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on le rame en enfonçant en terre, autour des planches, des piquets fourchus sur lesquels on appuie des traverses légères

croisées en tout sens.

L'époque si essentielle pour la récolte est saisie avec une sagacité rare; le rouissage, opération très-délicate, s'exécute dans la perfection enfin toutes les personnes entre les mains desquels le lin passe jusqu'à sa dernière métamorphose, prennent les mêmes soins et font preuve du plus judicieux discernement.

Tous ces travaux, qui paraissent à peine croyables à ceux qui n'en ont pas été les témoins, sont très-coûteux sans doute; mais aussi quels produits ne procurent-ils pas au cultivateur, non-seulement par la dépouille du lin, mais encore par toutes celles qui doivent succéder?

Sol et Mode de culture du département de l'Aisne. Le département de l'Aisne offre généralement un sol où les parties constituantes d'une terre essentiellement propre au lin fin, sont dans des proportions beaucoup moins favorables à cette plante. Ici l'argile domine et s'oppose à l'extension des racines; là trop de sable ou de calcaire laisse échapper l'humidité nécessaire; ailleurs ces diverses parties, mal combinées ensemble, reposent sur une glaise qui, imperméable à l'eau l'hiver, aux rayons du soleil l'été, rend la terre trop humide jusqu'à la fin du printemps, et brûlante ensuite. Partout peu de fonds, souvent des expositions froides ou desséchantes; et la culture, encore dans son enfance, ne vient remédier à aucun de ces graves inconvéniens. Que de cultivateurs les augmentent au contraire par leur ineptie ou leur imprévoyance! Combien n'en est-il pas qui se reconnaîtraient dans la peinture que je vais tracer! Il est constant qu'une terre ne peut être convenablement disposée à recevoir la semence du lin, si

au moins un an d'avance on ne la destine à cette production; cependant souvent le mois d'avril arrive sans que le cultivateur ait encore fixé son choix; l'a-t-il fait avant l'hiver? ce choix tombe sur des champs qui jamais n'ont été soumis à une rotation de culture bien combinée, sur des champs dont l'éteule décelle la récolte épuisante qu'ils viennent de nourrir, sur des champs enfin qui, très-médiocrement fumés avec de très-médiocre fumier, portent alternativement et sans interruption de temps immémorial du chanvre, du lin, du blé; mode qui, malgré sa défectuosité, devrait au moins lui prouver jusqu'à l'évidence l'abus des ruineuses jachères dont il ne cesse de plaider la cause. Presque toujours au-dessous de sa besogne, et croyant faussement l'avancer, il se hâte aussitôt après l'hiver d'exécuter les hersages, les roulages sur une terre encore fortement humide, souvent par un temps pluvieux, et par ces opérations intempestives, il détruit, non seulement les effets salutaires des travaux précédens; mais il rend encore tous ceux qui doivent suivre beaucoup plus longs, plus difficiles, et souvent incomplets; enfin, bien ou mal disposée, la terre reçoit une semence usée, sale, quelquefois le rebut des tordeurs, ou réputée bonne, parce qu'elle a été chèrement payée à quelque fripon qui a su capter la confiance du cultivateur ce dernier cas est trèsfréquent. Qu'on me pardonne un épisode qui mérite de figurer ici, en faveur du peu de place que je lui consacrerai. Un cultivateur livra trente hectolitres de vieille graine de lin à un marchand, à condition que celui-ci lui fournirait en retour dix hectolitres provenant de lin de tonneau de l'année; en mesurant cette graine, qui fut enlevée de suite, le cultivateur perdit son cachet de montre dans le tas. Lorsque le temps de semer fut arrivé, il alla chercher ses dix

hectolitres; en vidant les sacs chez lui, il retrouva son cachet, et demeura convaincu que son propre grain lui était revenu, sauf la quantité.

A peine le lin est-il levé, que les taupes, s'emparant du champ, le retournent de mille manières. Au lieu de les détraire, ce qui est très-facile en pareil cas, on se contente de marcher sur leurs passages qui se trouvent rouverts avant la fin de la journée. Il est telle pièce où ces animaux détruisent un tiers des plantes; cependant le propriétaire se console en disant : « plus tard on n'y verra rien. » Sa prophétie s'accomplit en ce sens qu'il ne sait rien voir. L'instant des sarclages arrive, il croit économiser en employant des enfans qui, par leurs jeux, leur imprévoyance, donneraient lieu de penser après l'opération que le champ a été ravagé par un orage. Même vice dans le cueillage presque toujours effectué trop tôt ou trop tard.

