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tures, fabriques ou ateliers, en d'autres termes aux ouvriers ruraux. Or, les circonstances dans lesquelles les engagements, se font dans les campagnes, la nature de ces engagements, le peu de lumières des contractants, souvent complétement illettrés, sont un obstacle à ce que le livret puisse pénétrer dans l'industrie agricole. En second lieu, la commission entendait que la forme des livrets fût déterminée par des règlements municipaux, ce qui eût tout simplement rendu le projet impraticable. Ajoutons, pour être juste, qu'elle finit par reconnaître son erreur et par substituer à des règlements rédigés par les autorités municipales, un règlement d'administration publique délibéré en conseil d'État.

M. Chauffour combattit avec talent l'article 1er. Aux objections de principe, il joignit une protestation contre la formalité despotique des livrets, et conclut en proposant un amendement qui ruinait le projet tout entier. Cet amendement fut repoussé au scrutin de division par 322 voix contre 280.

Quel était alors le rôle de la gauche ? Evidemment de se rattacher au projet de la commission, en cherchant à le faire modifier dans un sens plus libéral, en se ralliant, par exemple, à un amendement de M. Faure (des Hautes-Alpes), qui demandait qu'à défaut de livret les contestations fussent décidées sur l'affirmation de celle des parties à laquelle le juge croirait devoir déférer le serment. Au lieu de suivre cette voie, qui était à la fois la plus logique et la plus digne, la gauche préféra combattre purement et simplement le projet.

M. Dain, dans un discours dont la vivacité touchait à la violence, reprit les arguments de M. Chauffour. A partir de ce moment, la discussion devint si confuse que, lorsque l'article fut mis aux voix, l'Assemblée vota en hésitant et sans comprendre le sens de la décision qu'elle allait prendre. L'article 1er fut rejeté contre toute attente, au milieu d'un rire général.

Restait l'amendement de M. Nadaud, qui proposait l'abrogation de l'article 1781 il fut rejeté à une grande majorité.

Le résultat final ne satisfaisait donc personne. L'article 1781 du code civil était maintenu intact, malgré la gauche qui en demandait l'abrogation, malgré la commission qui en subordonnait

l'application au défaut du livret, malgré le gouvernement qui, autant qu'on put en juger par quelques paroles de M. Rouher, se ralliait à l'opinion de la commission (9 mai).

Nous avons insisté sur ce triste spectacle d'insuffisance parlementaire, pour donner une idée de la stérilité des discussions, qui n'intéressaient pas à un haut degré les passions politiques. Quant au résultat en lui-même, de quelque façon bizarre qu'il eût été acquis, pouvait-on regretter de voir qu'on n'eût pas touché imprudemment à un article du code civil et modifié dans un de ses principes ce monument respecté de notre législation. Sans doute il y avait là quelque chose à faire, un progrès à réaliser, mais on pouvait préférer le maintien de ce qui existe à une improvisation législative, effet du caprice ou du hasard.

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Mont-de-piété. Ces établissements qui furent, à l'origine, une œuvre de charité, exigent aujourd'hui des emprunteurs un intérêt usuraire : ils prêtent, en effet, à 9, 10, 13 pour 100, et plus encore si l'emprunteur se sert de l'entremise des commissionnaires. Il était donc devenu urgent de songer à réduire le plus possible l'intérêt des prêts sur gage.

Un projet encore bien insuffisant fut préparé dans ce but. Une seule disposition importante y était contenue. Un mont-de-piété fait des bénéfices qui ne proviennent pas seulement de la différence de l'intérêt payé d'avec l'intérêt reçu, à savoir les bonis, qui résultent de la vente des objets remis en gage, non réclamés dans les délais, vendus à un prix supérieur et dont le propriétaire n'aura pas été retrouvé. Ces bénéfices sont ordinairement versés dans la caisse des hospices; le mont-de-piété de Paris a ainsi versé, depuis sa fondation, 15 millions. Or, le projet voulait que ces bénéfices fussent retenus par les monts-de-piété pour être ajoutés à leur dotation, ou pour leur en former une. De cette manière, ces établissements parviendraient à se constituer peu à peu un capital dont ils ne paieraient l'intérêt à personne et ils pourraient alors abaisser l'intérêt de leurs prêts. Par exemple, le mont-de-piété de Paris opère sur 20 millions. S'il eût possédé, en 1851, les 13 millions abandonnés aux hospices, il n'eût eu à réclamer des emprunteurs que l'intérêt de 7 millions et ses frais.

Le projet du gouvernement supprimait les commissionnaires,

à l'entremise desquels il faut attribuer en grande partie l'exagération de l'intérêt payé par les emprunteurs. La commission de l'Assemblée avait préféré ne pas trancher la difficulté : elle en attribuait la solution à l'administration de chaque établissement particulier.

Venait ensuite un contre-projet présenté par deux membres de la Montagne, MM. Benoît (du Rhône) et Charassin, portant établissement dans chaque canton de la République, d'un mont-depiété qui s'appellerait caisse de prêt. Les auteurs de ce projet grandiose, n'avaient oublié qu'une seule chose, les voies et moyens, à moins qu'on ne prît au sérieux la proposition par eux faite de dépouiller de leurs biens les hospices, les établissements de charité et, le croirait-on, les caisses d'épargne.

Enfin, un contre-projet dû à M. Sain différait de celui de la commission sur un point, l'institution des commissionnaires qu'il supprimait sans indemnité, leurs charges ne constituant point de droits à leur profit.

