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ENRI Régnault naquit à Paris, en 1843. Dès
l'âge le plus tendre il manifesta des disposi-
tions remarquables pour tous les arts. A huit
ans, il modelait en argile un cheval qui aurait

fait honneur à un animalier déjà célèbre. On raconte qu'au Lycée Henri IV où il faisait ses études, M. Duruy ayant donné, un jour, pour sujet de composition la mort de Vitellius, le jeune Régnault, inspiré par ce thème pathétique, prit la plume avec une ardeur inaccoutumée; mais au lieu de s'en servir pour aligner des phrases banales et des lieux communs, il se mit à couvrir la grande page blanche qui était devant lui, d'une composition vivante et colorée, plus expressive et plus éloquente que toutes les descriptions littéraires. Il attrapa, pour cette frasque, un bon pensum. M. Duruy trouverait aujourd'hui un bon prix pour cette "pochade "... s'il ne l'a pas jetée au panier.

Aussitôt qu'il put échanger sa plume pour la boîte à couleurs, Régnault se présenta à l'Ecole des Beaux-Arts. Dès la première heure il s'affirma pour un "violent" et effaroucha ses professeurs par la fougue de ses improviMARS.-1904.

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sations. Il ne comprenait pas l'art autrement que secoué par l'idée tragique; inutile d'ajouter que Géricault et Delacroix étaient ses dieux préférés. Il dut s'y prendre à trois fois pour décrocher le prix de Rome. Il avait alors vingt-trois ans.

Ceux qui avaient remarqué l'avènement de ce jeune talent, inquiets de sa facilité extraordinaire à produire, se demandaient s'il n'abuserait pas de ses précieuses qualités pour chercher les succès tapageurs et se contenter des triomphes bruyants qu'on obtient le plus souvent par escalade et effraction. Leurs craintes étaient vaines; car ils ont pu se convaincre, par l'exposition posthume qu'on fit de ses œuvres, que cette prétendue facilité n'était que le résultat d'une longue série d'études préliminaires, d'esquisses consciencieusement exécutées et que s'il y avait "surprise", ce n'était que pour le public qui voit l'effet sans connaître les causes qui l'ont déterminé.

Régnault était peintre dans toute la force du terme. Il commençait ses tableaux à l'emporte-pièce, avec une ardeur fiévreuse, un enthousiasme admirable; mais bientôt le doute s'infiltrait dans son esprit et l'anxiété de l'effort amenait le découragement; alors il reprenait son dessin, il effaçait tout ce qu'il avait fait et recourait au modèle. Et c'est ainsi que ses tableaux, où tout semble jailli de source, spontanément et sans effort, lui demandaient de patientes études et d'innombrables reprises.

D'ailleurs Régnault ne s'explique pas tout entier par le petit nombre de toiles qu'il a laissées, il faut encore lire les lettres qu'il écrivait dans sa petite chambre de la Villa Médicis, où sous la chaude lumière du soleil d'Espagne et du Maroc. Elles abondent en mots saillants, en fusées spirituelles; elles débordent d'admiration, d'enthousiasme et de verve, le tout entremêlé d'argot d'atelier et de persiflage amusant.

Parti de Paris avec des idées toutes faites, il arriva à Rome déterminé à travailler ferme pour conquérir la re

nommée. Tout ce qu'il voit, l'éblouit, l'enivre, l'écrase à ce point qu'il doute de son talent et désespère du succès. Ce fut bien pis quand il se trouva en présence de MichelAnge; il resta anéanti devant la "Merveille des merveilles", le "Jugement dernier" de la chapelle Sixtine. Pour exprimer sa stupéfaction, il se sert, dans ses lettres, des expressions les plus ardentes et des plus énormes hyperboles: "Ce plafond est monstrueux de beauté colossale. C'est un vrai cauchemar. En tombant du cinquième, on ne se ferait pas plus de mal; c'est trop beau!" Ailleurs, il ajoute: "Je suis broyé. Ce géant de MichelAnge m'a laissé à demi-mort: c'est un coup de foudre que ce plafond... Je n'ai pas ressenti, après cette visite-là, cet entrain, cette verve que vous donnent généralement les maîtres lorsqu'on a causé avec eux."

Cet accablement, effet ordinaire d'un trop grand enthousiasme, lui rendait le travail impossible, odieux. "Que voulez-vous qu'on fasse, écrivait-il à ses parents, quand de but en blanc, on se trouve en face de ce formidable géant de la chapelle Sixtine? Que peut-on oser devant lui, quand, à chaque visite, on est écrasé sous un double sentiment d'étonnement et d'admiration tellement étrange qu'on se demande si ce n'est pas de la peur? Pour moi, Michel-Ange est un dieu auquel on n'ose pas toucher; on craindrait qu'il n'en sortît du feu."

Malgré la hantise du colosse florentin, ce séjour à Rome fut salutaire à Régnault en cela qu'il le rendit plus timide en face de l'idéal et lui enleva cette superbe confiance qui a été l'écueil de tant d'esprits supérieurs. Il était cependant à craindre que cette obsession finît par dessécher son talent et par le faire dévier de sa voie. Heureusement, en 1868, il entreprit un long voyage en Espagne et il oublia bientôt toutes les lassitudes et les désenchantements de son séjour à Rome. Dans ce pays de rêve, il retrouva sa verve et son enthousiasme; grisé par le soleil, par la pureté du ciel et la beauté des paysages, il lui semble main

tenant que "Rome n'était éclairée que par une veilleuse ". Les grands maîtres de l'école espagnole, au lieu de le dé

SALOMÉ.

courager, l'exhortent au travail. Il voudrait "manger" du Vélasquez et pour rattraper le temps perdu, il court les rues, les cabarets, les camps de gitanos, les musées et les églises, remplissant ses albums de croquis admirables et notant ses impressions par trois coups de crayon qui suffisent à rendre le mouvement et la vie. Il est "au paradis dans cette Espagne si belle "que c'est à devenir fou." Mais bientôt, cette lumière magnifique ne lui suffit plus, il aspire à voir l'O

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rient... et le voilà parti pour le Maroc.

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En 1870, il exposa la "Salomé ". Du coup il dépassa les coloristes les plus audacieux de l'école moderne et laissa loin derrière lui Delacroix lui-même. "Cette prétendue Salomé, écrit M. Fournel, n'est qu'une bohémienne à la figure sauvage, souriant au spectateur sous l'ébouriffement de son épaisse tignasse noire; une gitana effrontée, une

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