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étrangers qui l'avaient établi, ce milliard a été avancé par des prêteurs des autres nations, ces prêteurs ont réellement acquis pour un milliard de propriétés françaises. Si, lorsqu'un peu plus tard, il créa une dette d'un second miliard pour le livrer aux émigrés, ce milliard avait été avancé par des capitalistes étrangers, ces capitalistes auraient encore acquis le droit de percevoir à perpétuité sur les produits de notre industrie les intérêts du capital prêté.

On conçoit qu'en poussant à l'excès un pareil système, la nation la plus intelligente, la plus aetive, la plus industrieuse, pourrait être transformée en un peuple d'ilotes, travaillant pour quelques milliers d'oisifs qui achèteraient les produits de ses terres, de son industrie et de tous ses travaux, d'un ⚫ gouvernement qui s'en ferait payer la valeur, et qui la partagerait entre ses favoris ou ses satellites: il n'y a qu'une bonne représentation nationale qui puisse mettre un peuple à l'abri d'une telle spolia

tion.

Tous les gouvernemens ont senti que pour aliéner à perpétuité, avec avantage pour euxmêmes, une partie plus ou moins considérable des revenus sur lesquels est fondée l'existence de la masse de la population, il fallait offrir de fortes garanties et de grands bénéfices aux capitalistes nationaux ou étrangers qui se présenteraient pour

les acheter. Aussi, les lois de tous les pays offrentelles aux gens qui se présentent pour acheter du gouvernement une partie des moyens d'existence de la population qui lui est soumise, des bénéfices et des priviléges fort grands. Ces bénéfices et ces priviléges sont si exorbitans, qu'on a cru nécessaire de les prohiber par des lois formelles pour les autres genres de propriétés.

Suivant les lois françaises, par exemple, les revenus qui consistent en rentes sur l'État sont affranchis de toute contribution (1); tandis qu'un propriétaire de terres, soumis à tous les impôts qui pèsent sur le rentier, est, en outre, obligé de payer au gouvernement le quart ou le cinquième de ses revenus, et que nul ne peut se livrer à aucun genre d'industrie ou de commerce, sans avoir payé un impôt spécial désigné sous le nom de patente. Nut capitaliste ne pourrait, sous peine d'être poursuivi correctionnellement comme usurier, stipuler un intérêt au-dessus de cinq pour cent, pour le capital qu'il prêterait à un simple particulier (2); tandis s'il livre le même capital à un gouverque nement qui lui vendra, sous le nom de rente sur l'Etat, une portion plus ou moins considérable des revenus des citoyens, il pourra recevoir un in

(1) Lois des 4 et 10 décembre 1790.
(2) Loi du 3 septembre 1807.

térêt infiniment plus élevé. Enfin, les biens d'une personne peuvent être saisis et vendus au profit de ses créanciers, quand ils consistent en fonds de terre, en maisons, en établissemens d'industrie ou de commerce, tandis qu'ils sont insaisissables quand ils consistent en rentes sur l'Etat (1). L'individu qui, ayant volé un million de francs, l'emploierait à acheter une rente de cinquante mille francs sur l'État, ne pourrait pas en être dépouillé par la justice, quand même le vol serait manifeste.

On conçoit qu'il ne serait pas difficile à un gouvernement qui possède de tels moyens, d'aliéner à perpétuité, au profit de capitalistes étrangers ou nationaux, une partie des moyens d'existence de la population, s'il voulait abuser de son pouvoir; mais il ne s'agit pas ici d'exposer les attentats dont les propriétés peuvent être l'objet, soit de la part d'un gouvernement, soit de la part des particuliers; je n'ai qu'à faire connaître les diverses espèces de propriétés qui existent chez la plupart des nations civilisées.

(1) Loi du 22 floréal an VII (11 mai 1799), art. 7.

CHAPITRE XXXVIII.

De la faculté de jouir et de disposer d'une propriété.

Il existe, chez une nation civilisée, une infinie variété de choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés. Parmi ces choses, il en est plusieurs que nous employons à satisfaire immédiatement nos besoins, ou à nous procurer certaines jouissances, et qui se consomment par l'usage que nous en faisons; il en est d'autres qui nous servent à nous procurer, par des échanges, les divers objets dont nous avons besoin, et que nous n'avons pas le moyen de produire par nous-mêmes; il en est d'autres enfin qui ne peuvent satisfaire immédiatement aucun de nos besoins, mais qui produisent ou servent à produire celles qui sont nécessaires à notre conservation ou à notre bien-être.

En observant comment se forment la plupart de ces choses que nous appelons des propriétés, nous avons vu qu'en général il s'y trouve divers élémens de matière, qu'il n'est en notre pouvoir ni de créer, ni d'annihiler ; que, dans leur état primitif, et avant la main de l'homme ait concouru à les modi

que

fier ou à les combiner, ces élémens de matière ne sont pour nous d'aucun usage, c'est-à-dire qu'ils ne sont propres à satisfaire aucun des besoins que la nature nous a donnés; enfin, que si plusieurs nous sont fournis gratuitement par la nature, il en est d'autres que nous ne pouvons nous procurer que par de pénibles travaux.

Nous avons ensuite observé que l'homme, tantôt par ses seuls efforts, tantôt en faisant usage des forces que la nature lui fournit, tantôt en dirigeant la puissance de production qui est en elle, donne à la matière les qualités qui doivent s'y rencontrer pour satisfaire ses besoins, ou pour produire les divers objets qui lui sont nécessaires; nous avons désigné ces qualités données à la matière, par la puissance qu'elles ont de servir à notre usage, par le mot utilité ; nous avons désigné par le mot valeur l'estime d'une chose que l'on compare à une autre, contre laquelle elle peut être échangée.

Enfin, nous avons observé que si l'homme donne à la matière les qualités qu'elle doit avoir pour lui être utile, ce n'est que dans la vue d'en profiter ou d'assurer l'existence des membres de sa famille ou d'autres personnes auxquelles il s'intéresse ; que tout travail est pour lui une peine, et qu'il ne se soumet à une peine, que pour en éviter une autre qu'il juge plus grave, ou pour se procurer des plaisirs qui excèdent les maux par lesquels il les achète.

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