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lière que celle d'attendre un voyage de Louis xrv en Espagne.

Il s'occupoit continuellement à Versailles des intérêts d'un royaume devenu français à ses yeux, et qui lui devenoit presque aussi cher que la France même. Sa correspondance avec le duc d'Harcourt embrasse tout avec une attention infinie, les affaires de l'intérieur comme celles du dehors. Je pourrois en tirer beaucoup de détails nécessaires alors, aujourd'hui peu intéressans. L'histoire n'est déjà que trop chargée de minuties ou politiques ou militaires. Tâchons d'écrire uniquement les choses utiles.

Des intrigues de prêtres ou de moines sont d'autant plus dangereuses, qu'un peuple est plus superstitieux et ignorant: il fallut d'abord prendre ses précautions sur cet objet, et il étoit difficile d'en prendre assez. Nous avons vu l'exil des deux confesseurs du feu Roi et de la Reine regardé comme essentiel par la cour de France, ainsi que par le ministère d'Espagne. Un jésuite, nommé Kressa, rendoit compte directement au confesseur de l'Empereur de tout ce qu'il pouvoit découvrir de plus secret: il servoit presque d'espion aux ambassadeurs des puissances suspectes. Louis xiv écrivit lui-même (25 janvier) qu'il importoit de le faire sortir de Madrid. Ces faits méritent particulièrement d'être observés; car si une partie de la nation se détacha de son roi, ce fut surtout par l'impulsion de ses guides spirituels, la plupart d'une ignorance, gros-+ sière, et soutenant avec un fanatisme séditieux leur zèle pour la maison d'Autriche.

Les anciens ennemis de la France n'osoient encore se déclarer contre Philippe, mais ne vouloient pas le

reconnoître; et l'on devoit se défier de leurs desseins. Ceux du roi d'Angleterre Guillaume ш sembloient tenir à sa haine invétérée pour Louis xiv. La Hollande, qu'il gouvernoit avec plus d'empire qu'il n'en avoit sur ses sujets mêmes, ne pouvoit manquer d'entrer dans ses vues. D'Harcourt et Beauvilliers conseillèrent dès le.commencement d'envoyer en Amérique des forces navales capables de contenir les Hollandais, par la crainte de perdre leurs vaisseaux et leur commerce. « Si l'on doit avoir la guerre, disoient-ils toujours, il « vaut mieux que ce soit aujourd'hui que demain (1). » On prit pour cela des mesures que la situation des affaires rendit trop lentes ou trop foibles. On déclara aux ambassadeurs qu'ils eussent à sortir de Madrid, si leurs souverains refusoient de reconnoître le roi d'Espagne. Les négociations continuoient, et l'on se préparoit à l'action.

Des garnisons hollandaises occupoient Luxembourg, Namur, et d'autres villes des Pays-Bas espagnols. Pouvoit-on les y souffrir plus long-temps? Louis se décida enfin sur un point si essentiel avec une modération remarquable (2). Comme Charles 11 avoit promis aux Etats-généraux de laisser retirer ces troupes quand ils le voudroient, il consentit à leur retraite, quoiqu'on eût déjà bien des raisons de les traiter en ennemis. C'étoient vingt-deux bataillons, que la Hollande devoit employer pour lui faire bientôt la guerre ;

mais il ôtoit un prétexte de plaintes, il faisoit respecter la bonne foi de la cour d'Espagne. Les troupes françaises

(1) Le duc d'Harcourt au Roi, 20 janvier. (M.) — (2) Le Roi au duo d'Harcourt, 11 février. (M.)

entrèrent dans les places évacuées, opération extrêmement importante.

Quelque profonde que soit la politique, elle se trompe quelquefois dans ses conjectures, soit parce qu'elle juge mal les hommes, soit parce que leur conduite varie au gré des événemens ou du caprice. On avoit eu des soupçons sur l'électeur de Bavière, établi gouverneur des Pays-Bas ; et quoiqu'on lui témoignât toujours la même confiance, on craignoit de sa part une conduite au moins équivoque. Cependant il fut le plus fidèle des alliés, avec son frère l'électeur de Cologne: l'un et l'autre devinrent les victimes de la guerre.