L'attribution aux monts-de-piété de leurs excédants de recette comme dotations fut votée sans discussion. La suppression des commissionnaires, devant laquelle avait reculé la commission, fut formulée par M. Peupin dans un amendement chaleureusement et habilement développé. Combattu par M. Berger, préfet de la Seine, l'amendement fut adopté (11 avril).

Encore une discussion confuse, embarrassée, à laquelle l'Assemblée ne prêtait qu'une attention distraite. Qu'on se le rappelle, on était alors en pleine crise ministérielle.

Lorsque revint la question, lors d'une délibération nouvelle (24 juin), la suppression des commissionnaires fit encore à peu près tous les frais de la discussion. Un fait sérieux s'était produit dans l'intervalle des deux délibérations. Des réclamations contre le vote qui avait supprimé les commissionnaires avaient été adressées par les administrations des monts-de-piété de province, notamment celles de Rouen, de Bordeaux, de Lille,, de Versailles, de Douai et de Valenciennes. Il est certain que la discussion qui avait précédé le vote avait roulé surtout sur le mont-de-piété de Paris. Or, tous les établissements de prêt autorisés par le gouvernement ne se trouvent pas tous dans les mêmes conditions:

une règle absolue pouvait manquer d'élasticité et offrir d'un côté des inconvénients insuffisants pour compenser les avantages qu'elle réalisait de l'autre. Aussi la commission, contre l'avis de laquelle la suppression des commissionnaires avait été adoptée, avait-t-elle cru devoir persister dans sa première opinion.

La disposition qu'elle présentait n'était, au surplus, qu'une disposition neutre, une mesure de transaction. Elle ne consacrait pas l'institution des commissionnaires; loin de là. Le rapporteur reconnut que ces derniers n'étaient pas possesseurs d'offices, qu'ils n'avaient aucun droit à réclamer, qu'ils existaient seulement a par convenance, par habitude, par nécessité. >>

En fait même, la commission ne les maintenait pas d'une manière positive; elle ne prescrivait pas la création de bureaux auxiliaires, mais elle ne voulait pas que la question fût tranchée dès aujourd'hui elle craignait que la suppression subite des intermédiaires ne fût funeste à l'intérêt public, le seul dont il y avait lieu de se préoccuper, et elle pensait que c'était par un règlement d'administration publique qu'il pourrait être pourvu à tout ce qui concerne l'institution et la surveillance des agents accrédités près des monts-de-piété.

Ce règlement, qui tiendrait compte des différences qui existent entre les divers monts-de-piété, soit sous le rapport des dotations qui leur sont affectées, soit sous celui des populations aux besoins desquelles ils doivent subvenir, lui paraissait suffisant pour réaliser tous les progrès, toutes les améliorations désirables.

L'Assemblée partagea l'avis de la commission, auquel déjà le gouvernement, par l'organe de M. Léon Faucher, avait déclaré se rallier elle se déjugea et, malgré les efforts de M. Peupin, elle adopta, à la majorité de 401 voix contre 228, l'amendement nouveau, ainsi que l'ensemble même de la loi.

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Hospices et hópitaux. Un projet de loi qui, malgré son apparence administrative, touchait à une question sociale des plus intéressantes, la question du paupérisme, fut mis à l'ordre du jour du 5 avril, sur la demande de la commission d'assis

tance.

Ce qu'il s'agissait en effet de réglementer, c'était la charité publique. C'était, suivant l'expression du rapporteur, une lutte

contre la mendicité et la misère, non pas une lutte tentée au moyen de la compression, mais avec l'aide de la bienfaisance. Ce que la commission avait voulu, c'était utiliser au profit du plus grand nombre les ressources que les fondations pieuses avaient mises à la disposition de la charité publique. Elle avait voulu que l'ordre régnât dans la distribution des secours, et que l'arbitraire et la faveur fussent exclus des établissements auxquels les misères et les infirmités humaines viennent demander un asile.

En effet, depuis le jour où, sous le règne de Constantin, une dame romaine, s'inspirant du véritable esprit du christianisme, ouvrit sa maison aux malades indigents, la charité est entrée avec ardeur dans cette voie. Partout on a vu s'élever des hospices et des hôpitaux. Des legs et des donations n'ont cessé d'enrichir les asiles qui donnaient à l'enfant, au vieillard, au malade, des consolations, des secours et des soins. Mais, pendant longtemps, la charité fut livrée à elle-même, et s'exerça sans le contrôle de l'État. François Ier fut le premier en France qui, après avoir fondé un bureau général de charité publique, assigna à chaque établissement une destination spéciale, afin que chacune des misères qui affligent l'humanité, se trouvant pour ainsi dire cantonnée, pût être plus efficacement secourue. Louis XIV, par un édit de 1675, centralisa l'administration des établissements de charité.

Plus tard, l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative essayèrent de réglementer plus complétement encore cette matière; mais il appartenait à la Convention d'opérer une réforme radicale dans le régime des hospices et des hôpitaux. Cette Assemblée, qui repoussait la charité privée comme insuffisante et comme contraire au principe de l'égalité, s'empara de tous les biens donnés aux hospices et aux hôpitaux; elle les attribua à l'État par une loi de messidor an II, et l'État seul fut chargé de pourvoir aux besoins des pauvres. La Convention espérait par cette centralisation arriver dans la distribution des secours à une égalité que ne pouvait atteindre la charité privée.

Cette loi de l'an II n'a jamais été exécutée. Napoléon comprit que l'État ne pouvait seul venir en aide aux nombreuses misères

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