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de dire que ce sens non-seulement « véritable, propre, naturel, qui se présente d'abord, mais encore unique, pris dans toute la suite du texte, et la juste valeur des termes, » n'est pas le sien.

14. S'il s'agissoit de quelques paroles, de quelques propositions détachées, il seroit peut-être permis de soupçonner de la surprise ou de l'ignorance en quelques endroits; mais que dans des livres de système, comme on parle, et pleins de principes, on ait trouvé le moyen de répandre « dans toute la suite du texte et dans la juste valeur des termes un sens propre, naturel et unique, » qui soit contraire au sens de l'auteur, ce ne seroit pas, comme le suppose M. de Cambray, l'ouvrage d'une personne ignorante, mais l'effet du plus profond artifice.

§ IV. Sur le refus de l'approbation de mon livre.

M. DE CAMBRAY.

15. « Je n'ai pas voulu justifier les livres de madame Guyon par les sentimens de l'auteur; mais seulement ne les condamner pas jusqu'au point où M. de Meaux les condamnoit, parce que cette condamnation terrible retomboit sur les intentions de la personne même 1. »

RÉPONSE.

16. Je ne sais ce qu'il veut m'imputer avec cette terrible condamnation qui retomboit, non point sur le livre de madame Guyon, mais sur les intentions de la personne. Dans la condamnation d'un livre, ni moi ni qui que ce soit ne nous sommes jamais avisés de condamner le sens et l'intention d'un auteur, d'une autre manière qu'en prenant la suite de son texte et la juste valeur de ses termes. Cette finesse qu'on me fait tourner contre la personne, m'est inconnue comme aux autres hommes. M. de Cambray peut-il dire de bonne foi que mon livre, qu'il n'a retenu qu'une seule nuit, et dont il a seulement parcouru les titres, lui ait fait paroître un autre dessein? En tout cas il auroit pu se désabuser en lisant le livre, où je n'ai pas seulement songé à con1 Rép., ibid., p. 57. 2 Rép., chap. v, p. 108.

noître les intentions de madame Guyon autrement que par la juste valeur de ses termes, et par la suite de son texte et de ses principes. Falloit-il m'imputer un chimérique dessein, pour prétexter le refus d'une approbation? Mais voyons comme il s'embarrasse en soutenant ce vain prétexte.

M. DE CAMBRAY.

17. « Le silence que je voulois POUSSER JUSQU'AU BOUT, n'étoit que pour n'imputer pas, avec M. de Meaux, un système évidemment abominable à madame Guyon. S'il n'eût fait que condamner le livre de cette personne, en disant qu'on pouvoit conclure de son texte des erreurs qu'elle n'avoit pas eu intention d'enseigner, il auroit parlé sans se contredire, et conformément à l'acte qu'il avoit dicté1.» On le voit : M. de Cambray ne sauroit que dire sans le recours continuel à l'acte inventé qu'il allègue à chaque ligne. Suivons « Mais lui imputer (à madame Guyon) un système toujours soutenu et évidemment abominable, c'étoit se contredire pour attaquer les intentions de la personne, et c'est ce que je ne croyois pas devoir approuver. »

RÉPONSE.

18. Laissons à part la contradiction qu'il ne cesse de m'imputer contre la vérité des actes: celle où il tombe est visible. «M. de Meaux devoit dire qu'on pouvoit conclure du texte de madame Guyon des erreurs qu'elle n'avoit pas eu intention d'enseigner. » Ainsi dans le sentiment de M. de Cambray, je ne pouvois condamner madame Guyon que par des conséquences. Il oublie ce qu'il vient de dire, que son livre étoit censurable «en lui-même, dans son sens naturel, propre, unique, qui se présente d'abord, et qui de plus est vrai, selon la suite du discours et la juste valeur des termes 3. » Mais un sens pris de cette sorte n'est pas un sens tiré par conséquences. C'est donc plus que par conséquence; c'est immédiatement et dans son sens, non-seulement naturel et propre, mais encore unique, qu'il falloit condamner ces livres.

1 Rép., chap. 11, 3o obj., p. 69. — 2 Voyez ci-dessus, n. 11. n. 10, 12.

3 Voyez ci-dessus,

19. C'étoit dans ce sens unique que se trouvoient ces abominations car le texte visiblement ne peut être censurable que par là: donc ces abominations ne se tiroient point par conséquences, mais se trouvent dans le texte même « en son sens propre et unique, selon toute la suite du discours et la juste valeur des termes.»

20. Après cela vouloir faire dire à M. de Meaux que ce sens unique du livre, dans toute la suite, est contraire à l'intention de l'auteur, c'est contre la supposition vouloir me rendre complice de la plus pernicieuse de toutes les illusions.

21. C'est donc M. de Cambray qui se contredit, et non pas moi, puisqu'il assure d'un côté, que ces livres favoris sont censurables par eux-mêmes dans leur sens propre, naturel, unique, qui se présente d'abord; et de l'autre, qu'ils ne le sont que par conséquence.

22. C'est encore se contredire que d'enseigner d'un côté, comme fait M. de Cambray, qu'il a déjà condamné ces livres chéris, dans leur vrai, propre et unique sens1; et de l'autre, de n'y trouver pour toute matière de condamnation que des équivoques, des exagérations qui leur sont communes avec les Saints, et un langage mystique dont le sens est bon, et auquel aussi on n'oppose qu'un sens rigoureux où l'auteur n'a jamais pensé 2.

