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réelle de ces mêmes choses. Au moyen de cette présomption légale, le principe que l'assurance n'est due qu'en cas de perte ne se trouve pas affaibli par les dispositions absolues de la loi; seulement, la présomption, faisant regarder la perte totale comme certaine, par la seule existence de l'événement, dispense l'assuré de la prouver, et empêche l'assureur d'offrir la preuve contraire, c'est-à-dire de prouver que la perte n'est pas totale.

L'assuré a néanmoins le choix de faire le délaissement ou de s'en tenir à l'action d'avarie, dans les cas où la voie du délaissement est ouverte. (Guidon de la mer, chap. 7, art. i; Valin sur l'art. 46, des assurances ). Argument de l'art. 369 du Code de commerce, qui dit que le délaissement peut être fait; ce qui établit une simple faculté au profit de l'assuré, et de l'article 409 du même Code, qui dispose «, que dans les cas qui donnent ouverture au délaisse» ment, les assurés ont l'option entre le délaissement et l'exercice de l'action d'avarie. » Il faut donc aujourd'hui écarter l'opinion de Pothier, n°. 169, et dire que l'assuré peut faire ou ne pas faire le délaissement à ses assureurs; et même, il est libre aux parties contractantes d'exclure ou de restreindre les causes du délaissement, de les étendre et d'en ajouter de nouvelles, pourvu qu'elles ne renferment rien de contraire à l'essence du contrat d'assurance, à la justice ni aux mœurs.

Il suit aussi du principe que l'assuré est le maître de faire ou de ne pas faire le délaissement, que les assureurs n'ont pas le droit de le refuser, si le délaissement est fait suivant les règles prescrites par la loi. Ils n'ont, comme le dit Valin, que le droit de le contester, s'il n'est pas fait ainsi qu'il convient, ou s'il n'est pas en terme d'être offert.

Nous avons vu que l'art. 569 spécifie sept cas, et les art. 375 et 376 deux cas où le délaissement pourra être fait de la part de l'assuré. Dans les cinq premiers et le dernier de l'article 369, la perte entière des effets assurés est présumée par la loi. Il en est de même pour les deux cas dont parlent les art. 375 et 376; et cette présomption juris et de jure suffit pour donner ouverture à l'action de délaissement. Dans le sixième cas de l'art. 369, il faut qu'il y ait perte ou détérioration au moins des trois quarts, pour que l'assuré puisse exercer l'action de délaissement.

La prise, soit juste ou injuste, est le premier cas spécifié par la loi. On sait que la prise s'opère dès que, par force, on saisit un navire en pleine mer, et que l'empêchant de naviguer à son dernier reste et au lieu de sa destination, on le conduit dans un autre endroit. L'accident de prise est alors consommé, quoiqu'ensuite il se fasse recousse, délivrance du navire par l'équipage, abandon du navire par les capteurs, ou que la prise soit déclarée illégitime. (Outre Emérigon, au texte, voyez Valin sur l'art. 46, des assurances, et Pothier, no. 118 ). Il faut écarter, à cet égard, l'opinion de M. Pardessus, tom. 3, pag. 362 de la nouvelle édition de son Cours commercial.

Ce que nous venons de dire de la prise s'applique également au naufragé et à l'échouement avec bris. Dans ces deux cas, l'événement seul, quelles qu'en aient été les suites, autorise toujours l'assuré à faire le délaissement. Dès que le navire a fait naufrage, ou qu'il est échoué avec bris, il n'existe plus dans son essence; alors la perte est toujours présumée entière. Malgré le sauvetage, le délaissement n'en doit pas moins avoir lieu. Les débris sont sauvés, mais le navire ne l'est pas; il cesse d'exister dans la nature qui lui est propre. Voilà pourquoi le naufrage et l'échouement avec bris donnent indéfiniment lieu à 'action de délaissement, tant du bâti

merce.

ment que de sa cargaison. Cela résulte même des dispositions de l'art. 381 du Code de com(Voyez ci-dessus ce que nous avons dit à l'égard du naufrage et de l'échouement avec bris, tom. 1, chap. 12, sect. 12 et 13, pag. 397, 405 et suivantes, et notre Cours de droit maritime, tom. 4, tit. 11, sect. 1).

L'art. 389 du Code de commerce, adoptant les principes de la déclaration du 17 août 1779, dit que le délaissement à titre d'innavigabilité ne peut être fait, si le navire, échoué peut être relevé, réparé et mis en état de continuer sa route pour le lieu de sa destination. D'où il suit que toutes les fois que, par fortune de mer, le navire ne peut plus continuer sa route, le délaissement peut avoir lieu. Mais il n'en est pas de même du chargement : il ne pourra être délaissé que s'il n'a pu être placé sur un autre navire, et transporté au lieu de sa destination. -(Art. 394 du Code de commerce).

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Il faut du reste que l'innavigabilité soit légalement constatée. (Argument de l'art. 237 du même Code; voyez tom. 1, la conférence sur la sect. 38 du chap. 12, pag. 580; enfin voyez, sur l'innavigabilité, tom. 4, tit. 11, sect. 2 de notre Cours de droit maritime).

