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cela tient à l'inégalité des fortunes mêmes. D'où il suit que, si l'on voulait amener l'impôt à se faire également sentir partout, il faudrait faire disparaître l'inégalité des richesses et passer sur le pays le niveau du communisme.

Le nivellement des fortunes, tel est en effet le terme naturel, la conséquence logique de l'impôt progressif. On frappe d'une sorte de pénalité l'accumulation du capital. On attaque la propriété dans sa formation et dans son développement. On entre dans une voie arbitraire et l'on détruit toute espèce de garantie; si l'on arrête la progression, on n'atteint pas les fortunes les plus élevées, et l'on manque au principe, précisément lorsqu'en vertu de la théorie l'application en semblerait le plus juste; si on n'arrête pas la progression, on arrive alors plus ou moins promptement à l'absorption du capital imposable, c'est-à-dire à la spoliation. Ce n'est pas par de semblables moyens qu'on opérera un morcellement fécond dans les fortunes, c'est par l'action naturelle des lois civiles sur les successions et par le mouvement du travail.

La commission avait donc rejeté, à une majorité considérable, le principe de l'impôt progressif, comme étant contraire à la justice, dangereux pour la société, nuisible à l'activité humaine, dont il tend à paralyser les développements.

Est-il vrai, comme le prétendait M. Goudchaux dans son exposé des motifs, que l'impôt progressif, fût-il vicieux dans son application à la propriété personnelle, s'adapterait particulièrement à la matière des successions? Distinguer entre la propriété personnelle et la propriété acquise par l'hérédité, présenter cette dernière comme due seulement au hasard de la naissance ou au caprice des affections privées, n'était-ce point donner gain de cause à ces sophistes qui prêchaient l'abolition de l'hérédité, et, par là, la destruction de la famille ?

D'ailleurs, loin que l'impôt sur les successions se prête à une application exceptionnelle du principe progressif, il s'y refuse au contraire plus que toute autre nature d'impôt. D'une part, l'impôt sur les successions est calculé, non pas sur le chiffre de la fortune totale de celui qui hérite, chiffre qui, étant la seule mesure de l'aisance, pourrait seul former la base de la progression, mais sur le chiffre de la succession même qui peut échoir à un homme

plus ou moins pauvre, plus ou moins riche. D'autre part, il est perçu, par suite des nécessités fiscales et pour éviter les fraudes, non pas sur l'actif net, mais sur l'actif brut, sans déduction des dettes et des charges, de telle sorte que la surtaxe progressive aurait souvent pour base une non-valeur. Aussi la minorité même de la commission, qui s'était attachée à défendre le principe abstrait de la progression, avait-elle reconnu presque tout entière que ce principe était complétement inapplicable à l'impôt sur les successions et donations.

Restaient les autres innovations que le projet apportait dans l'assiette de l'impôt; la première était relative à l'élévation générale des droits; la commission n'avait pas admis pour bases de ses tarifs des chiffres qui s'approchassent des maximum de progression posés dans le projet ; mais elle avait consenti cependant des augmentations notables et qui modifiaient sur presque tous les points l'échelle des droits actuels; elle avait pris, pour maximum des droits, te chiffre de 12 p. 010, qui, ainsi que le faisait remarquer le rapporteur, entamait déjà profondément le capital immobilier, objet de la mutation; ce maximum, dans le projet, s'élevait jusqu'à 20 010.

Le projet accordait une immunité complète pour toutes les successions d'une valeur moindre de 500 fr.; la commission objectait. fort sensément que cette disposition n'avait qu'une apparence démocratique, car un legs, une quote-part héréditaire de 500 fr. de valeur peut échoir à des citoyens déjà fort riches; où donc se trouveraient, en pareil cas, la moralité et la justice de l'indemnité? Si l'on considérait, en outre, que l'administration est dans l'usage d'accorder des dispenses aux indigents, on reconnaîtrait que l'adoption de cette mesure causerait une perte réelle au Trésor, sans compensation pour la population pauvre, et l'on comprendrait que la commission en proposât le rejet.

La commission avait également repoussé l'assimilation absolue que le projet établissait, sous le rapport des droits, entre les meubles et les immeubles; les valeurs mobilières, généralement périssables et quelquefois non productives, lui avaient semblé, par cela même, devoir être taxées moins fortement; d'ailleurs, comme elles sont plus faciles à dissimuler, des droits élevés ne feraient

qu'encourager la fraude; toutefois, comme la différence dans les tarifs actuels sur les meubles et sur les immeubles est très-considérable, la commission avait cru devoir les rapprocher sur plusieurs points.

Une autre disposition du projet qui était encore repoussée par la commission, était celle qui réunissait dans la même catégorie le parent au quatrième degré, le parent au delà du quatrième degré et l'étranger à la famille; on serait, disait le rapporteur, tenté de voir dans cette disposition le corollaire fiscal de ces doctrines, qui, ôtant plus à la famille qu'elles ne donnent à la fraternité civique, réclament, au profit de l'État, une modification profonde de la loi sur les héritages: l'assimilation de parents à divers degrés avec les étrangers dépourvus de toute vocation héréditaire, semblerait en effet une mise en question des droits légaux des premiers; la commission proposait donc le maintien de la classification du tarif actuel, déjà ancienne dans nos habitudes, et qui est d'accord avec les lois ordinaires de l'affection naturelle aussi bien qu'avec le droit civil.