23. Mais encore est-il véritable qu'avec toutes ces finesses, M. de Cambray ne sort point d'affaire. Ceux à qui il a laissé estimer les livres de madame Guyon ne devinoient pas ce sens de l'auteur contraire au sens propre, naturel, unique, qu'inspiroit la suite du texte. Quand il dit qu'il a laissé estimer la personne et non pas les livres 3, nous avons vu le contraire par ses propres paroles. Quand il ajoute : « Ne puis-je pas l'avoir laissé estimer comme je l'estimois moi-même, c'est-à-dire sans estimer ses livres? >> il se condamne lui-même, puisqu'il ne peut pas ne point estimer des livres pour la défense desquels on lui voit faire de si grands efforts.

1 Rép., chap. VII, p. 156. 2 Mém. de M. de Cambray; Relat., Ive sect., n, 9, 13-15, 20, 22; ve sect., n. 11; vie sect. n. 10; x1, n. 4.- 3 Rép., chap. vII, p. 154. - Voyez ci-dessus, n. 9.

24. Enfin quand il écrit ces mots : « Je n'ai point voulu justifier les livres par les sentimens de l'auteur, mais seulement ne les condamner pas': » que fera-t-il, le cas arrivant, car il est sans doute qu'il peut arriver, où il faudra condamner un méchant livre? Sera-t-il reçu à répondre qu'on lui veut faire condamner des intentions personnelles? Qui jamais a pu avoir un tel dessein? qui jamais a imaginé une telle excuse? On se contredit nécessairement dans une réponse de cette nature; car il faut dire d'un côté, comme a fait M. de Cambray dans son Mémoire", que c'étoit en pesant la valeur de chacun des termes qu'il excuse madame Guyon; et de l'autre dans sa Réponse, que c'est par la suite de ce discours et par la juste valeur des termes que ses livres sont condamnables. Ainsi, quoi que puisse dire M. de Cambray, il introduit une nouvelle question de fait dans la condamnation des livres de madame Guyon: mais une question de fait entièrement sans exemple. Dans la question de fait qu'il prétend avoir évitée, tout est plein d'exemples bien ou mal allégués: on entend retentir de tous côtés les Trois Chapitres et Honorius, le quatrième, le cinquième et le sixième concile, etc. La question de fait que M. de Cambray met le premier sur le tapis n'est précédée d'aucun exemple, et tout est singulier dans ce prélat. D'ailleurs la question de fait qu'il introduit n'a point d'issue ni de fin, et ne peut jamais être résolue, puisque dans celle de ce dernier siècle qu'il rejette si loin, on oppose textes à textes, et paroles à paroles, ce qui peut être la matière d'une discussion: au lieu que dans la question de M. l'archevêque de Cambray, il n'oppose à la suite et à la valeur des paroles et au sens unique qui en résulte, qu'une intention qu'on ne peut jamais pénétrer d'où il s'ensuit qu'on ne peut plus pousser à bout ni Pélage, ni Arius, ni Nestorius, ni aucun autre hérétique, ni leurs défenseurs. Voilà ce qu'a entrepris M. de Cambray pour justifier la malheureuse conduite qui lui a fait laisser estimer les livres de madame Guyon, et refuser son approbation à la juste condamnation qu'on en vouloit faire.

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:

2 Mém. de M. de Cambray; Relat., Ive sect.,

ARTICLE V.

Sur les entrevues avec madame Guyon, et sur le titre d'ami.

1. Voici sur ce sujet ce que je trouve imprimé dans la première édition de la Réponse de M. de Cambray que j'ai en main. L'on y verra ce qu'il disoit naturellement.

M. DE CAMBRAY.

2. « Au reste il faut expliquer ces paroles de mon Mémoire: Je l'ai vue souvent; tout le monde le sait. Le monde savoit en effet que je l'avois vue assez souvent pour l'estimer et pour avoir dù prendre connoissance de sa spiritualité. Voilà ce que signifie ce souvent. Mais il ne veut pas dire des entrevues fréquentes. Mon extrême assiduité à Versailles faisoit que j'allois rarement à Paris. Il est vrai qu'elle passoit de temps en temps à Versailles allant voir une de ses parentes: mais quoique je l'ai vue un assez grand nombre de fois pendant plus de quatre ans, il est vrai néanmoins que ces entrevues, par rapport à cet espace de temps, n'étoient pas fréquentes 1. >>

RÉPONSE.

3. Quel entortillement dans tout ce discours? Il ne sait s'il veut avouer qu'il ait vu souvent madame Guyon? Il distingue subtilement comme sur un point de théologie. Cependant il est véritable qu'il s'est toujours excusé d'avoir vu souvent cette femme, tant il croyoit peu avantageuses ses liaisons avec une fausse prophétesse remplie d'erreurs et de visions et le monde est plein de gens irréprochables, qui racontent sans difficulté qu'il leur a toujours soutenu, qu'à peine l'avoit-il vue deux ou trois fois. Quoi qu'il en soit, sans examiner combien ont été fréquentes des entrevues qu'il voudroit bien diminuer, il suffit qu'il l'ait vue assez pour l'appeler son amic, et une amie d'une si étroite correspondance, d'une si grande distinction, qu'il ait dit partout dans 1 Rep., 4re édit., p. 17.

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