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pape et Napoléon, sont d'autant plus déplorables qu'il n'a jamais existé entr'eux aucun éloignement ou inimitié personnelle; de part et d'autre on se rendait justice, de part et d'autre on prisait les qualités réciproques. Ainsi le pape a toujours parlé avec la plus grande considération des talens supérieurs de Napoléon, des services qu'il avait rendus à la France, à la religion; et à la société, en opposant une barrière invincible à l'anarchie qui dévorait la France avant le 18 brumaire. Son affection pour lui, car il en avait une véritable, s'était, comme il est napar les mauturel de l'imaginer, fort attiédie vais traitemens qu'il avait éprouvés; mais cette ame inaccessible au ressentiment, ne s'était jamais élevée jusqu'à la haîne contre Napoléon. Lorsqu'après l'arrangement des affaires ecclésiastiques à Savone, nous proposâmes au pape d'écrire à Napoléon, de manière à dissiper tous les ombrages et à rétablir la bonne harmonie entre deux personnages, dont le sort de l'église dépendait alors, harmonie qui nous paraissait de la plus haute importance, Pie VII n'opposa pas une objection à cette proposition, et ne balança pas à prendre cette initiative de réconciliation, si conve

nable à son caractère religieux et personnel. De son côté Napoléon portait personnellement à Pie VII de vrais sentimens de considération et d'affection : je lui ai des obligations.... il m'a sacré.... c'est un agneau.... un ange de douceur.... Voilà ce que cent fois j'ai entendu sortir de sa bouche!.... La manière de voir d'un pape et celle d'un jeune conquérant sur des matières religieuses concernant, non les dogmes, mais des usages ou quelques parties de la discipline et même quelques prétentions de la cour de Rome, pouvait bien n'être pas la même des deux côtés, et cela n'a rien d'étonnant; mais ces légères nuances n'altéraient pas le fond des sentimens qu'ils avaient l'un pour l'autre. Jusqu'à la fin, Napoléon n'a pas cessé de s'exprimer sur le caractère du pape avec toute la considération qu'il commande. Dans la dernière audience qu'il donna aux évêques revenus de Savone, au moment de son départ pour la Russie, il répéta plusieurs fois en parlant de Pie VII, c'est un agneau...; il m'a forcé à lui faire du mal, j'en suis faché; et il accorda sans résistance, tout ce qui lui fut demandé pour les personnes attachées au

service du pape, et qui ne l'avaient pas abandonné. C'était à lui que se rapportaient ces récompenses.

Pour ma part, je puis attester que dans les nombreuses conversations que j'ai eues avec Napoléon, je lui ai souvent entendu dire avec l'accent de la conviction, qu'il n'avait jamais pensé à attaquer le pape, et que c'était lui qui l'avait forcé à lui faire du mal. C'étaient ses expressions habituelles; un jour surtout il l'affirma avec une force et dans des termes qui me surprirent et me donnèrent lieu de rechercher, comment on pouvait mettre d'accord des paroles et des actions qui semblaient se démentir mutuellement. Je sens que l'on va dire qu'il me trompait; à quoi il est facile de répondre à quel propos aurait-il voulu me tromper? Qu'avait-il à gagner en me trompant? Trompaitil celui qui si souvent jettait avec profussion et sans aucun ménagement, ce qu'il aurait dû réserver pour lui seul avec la plus stricte discrètion? Enfin, s'il m'est permis de parler de moi, croit-on que mon oreille ne fût pas susceptible de distinguer, ni exercée à discerner les sons qui rendaient sa pensée,

ou seulement son rôle. Je demande que l'on veuille bien croire que j'ai eu le diapazon de Napoléon, au moins autant que beaucoup de ceux qui se mêlent d'en parler. Cette expression si vive, si animée de la part de Napoléon, me frappa de manière à me faire rechercher ce qui produisait en lui cette conviction des torts du pape à son égard, et j'ai cru devoir la rapporter à deux causes.

1o. A quelque mauvais génie qui s'était glissé entre lui et le pape et qui avait dénaturé la conduite du dernier de manière à produire de l'irritation dans l'esprit de Napoléon.

La confrontation de quelques-uns de ses discours, avec certaines allégations, faites devant moi contre le pape par d'autres personnages, me mit sur la voie et me fit remonter facilement aux auteurs des divisions.

2o. A cette partie singulière du caractère de Napoléon par laquelle un objet qui le frappait, acquérait dans le moment même à ses yeux, un corps et une consistance réelle, par les rapprochemens que la mobilité de son imagination lui fournissait avec abondance et lui faisait saisir avec une inconcevable rapi

Alors la satisfaction de l'esprit opérait la conviction, et le château qu'elle venait de lui bâtir, eût-il été de cartes, acquérait pour lui l'apparence de la solidité. Tel était chez lui l'effet de l'imagination et son danger. J'ai été à portée d'en remarquer plusieurs fois les effets; et souvent par là il a paru peu sincère, quoiqu'il parlât alors comme il était affecté.

L'impression du moment était la plus forte chez lui de là naissaient des orages qui se formaient dans un clin-d'oeil et qui se dissipaient de même. Dans ces cas les apparences étaient contre Napoléon; il paraissait faux, il n'avait été que mobile. On n'était frappé que de ce qui paraissait au dehors, et l'on ne faisait pas attention à la singulière disposition de son esprit, qui faisait trouver ses paroles en contradiction avec ses actions. Cela est singulier dira-t-on. Mais qui dit que tout ce qui s'est passé depuis trente ans ne soit fort singulier, et que Napoléon ait été fait comme un autre? Je reviens à ce que j'ai écrit ailleurs, c'est que de tous les personnages historiques Napoléon est peut être celui qui a été le plus mal observé, et le moins fidèlement peint.

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