Enfin, la commission rejetait aussi la proposition de soumettre aux droits de mutation par décès les rentes sur l'État et les valeurs mobilières situées à l'étranger. Le droit dont on frapperait les rentes retomberait sur le crédit de l'État, qu'il importait, aujourd'hui surtout, de soutenir avec tant de sollicitude; un seul pas dans cette voie occasionnerait une alarme dont le cours des fonds publics ne tarderait pas à se ressentir; l'impôt serait d'ailleurs fraudé facilement et produirait peu. Quant aux valeurs mobilières situées en pays étranger, il ne serait pas juste de les frapper d'un impôt au profit de l'Etat qui n'en protége qu'imparfaitement l'acquisition et la jouissance.

On le voit, la commission avait apporté au projet des modifications fondamentales. Le principe de la progression, ainsi que toutes les dispositions inspirées par un socialisme plus ou moins avoué, avaient complétement disparu. La commission estimait que le rehaussement des droits proposés par elle produirait une plus-value d'environ 19 millions; mais il paraissait difficile que, cette année, il pût en sortir plus de 9 ou 10.

La discussion fut ouverte le 15 janvier. Bien que le projet

émanât d'un représentant de l'opposition, comme il se trouvait aujourd'hui présenté par le Gouvernement, l'opposition crut devoir l'attaquer. M. Stourm insista pour qu'on opérât des économies héroïques dans le budget. L'orateur voulait qu'on réduisit la marine, l'administration, qu'on supprimat l'armée. C'est aussi le désarmement de la France qu'indiqua M. Billault comme grande ressource économique. Déjà, dans quelques autres circonstances, M. Billault avait paru afficher la prétention de représenter l'opposition dans la Chambre, croyant sans doute qu'aujourd'hui, comme avant février 1848, un chef d'opposition n'était autre chose qu'un chef futur de cabinet. La gauche encourageait secrètement ces doctrines arriérées, sauf à rejeter, au jour du triomphe, celui qui parlait en son nom. M. Billault laissa voir avec quelque complaisance ses prétentions nouvelles, et crut les justifier en disant que le niveau du Pouvoir n'était pas tellement élevé qu'il ne fût permis d'y atteindre. Que les choses fussent changées aujourd'hui, qu'il n'y eût plus de place pour une opposition constitutionnelle, qu'il n'y eût plus que deux camps, celui des amis, celui des ennemis de la société, c'est ce que l'orateur, aveuglé par le désir du Pouvoir, ne paraissait pas comprendre. Aussi, sur les bancs de la droite, comme sur ceux de la gauche, on apprécia facilement les déclamations de l'orateur contre un ministère de quinze jours qu'il cherchait à rendre responsable des prodigalités du passé.

M. Passy n'eut pas de peine à répondre à des attaques inspirées par une tactique si transparente. La France était-elle seule dans le monde ? Le Gouvernement avait-il à maintenir le respect du nom français au milieu des agitations de l'Europe, et le meilleur moyen de prévenir les hostilités, était-ce de déposer les armes? Quand viendrait la question extérieure, l'Assemblée aurait à examiner si elle prétendait continuer à suivre la ligne politique qui avait été suivie jusqu'ici, si elle entendait inaintenir ou retirer ses paroles engagées. Ce serait seulement alors que la question du désarmement pourrait être traitée d'une manière utile. Quant aux réformes administratives, disait encore M. le ministre, elles ne s'improvisent pas; il y en a de mauvaises ce sont celles qui désorganisent les services. Parmi celles qui avaient été vo

tées récemment, M. Passy en signalait une comme particulièrement malheureuse, celle qui avait atteint l'administration des forêts.

M. Billault avait espéré entraîner l'Assemblée en l'effrayant sur l'impopularité qu'elle pourrait exciter contre elle par le vote de nouveaux impôts on connaît les arguments d'usage en pareils cas. M. le ministre des Finances répondit que, sans doute, ce n'est pas sans regrets qu'un Gouvernement se décide à réclamer du pays de nouveaux sacrifices; mais, enfin, le véritable homme d'État accepte courageusement la responsabilité des mesures qui lui paraissent nécessaires.

M. Billault, et, après lui, M. Servières, ayant paru douter des loyales intentions de l'administration, M. Passy termina par ces mots significatifs : « Ou rendez-moi ma mission possible, ou je la résigne. »

La Chambre décida, à une très-forte majorité, qu'elle passerait à une seconde délibération (15 janvier).

Un projet de décret sur les douanes, soumis à l'Assemblée nationale dans les derniers jours de 1848, avait été la consécration pure et simple des diverses mesures antérieurement arrêtées par le Pouvoir exécutif, et n'offrait dès lors rien de véritablement important. Les dispositions principales de ce projet concernaient, d'une part, quelques marchandises d'importation, dont le tarif était modifié, de l'autre, les exportations sous bénéfice de primes. La prohibition à l'entrée des nankins de l'Inde, importés par navires étrangers, était remplacée par un droit de 5 fr. par kil., et ce même droit de 5 fr., qui frappait les nankins venus directement de l'Inde sous pavillon français, était réduit à 1 fr. Les glaces non étamées étaient prohibées à l'entrée, tandis que les glaces étamées ne l'étaient pas. Le décret faisait cesser cette singulière anomalie de tarif en soumettant les premières à des droits spécifiques variant de 10 à 50 fr., selon la superficie des glaces.

Le sol de l'Algérie est, on le sait, riche en minerais donnant d'excellentes fontes aciéreuses, propres à la fabrication des outils et des lames fines. Déjà des compagnies se sont formées pour les exploiter; mais, sans débouchés certains, ces établissements ne

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