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d'une ame qui n'a plus de désirs impétueux et qui peut-être n'a plus d'espérances. Quelle que soit la prudence ou la fermeté d'un homme, quelle que soit même sa puissance, se flattera-t-il d'être ce' que nul n'a encore été, se suffira-t-il à lui-même ? Dénué de tout appui, subsistera-t-il jusqu'à son dernier jour sans. erreur et sans tristesse? Lors même que la fortune le conduit, ne lui manque-t-il plus rien, ne lui faut-il pas alors quelqu'un qui le retienne? Si je le suppose grand seulement, je veux qu'un homme libre sache lui dire dans l'occasion, surge carnifex ; et s'il est grand`et vertueux, il aura besoin d'un ami qui le console sur le trône du monde, ou qui peut-être l'avertisse que son fils doit être un Commode. Qui remplira la solitude de ses palais? Qui interrompra le silence d'une cour tumultueuse? Il ne trouvera que de maladroits valets qui, en voulant faire tout à son gré, ne lui procureront pas une émotion douce, et qui, à force de lui plaire, le fatigueront sans cesse; jamais il n'aura le bonheur de rencontrer quelqu'un avec qui il puisse parler comme un homme parle à un homme.

L'amitié, ainsi que toute autre affection généreuse', comme l'amour de la patrie, ou l'amour filial, n'appartient dans sa plénitude qu'aux ames qui sont pénétrées en quelque sorte du sentiment de l'ordre et des convenances morales, Quiconque n'est pas soumis à l'ordre, et reste capable. de suivre volontairement quelqu'autre loi, ne pourra jamais aimer profondément que lui-même; n'ayant à d'autres égards que des intentions passagères, il cédera souvent à la voix de son intérêt particulier, seule inclination constante de son faible cœur.

L'amitié semble exiger plus particulièrement encore que toute autre habitude vertueuse l'élévation et la force de l'ame; les devoirs ordinaires sont prescrits, il faut consacrer à les remplir ce degré d'énergie que la plupart des hommes paraissent avoir; mais on s'impose volontairement les lois de l'amitié, elles demandent des facultés surabondantes, et l'on ne se charge d'un fardean si mâle que quand on se sent des moyens assez grands pour le porter noblement.

Epiclète dit avec raison que si l'on connaît d'autre utilité. que la justice, il n'y a point d'amitié, car l'animal se porte tout entier là où il voit son bien. En effet, si deux hommes voient leur bien dans les objets des passions, ils ne seront d'accord que pour des projets illicites, en sorte que.

nous les appellerons des complices, non des amis, et cet accord même ne sera pas durable, parce qu'il n'est pas de la nature des passions de ne point changer: mais s'ils con-, sidèrent la justice avant tout, ils n'ont et n'auront qu'un même objet, l'harmonie subsistera donc entre eux. Cette harmonie se perpétuera d'autant plus facilement que l'amitié sera pour eux un très-grand moyen d'atteindre à ce qu'ils se proposent, et de se perfectionner tous les jours. C'est là le vrai sens du mot sublime attribué à Pythagore : Trouve un ami, avec un ami tu pourras te passer des Dieux (1). L'amitié qui suppose l'amour de la vertu, en facilite l'exercice: deux amis désirant la sagesse, l'obtiennent infailliblement soutenus l'un par l'autre, ils marchent d'un pas (La suite à un prochain Numéro.)

assuré.

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MŒURS, USAGES, ANECDOTES. Ce qui se passe, soit dans les environs, soit à une certaine distance de la capitale, n'est pas sans intérêt pour l'observateur, et les mœurs ainsi que les usages des départemens qui environnent cette ville. immense ont avec elle plus de liaison qu'on ne l'imagine. On trouve souvent en province le mot de l'énigme qu'on cherchait à Paris; et vice versâ. Qu'il nous soit donc permis de rendre compte d'une petite excursion faite à cent lieues du centre des arts et des plaisirs ; car c'est ainsi que

l'on est

convenu d'appeler Paris: passe pour les arts; il n'est, je pense, ancun lieu du monde qui le lui dispute: mais pour les plaisirs, la sage Providence en a mis par-tout. Un des

(1) Lois de Pythagore, no 90; à la suite des Voyages de Pythagore. Je sais que ce recueil de lois n'est pas authentique, du moins dans toutes ses parties: mais de quelque part que viennent ces sentences, c'est le sens qu'elles renferment qui importe essentiellement. II en est de cela comme des fables laissées par les anciens, et de plusieurs excellens proverbes de toutes les nations. J'ai fait une sorte de choix de quatre à cinq cents maximes dans plus de trois mille cinq cents que ce recueil contient, et que je crois pouvoir attribuer du moins à l'école de Pythagore.

