deux mille deux cent quarante ans depuis le commencement du monde jusqu'au déluge; neuf cent quarante- deux depuis le déluge jusqu'à Abraham; quatre cent soixante - deux jusqu'à l'époque où les enfans d'Israël sortirent d'Egypte ; quatre cent quatre-vingts depuis la sortie d'Egypte jusqu'à l'édification du temple de Salomon; trois cent quatre-vingts depuis l'édification du temple jusqu'à

sa destruction et la transmigration à Babylone; six cent soixante-huit de la transmigration jusqu'à la passion de notre Seigneur; quatre cent douze de la passion de notre Seigneur à la mort de saint Martin; cent douze de la mort de saint Martin à la mort du roi Clovis ; trente-sept de la mort du roi Clovis jusqu'à la mort de Théodebert; vingt-neuf de la mort de Théodebert jusqu'à celle de Sigebert, ce qui fait ensemble cinq mille sept cent soixante-quatorze ans.

LIVRE CINQUIÈME.

Il me pèse d'avoir à raconter les vicissitudes des

guerres civiles qui écrasent la nation et le royaume des Francs, et, chose cruelle, nous ont déjà fait voir ces temps marqués par le Seigneur comme le commencement des calamités; « Le frère livrera le frère à << la mort, et le père le fils; les enfans se soulèveront «< contre leur père et leur mère, et les feront mourir1.>> Ils auraient dû cependant se laisser effrayer par les exemples des rois anciens qui, une fois divisés, succombaient aussitôt sous leurs ennemis. Combien de fois la ville des villes elle-même, la capitale du monde entier, n'a-t-elle pas été vue, en s'engageant dans la guerre civile, tomber du coup, et, la guerre cessée, se relever comme de terre? Plût à Dieu et à vous, ô rois! que vous voulussiez exercer vos forces dans des combats semblables à ceux que livrèrent vos pères à la sueur de leurs fronts, afin que les nations, frappées de terreur à la vue de votre union, fussent subjuguées par votre valeur. Rappelez-vous ce qu'a fait Clovis, celui qui marche en tête de toutes vos victoires, ce qu'il a mis à mort de rois ennemis, anéanti de nations contraires, subjugué de pays et de peuples; par quoi il vous a laissé le royaume dans toute sa force et son intégrité; et lorsqu'il fit ces choses il ne possédait ni 'Ev. sel. S. Math. chap. 10, v. 21.

or ni argent, comme vous en avez maintenant dans vos trésors. Que faites-vous ? que demandez-vous? quelles choses n'avez-vous pas en abondance? Dans vos maisons les délices surpassent vos desirs; vos celliers regorgent de vin, de blé, d'huile; l'or et l'argent s'accumulent dans vos trésors. Mais une seule chose vous manque, la grâce de Dieu, parce que vous ne conservez pas entre vous la paix. Pourquoi l'un prendil le bien de l'autre ? Pourquoi chacun convoite-t-il ce qui n'est pas à lui? Prenez garde, je vous en prie, à ce que dit l'apôtre : « Si vous vous mordez « et vous dévorez les uns les autres, prenez garde « que vous ne vous consumiez les uns les autres 1. » Examinez avec soin les écrits des anciens, et voyez ce qu'ont engendré les guerres civiles; recherchez ce qu'a écrit Orose sur les Carthaginois, lorsque racontant qu'après sept cents années leur ville et leur empire furent détruits, il ajoute : « Qui les a conservés << si long-temps ? la concorde ; qui les a détruits après << un si long temps? la discorde. » Gardez-vous de la discorde, gardez-vous des guerres civiles qui vous tourmentent vous et vos peuples. Que pouvez-vous espérer, si ce n'est qu'après la destruction de vos armées, demeurés sans appui, vous ne tombiez bientôt accablés par les nations ennemies? Si la guerre civile te plaît, ô roi! exerce-toi à ces combats que l'apôtre avertit l'homme de livrer en lui-même; que l'esprit ambitionne de surmonter la chair, et que les vices soient vaincus par les vertus: libre alors, sers ton maître qui est le Christ; au lieu qu'enchaîné tu servais celui qui est la source de tout mal.

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Le roi Sigebert ayant été tué auprès de Vitry 1, la reine Brunehault se trouvait à Paris avec ses fils; et comme on lui eut apporté la nouvelle de ce qui était arrivé, et que, troublée par la douleur et le deuil, elle ne savait ce qu'elle avait à faire, le duc Gondebaud enleva secrètement son fils Childebert encore petit enfant, et, le dérobant à une mort certaine, rassembla les peuples sur lesquels avait régné son père, et l'établit pour roi à peine âgé d'un lustre. Il commença à régner le jour de la naissance du Seigneur. La première année de son règne, le roi Chilpéric vint à Paris, et, s'étant saisi de Brunehault, l'envoya en exil dans la ville de Rouen, et s'empara de ses trésors qu'elle avait apportés à Paris. Il ordonna que ses filles fussent retenues prisonnières dans la ville de Meaux. Alors Roccolène vint à Tours avec les gens du Maine, pilla et commit beaucoup de crimes. Nous raconterons ensuite comment il périt, frappé par saint Martin, en punition de tout le mal qu'il avait fait.

Chilpéric fit marcher vers Poitiers son fils Mérovée, à la tête d'une armée; mais celui-ci, négligeant les ordres de son père, vint à Tours et y passa les saints jours de Pâques. Son armée ravagea cruellement tout le pays, et lui, feignant de vouloir aller trouver sa mère, se rendit à Rouen, y rejoignit la reine Brunehault et la prit en mariage. Chilpéric ayant appris que, contre l'honnêteté et les lois canoniques, Mérovée avait épousé la femme de son oncle, en sentit une grande amertume, et plus prompt que la parole, s'avança vers la ville de Rouen. Mais comme ils reconnurent qu'il avait l'intention de les séparer, ils se

! En 575.

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