L'arrêt par ordre d'un gouvernement étranger ou arrêt de prince, qui est la défense que donne un gouvernement de laisser partir les navires qui sont dans ses ports, ou quelques-uns de ces navires, ne peut pas être fait sur-le-champ et dès le moment de l'événement. Si cet arrêt n'était que momentané et n'apportait qu'un obstacle temporaire à la navigation, il ne pourrait pas autoriser à faire le délaissement. Aussi, la loi ne permet-elle ce délaissement qu'après un certain tems accordé aux parties pour faire relâcher le navire. (Art. 387 ). Si les parties ne peuvent y parvenir, l'arrêt devient une espèce de confiscation. Alors, si le navire ou les marchandises arrêtées le sont sans indemnité, l'assuré pourra exercer l'action en délaissement et demander à l'assureur le montant de l'assurance. Mais si la puissance qui arrête les marchandises et le navire en paie la valeur, l'assuré ne pourra rien réclamer de l'assureur, si ce n'est un supplément de prix, dans le cas où les objets assurés auraient été payés au-dessous de feur juste valeur. (Voyez au surplus les art. 300, 388 et 403 du Code de commerce).

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Il en est de même relativement à l'arrêt fait par ordre de notre Gouvernement, pourvu que cet arrêt ait eu lieu après les risques commencés, suivant les art. 328 et 341 du même Code. Mais dans tous les pas, de quelque part que vienne l'arrêt, le délaissement ne peut avoir lieu, et l'assureur n'est pas responsable, s'il a été mis avant le voyage assuré commencé. — (Article 370 du même Code ).

Le délaissement peut avoir lieu pour perte ou détérioration des trois quarts au moins des effets assurés. Il y a perte, quand la quantité est diminuée; détérioration, quand c'est la qualité. En déterminant avec précision jusqu'à quelle mesure doit aller la perte ou la détérioration, la loi nouvelle a fait disparaître toute incertitude.-(Voyez, sur cette matière, la sect. 1 du tit. 11, tom. 4 de notre Cours de droit maritime).

Enfin, l'assuré peut faire le délaissement d'un navire et de sa cargaison, après l'expiration du tems de la perte écoulé sans nouvelles, d'après les époques fixées par les art. 375 et 376. La perte d'un navire est un fait qui quelquefois reste incertain, et dont on ne peut acquérir aucune preuve convaincante. Le Code fixe ici une présomption légale, semblable, en quelque sorte, à la présomption établie pour l'individu absent de son domicile, dont on ne reçoit aucune nouvelle. Dès que les années nécessaires pour la présomption sont expirées, le droit de

l'assuré est ouvert, et il peut faire le délaissement; mais il doit le faire dans les délais fixés par l'art. 373, après lesquels il ne sera plus recevable, et les délais fixés par cet article se calculent à raison de la distance du lieu de la perte; mais ici ce lieu est inconnu, puisque le navire n'a pas donné de ses nouvelles. Alors il faut s'arrêter au lieu d'où le bâtiment a envoyé ses dernières nouvelles, comme on le fait pour l'absent, dont on prend l'héritier au jour des dernières nouvelles. (Art. 120 du Code civil). Ainsi, par exemple, ces dernières nouvelles sontelles parties d'un port de l'Europe? Le délai sera de six mois. Viennent-elles de l'une des colonies des Indes occidentales? Le délai sera d'un an. Des côtes des Indes orientales? Il sera de deux ans. Du reste, le défaut de nouvelles se constate par la simple déclaration de l'assuré, et c'est à l'assureur à combattre cette déclaration, et à prouver qu'on a reçu des nouvelles du navire, ou à prouver que le navire a péri à une époque où le tems de l'assurance était fini. (Voyez, dans l'art. 377 du Code de commerce, ce que la loi entend par voyage de long cours).

JURISPRUDENCE.

1. L'arrêt d'une puissance, après le voyage assuré commencé, ne donne pas toujours ouverture à l'action en délaissement. Si le prince qui fait l'arrêt prend les effets assurés et les paie, l'assuré n'a rien à demander aux assureurs; mais s'il n'en donne qu'un prix inférieur, les assureurs sont seulement tenus de suppléer le juste prix. Il serait injuste, d'ailleurs, d'exiger de l'assureur, à titre de perte, le paiement d'une marchandise dont l'assuré a déjà reçu le prix à titre de vente. (Jugement du tribunal de commerce de Marseille, du 22 février 1822; Journal de jurisprudence maritime de Marseille, troisième année, pag. 78).

2o. Dans le cas d'échouement avec bris et de perte ou détérioration du navire, jusqu'aux trois quarts de sa valeur, le délaissement peut être fait, nonobstant que le navire échoué puisse être relevé, réparé et mis en état de continuer sa route, sur-tout si la police d'assurance porte expressément que le délaissement pourra avoir lieu en cas de perte excédant les trois quarts de la valeur des objets assurés. (Arrêt de la Cour royale de Rouen, du 22 juin 1819, rapporté par Dalloz, Jurisprudence générale, au mot assurance ).