Paris.

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plus vifs, dans ce bas monde, est de revoir sa patrie après une longue absence. Je le savourai ce plaisir délicieux dans toute sa plénitude; mais le lendemain de mon arrivée, je vis ce que c'était.... qu'une petite ville. Je sors: une foule de curieux m'entourent. Tous parlent à la fois : chacun me fait un conte à dormir debout, en terminant son récit par cette question, est-ce bien vrai? Je pensai que l'on croyait que j'avais fait le tour du monde et que l'on me demandait des nouvelles de Monomatapa. Mais j'arrive de Paris, répondais-je; j'en suis parti avant-hier. C'est ce qu'il 'nous faut.Et de recommencer les relations les plus incroyables des faits les plus absurdes passés au milieu de Pas un mot de vrai, m'écriais-je avec l'air de la stupéfaction. Monsieur est bien mystérieux, disait l'un. Il croit être un personnage important, parce qu'il habite Paris, disait le second. C'est un badaud, criait le troisième.-Vous me prouvez que les badauds ne sont pas tous dans la capitale.- Débarrassé de cette troupe importune, je cheminais lestement pour éviter de pareilles rencontres. J'aperçois une dame qui jadis donnait le ton à la ville. Elle était alors jeune, belle, riche et coquette. Jeunesse et beauté avaient disparu de concert. Le dépit remplaçait la coquetterie, et l'avarice concentrait la fortune à. qui l'amour des plaisirs permettait autrefois de paraître. A cet amour succédait, non cette piété douce et tolérante qui fait aimer la religion, mais cette dévotion farouche qui en est l'effroi. Instruit de ce changement, je erus que MTM G. sortait de l'église près de laquelle je la rencontrai, et je pensai qu'il n'y avait point d'inconvénient à le lui faire en tendre. -Fi donc! monsieur, pour qui me prenez-vous me dit Me G., avec l'air du mépris et l'accent de la colère. Tout abasourdi, je m'interrogeai pour savoir quelle si. grande sottise on commettait en demandant à une dévote, si elle venait de la messe. Cette recherche m'occupa vainement. Le soir un prédicateur qui, en passant par la ville avait été prié, sur la renommée dont il jouissait, de faire entendre la parole divine, devait prêcher pour la fête patronale. La curiosité me conduisit au temple, comme bien d'autres. Je jette les yeux de tous côtés pour apercevoir Mme G. Elle n'y était pas. Ni messe, ni sermon, me disais-je en moi-même; voilà une singulière dévote! - Le lendemain il n'était bruit que des talens oratoires da prédicateur. Sachant que M. de D... tenait autrefois un rang distingué dans la ville; qu'il avait eu, même comme off

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cier de recrutement, une espèce de réputation, je crus, n'ayant rien à lui dire, devoir lui demander son avis sur le sermon de la veille.-Vous vous adressez mal, me répliqua-t-il d'un air piqué, je ne vais point à l'église ; vous devriez le savoir. Cette réponse me parut d'autant plus extraordinaire que l'on m'avait appris que M. de D. s'était converti. Il me semblait bizarre qu'on ne pût parler d'office ni de sermon à des dévots. Je sus bientôt Mme G. que et M. de D. se plaignaient amèrement de moi et en des termes qui pouvaient faire croire que j'avais commis envers eux quelque grossièreté. Enfin, un ami me tira de peine. Vous avez, me dit-il, commis une double maladresse en parlant de culte et de religion, précisément aux deux personnes de la ville à qui l'on n'en doit point parler. La première, de femme galante est devenue dévote. Elle ne fréquente aucune église; elle ignore le nom du curé de sa paroisse; mais elle pratique, dans sa maison, tous les exercices les plus minutieux de la religion et n'en omet aucun, médit le soir de son prochain, joue toute la nuit et friponne au jeu; elle est dissidente; M G. doit toujours jouer un rôle. M. de D. vise à un autre but. N'ayant qu'une très-modique fortune, il a désiré de l'augmenter; pour y parvenir il fallait faire des dupes; pour faire des dupes il faut des gens crédules. Il s'est donc attaché à ces ames timorées que leur ombre effarouche, et qui ont toujours quelque capitulation à faire avec leur conscience. De recruteur qu'il était, il est devenu directeur de dévotes. Mais il recrute toujours, il n'a changé que de régiment. Bref, M. de D. est dissident; son cabinet est devenu un oratoire ! et Folard exilé s'est vu remplacé par Pontas.