Ce tableau paraîtra chargé, peut-être ; je le déclare peint d'après nature. De quels traits ne le rembrunirais-je pas, si je suivais dans leurs opérations presque tous les acquéreurs de nos lins qui ne soignent guère mieux leur affaire que nous ne connaissons la nôtre.

Sans doute il est quelques exceptions; mais elles sont trèsrares, et celui qui fait le moins mal est encore loin de faire bien.

D'après tout ce qui vient d'être dit, est-il difficile de décider pourquoi les lins du département de l'Aisne sont inférieurs, pour les fils fins, à ceux du département du Nord? Ils le sont :

1o. Parce que le sol du premier est infiniment moins fertile, moins favorable à la culture du lin que celui du second;

2. Parce qu'on ne prend aucune des précautions que cette culture exige impérieusement.

3 Parce qu'on n'entend absolument rien à la rotation des récoltes avec cette culture;

4°. Parce que les marchands entre les mains desquels le lin tombe en sortant des nôtres, soit que ce lin n'en valle pas la peine, soit par défaut de débouché pour la vente, de connaissances, d'emplacemens convenables, ou de moyens nécessaires, n'exécutent pas à beaucoup près aussi bien que les liniers du département du Nord les opérations qui sont de leur ressort.

Moyens d'amélioration.

La providence, souvent prodigue dans ses largesses, quelquefois restreinte dans ses dons, mais constamment bienfaisante, a toujours placé le remède à côté du mal : il ne s'agit que de savoir jouer le rôle qu'elle nous a confié. Mille preuves confirmeraient cette vérité; une seule me suffit. L'argile trop compacte est ordinairement assise sur un ban de silice, de terre calcaire, ou ces deux dernières matières reposent sur la première, de sorte que, par un judicieux amalgame, l'excès de l'un peut être corrigé par une portion de l'autre. Il semble que l'Eternel, qui s'est plu à nous donner des traits de ressemblance avec lui, ait jugé convenable de nous associer au chef-d'œuvre de la création, en ne faisant qu'ébaucher des choses auxquelles le génie de l'homme devait donner la dernière perfection. Jaloux d'un si beau privilége spécialement accordé au cultivateur, puisque celui-ci touche de plus près à la nature, qu'il comprenne enfin toute l'importance de son mandat, et se mette en devoir de le remplir. Son art consiste à consulter sa position, et à connaître la terre qu'il exploite. Qu'il l'étudie, cette terre, elle décellera bientôt ses défauts, et il saura les atténuer, s'il n'est pas en son pouvoir de les faire entièrement disparaître. Que de moyens

d'amélioration s'offrent à lui en outre de ceux que je viens de faire pressentir! Passons en revue les principaux dont les rapports sont plus directs avec l'objet qui nous occupe.

1o. La longueur, la douceur, la finesse du lin sont d'abord le résultat de son abondante végétation; cette végétation, ayant pour premiers moteurs l'humus que la terre renferme, et l'épaisseur de la couche supérieure, dont l'ameublissement facilite l'extension des racines, il importe essentiellement, 1°. d'augmenter progressivement l'épaisseur de cette couche au moyen de labours plus profonds, et même de défoncemens; 2°. de prodiguer les engrais et les amendemens, deux agens qui concourent au même but, mais dont l'agronome instruit sait apprécier toute la diffé

rence.

2o. A l'effet de pouvoir suffire à cette prodigalité, former des composts avec toutes les substances que la nature offre, substances précieuses qu'on néglige impitoyablement dans le plus grand nombre des exploitations, et dont on ne songe guère dans tous les cas à profiter pour une semblable destination. Les terres de fossés, les boues de mares, d'étangs, la suie, la craie, le tan, les feuilles, les débris des végétaux, les gazons, les cendres noires, de lessive, de tourbes, les marcs de fruits, les lies de matières fermentées, les fonds de cours, d'étables, de bergeries, dans lesquelles on doit ramener chaque année plusieurs pouces de terre, le sang, les cadavres des animaux, les matières fécales humaines, la colombine, l'urine, les platras pulvérisés, etc.; toutes ces substances augmentées, même de terre des champs, activées par une légère mixtion de chaux éteinte et combinées ensemble pendant une année, forment un engrais d'autant meilleur que les principes volatils résultant de la décomposition des matières, et qui se perdent ordi

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