SECTION III.

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L'action de délaissement est-elle ouverte, par

cela seul que la

chose assurée n'arrive pas au lieu de sa destination?

LE Guidon de la mer, ch. 7, art. 1, décide que le délais a lieu, s'il advient

tel destourbier en la navigation, ou telle empirance en la marchandise, qu'il

n'y ait moyen l'avoir fait naviguer en son dernier reste. »

De Luca, de credito, disc. 106, no. 11, dit que les marchandises sont présumées perdues pour l'assuré, par cela seul qu'elles n'arrivent pas au lieu

destiné Omnes merces peremptæ seu naufragatæ dicuntur, eo ipso quòd assecurati non habent eas salvas in loco destinato. Casaregis, disc. 1, no. 49, tient le même langage.

Mais ces doctrines ne peuvent point se concilier avec l'art. 46, titre des assurances, qui n'admet le délaissement que dans les cas qui y sont spécifiés, auxquels un nouveau cas vient d'être ajouté : Si le navire est déclaré innavigable pendant le voyage, et qu'on ne trouve point d'autre navire pour conduire les marchandises assurées au lieu de leur destination, dans les délais portés par les art. 49 et 50, des assurances, la déclaration du 17 août 1779 permet aux assurés d'en faire le délaissement.

Ce dernier cas, ainsi que celui de l'arrêt de prince, est une exception à la règle générale, et il est certain que, par cela seul que la chose assurée n'arrive pas au lieu de sa destination, le délaissement n'est pas ouvert, à moins qu'il n'y ait pacte contraire. En effet, on a vu suprà, ch. 12, sect. 35, que si, dans le cours du voyage, les marchandises sont prises pour les besoins du pays ami où le navire aborde, et qu'elles soient payées, l'assuré ne peut point en faire le délaissement à ses assureurs, sauf l'avarie, s'il y échoit.

CONFÉRENCE.

CCII. Il faut, comme l'observe Emérigon, écarter la doctrine de de Luca et de Casaregis, qui disent que la marchandise est présumée perdue pour l'assuré, par cela seul qu'elle n'arrive pas au lieu destiné. Dans cette hypothèse, l'action en délaissement n'est certainement point ouverte, à moins qu'il n'y ait pacte contraire. Si, pendant le voyage, le navire est déclaré innavigable, ce n'est pas une raison pour pouvoir faire le délaissement de sa cargaison. Cette faculté ne peut être exercée que lorsqu'on ne trouve point de navire pour conduire cette cargaison au lieu de sa destination. (Art. 394 du Code de commerce). Du reste, ce n'est jamais que dans les cas établis par la loi que l'action en délaissement peut avoir lieu, et nullement dans les cas de force majeure, qui n'auraient pas les caractères et qui ne seraient pas de la nature de ceux que la loi indique. (Voyez la conférence précédente ).

SECTION IV.

L'action de délaissement est-elle éteinte, par cela seul que les effets assurés parviennent à leur destination?

« En cas de naufrage ou échouement, l'assuré pourra travailler au recou» vrement des effets naufragés, sans préjudice du délaissement qu'il pourra faire » en tems et lieu. » Art. 45.

Cet article mérite attention. En cas de naufrage, l'assuré pourra faire le délaissement, quoique les effets naufragés soient recouvrés, et quand même ils seraient apportés au lieu de leur destination, sans que les assureurs puissent refuser l'abandon, en offrant de payer le dommage par forme d'avarie, attendu que des effets sauvés du naufrage sont ordinairement en mauvais état, et qu'en pareille occurrence, le réglement d'avarie ne serait bon qu'à occasionner des litiges, ou plutôt attendu que l'Ordonnance l'a ainsi déterminé. Je rejette donc la doctrine de M. Valin, art. 45, et celle de M. Pothier, no. 119 et 120, parce qu'elles sont contraires au texte de la loi, malgré les raisons plausibles par eux alléguées.

Ce qui vient d'être dit des effets naufragés, s'applique aux effets relâchés par le capteur, ou repris des mains du capteur. Le recouvrement s'en est fait pour compte des assureurs, lesquels, sous prétexte que la chose est arrivée au lieu de sa destination, ne peuvent refuser le délaissement. Suprà, ch. 12, sect. 22. La perte entière légale, opérée par la prise, est présumée subsister; le recouvrement est simple sauvetage.

Nota. Le cas du rachat est régi par des règles particulières. Vide suprà, ch. 12, sect. 21, $7.

Dans le cas de l'arrêt de prince, le délaissement fait après le tems de droit. n'est pas révoqué par l'arrivée du navire à bon port. Suprà, ch. 12, sect. 30.

Mais, sous prétexte d'innavigabilité du navire, il n'y a pas lieu à l'abandon des facultés, si les effets assurés sont arrivés en tems opportun dans le lieu de leur destination. Suprà, ch. 12, sect. 13 et 38.

Dans la sect. 6 du présent chapitre, § 2, je parlerai du cas où, après le délaissement signifié, les effets assurés parviennent au lieu de leur destination.

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