-Point

Les méchans prétendent que M. de D. dicte à ses dévotes leurs testamens, qu'il a soin de ne pas se faire oublier, et que s'il attend, il ne perd pas pour attendre. M. de D. et Mme G. sont donc du même parti ? du tout, ils se mangent l'ame et se damnent mutuellement. Monsieur dit que madame veut faire oublier sa jeunesse; Madame prétend que monsieur tâche, au nom du ciel, de raccommoder ses affaires. - Pauvre humanité à qui il faut de la dissidence!...

-On parle d'une Histoire du Journalisme; si le mot est nouveau, la chose ne l'est pas, quoique l'invention des journaux soit moderne. Mais leur influence n'a pas été douteuse à différentes époques, particulièrement sur la Littérature. On peut donc les considérer sous plusieurs

rapports, et leur historien trouverait facilement des matériaux pour former un volume. Au lieu d'être un livre de plus fait avec des feuilles qui ne devaient leur existence qu'à d'autres livres, cet ouvrage pourrait offrir l'examen d'une question qui n'est pas sans intérêt. Sera-t-elle trai

tout.

tée dans le Journalisme? N'est-ce qu'une revanche, qu'une récrimination faite par un auteur encore meurtri du fouet de la critique ? C'est ce que nous saurons un jour.

-On attend avec impatience l'Art poétique de M. Dorat-Cubières-Palmézeaux. En se rappelant les ouvrages de ce nouveau législateur du Parnasse, ses opinions, ses succès ou ses chûtes, on peut faire quelques conjectures plausibles sur les préceptes qu'il doit donner et sur les modèles qu'il veut offrir à la jeunesse. Ce sera d'abord le patron qu'entre tant d'autres il s'est choisi; ce poëte dont la muse si proprette et si musquée, ressemble, par là même, si peu à celle du nouveau Dorat: ce sera le fécond, l'inépuisable Rétif qu'une femme d'esprit appelait Je Jean-Jacques des Ruisseaux. Voilà les deux bases autour duquel l'auteur saura grouper avec art, d'autres écrivains qui, pour être inférieurs en mérite à ces deux là, n'en méritent pas moins une place distinguée dans la poétique de M. Palmézeaux.

On assure que quelques personnes bien intentionnées voulaient faire réimprimer un vieux livre ascétique connu sous ce titre : la clé du Paradis ; mais qu'elles ont renoncé à ce projet, parce qu'on leur a représenté que la clé n'atlait plus à la serrure.

On a publié en Allemagne les Principes fondamentaux de l'Arithmétique de la Vie humaine; et un nouveau journal intitulé, les Flambeaux. On n'en vivra pas plus long-tems, et l'on n'en verra pas plus clair; mais il y a des gens pour qui c'est une occupation agréable que de passer le tems à savoir combien on a de tems à vivre, quoiqu'en dépit de leur calcul, ils arrivent au jour ne croyant être qu'à la veille.

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Dans une séance de la Société de Médecine de Copenhague, le professeur Bang a lu un mémoire sur la Circonspection des Médecins en conversation. Beaucoup de malades n'aiment point le médecin qui se tait. Il leur fant au moins une ordonnance, n'eût-elle pour objet que faire avaler un verre d'eau. Le docteur le plus habile, s'il n'est un peu causeur, n'obtiendra que de faibles succès, et

de

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