En même temps le duc de Savoie, aussi souple qu'intéressé, donnoit de plus justes inquiétudes. Beaupère du duc de Bourgogne, il alloit encore le devenir du roi d'Espagne : on espéroit sinon l'enchaîner par ee double lien, du moins le retenir par l'intérêt et par la crainte. Il demandoit à être généralissime des troupes en Italie, et l'on vouloit bien y consentir. Il avoit promis le passage, et l'on croyoit que les forces des deux couronnes le mettroient hors d'état d'agir contre elles. Le duc d'Harcourt écrivoit à Louis XIV (13. février): « Il ne peut plus vouloir que ce que vous « voulez, et toute autre liaison le jette dans une perte «< certaine. Ainsi, en lui demandant fortement le pas« sage qu'il a déjà promis si solennellement, je vou<< drois témoigner beaucoup de refroidissement sur << les propositions de mariage : ce prince à la fin se << mettra dans les mêmes embarras du vieux duc de «< Lorraine, et se perdra, pour avoir trop bonne opi«<nion de son esprit. » Pour juger sûrement en pa

reille matière, il faudroit pouvoir calculer tous les possibles, et prévoir tous les hasards. Les espérances, furent confondues par l'événement.

Si la France, tombée dans un état de langueur, devoit craindre une nouvelle guerre, l'Espagne avoit infiniment moins de ressources: elle manquoit d'hommes et d'argent. Les vice-rois du Mexique et du Pérou s'enrichissoient par toutes sortes de moyens, en trafiquant des droits du monarque (1). Les postes importans se vendoient à leur profit, ou à celui du conseil des Indes. C'étoit peut-être un moindre mal que l'incapacité des sujets, soit pour le gouvernement, soit pour les armes. Don Pedro Navarette, destiné au commandement de la flotte d'Amérique, passoit pour un homme sans expérience, et si incapable d'une telle expédition, que Louis XIV, malgré son attention à ménager la délicatesse espagnole, jugea nécessaire (2) qu'on lui ordonnât d'obéir au comte de Château-Regnault, qui devoit commander l'escadre française. En cas de difficulté, il proposa de faire donner à ce dernier une commission particulière du roi d'Espagne. Chaque jour enfin découvroit des plaies presque incurables.

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Aussi les Espagnols paroissoient-ils désirer que la France entrât dans leurs affaires, et Louis XIV changea bientôt de sentiment sur la conduite que devoit tenir son ambassadeur. « Vous avez raison de croire, lui « marqua-t-il (7 mars), qu'il est important, pour << bien de cette monarchie, que vous assistiez pendant « quelque temps aux délibérations du Roi mon petit<< fils. Comme vous ne le ferez que sur les instances (1) Le Roi au duc d'Harcourt, 7 mars. (M.)-(2) Idem, 8 février. (M.)

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« du cardinal Porto-Carrero, et conformément au ་ désir que toute la nation en témoigne, cette nou« veauté ne servira qu'à marquer davantage l'étroite « union entre ma couronne et celle d'Espagne : par «conséquent elle ne doit donner aucune jalousie aux Espagnols. Il est bon même de faire voir que si quel«ques puissances de l'Europe craignent cette union, «<leurs préparatifs pour prévenir les effets qu'elles en appréhendent ne serviront qu'à la fortifier. Au reste, << je remets à votre prudence d'en user avec toute la « modération que vous croirez convenir au bien des « affaires. »

Cependant le roi d'Espagne, au rapport de l'ambassadeur (23 février), soutenoit l'idée avantageuse qu'on avoit de lui. Il se montroit également digne de respect et d'amour, bon avec sagesse, grave sans hauteur. Les jeux d'exercice, et surtout la chasse, faisoient son amusement, mais ne diminuoient point son application aux affaires. Dès le premier jour, il avoit travaillé deux heures le matin et autant le soir, sans aucune impatience. A son âge, au milieu de tant de cérémonies et de distractions, c'étoit une matière d'éloges: ce n'étoit pourtant qu'un travail bien médiocre, en comparaison des soins immenses que demandoit sa couronne; et ce travail pouvoit encore se ralentir.

Ses prédécesseurs, de la maison d'Autriche, avoient vécu comme les despotes de l'Asie, presque invisibles à leurs sujets, affectant pour ainsi dire un air de divinité, que l'inertie et les foiblesses humaines rendoient sans cesse plus méprisable. Philippe résolut de passer tous les matins une demi-heure dans la chambre des grands, de passer ensuite dans celle où s'as

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