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Ainsi le décret du 26 décembre qui ressuscita les commissaires du pouvoir exécutif de 1792 et les représentants en mission de 1793. Les rois frères, les Bonaparte se retrouvaient encore une fois rapprochés autour de Paris; eux aussi opéraient leur retraite sur l'histoire et remontaient aux temps faméliques et incertains, à 1795 '. Napoléon écrivit à Louis : « Vous n'êtes plus roi de Hollande. Le territoire de l'empire est envahi, j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous venir comme prince français? Je vous recevrai... vous serez mon sujet... Si au contraire vous persistez dans vos idées de roi et de Hollande, éloignez-vous de quarante lieues de Paris. » Et à Joseph: «La France est envahie, l'Europe toute en armes contre la France, mais surtout contre moi. Vous n'êtes plus roi d'Espagne; voulez-vous comme prince français vous ranger auprès du trône? Vous aurez mon amitié, votre apanage, et serez mon sujet... Cela ne vous est-il pas possible? Il faut vous retirer à quarante, lieues de Paris..... Vous y vivrez tranquille, si je vis. Vous y serez tué ou arrêté si je meurs 2. » Louis et Jérôme opinèrent pour l'éloignement à quarante lieues c'était encore, à leur gré, faire figure de rois. Joseph, toujours politique et qui gardait ses pensées de derrière la tête, se contenta du titre; il devint le roi Joseph, roi de quoi? roi de rien, roi comme un préfet baron, un sénateur comte. Il opta pour la confiance de l'empereur, l'apanage dans l'empire, et la place la plus rapprochée du trône, celle de lieutenant général dans la régence. « Les amis de l'ordre et des idées sages, écrivait un diplomate, en 1805, croiraient trouver le complément des bienfaits de la Providence, si la mort de Napoléon pouvait mettre le prince Joseph à sa place 3. » Joseph se mettait au premier rang de ces hommes sages. Il avait perdu deux ans à Naples, égaré son génie en Espagne; les temps prédits approchaient-ils?

:

1 MÉNEVAL, t. III, p, 176. MIOT, t. III, p. 351.

- Frédéric MASSON, Marie-Louise.

3

DUCASSE, LECEstre,

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Murat les jugea venus et sauta le fossé. Seul des rois napoléoniens, ce roi latéral subsistait encore. Il n'usa de ce reste de vie que pour trahir son maître, et de sa prérogative royale que pour pactiser contre son pays. Napoléon discernait ses mouvements. Pour l'arrêter, si on le pouvait encore, il lui dépêcha Fouché qui revenait d'Illyrie, se retirant devant les Autrichiens. Si Fouché ne retenait pas Murat, Murat du moins, retiendrait Fouché loin de Paris. Murat, pour motiver la défection qu'il préparait, avait demandé à l'empereur de proclamer l'indépendance des Italiens et « de réunir l'Italie en une seule nation". Le 27, Caulaincourt, dans un rapport composé avec les correspondances de Durant, conclut : « Le but du roi est de rendre l'Italie indépendante. » Il ajoutait : « Votre Majesté en a fait une nation. La plupart des Italiens désirent avoir une existence politique. Le roi de Naples s'en est aperçu. Il mettra tout en usage pour faire éclater de toutes parts cette opinion, et pour réunir, s'il le peut, tous les membres de l'Italie. » Mais convenait-il de n'en former qu'une seule monarchie? Caulaincourt, imprégné des traditions de Talleyrand, comme s'il avait eu sous les yeux les rapports de ce ministre au Directoire 3, opinait pour la division: Murat à Naples, un État neutre au centre. Toutefois, il conseillait de louvoyer, de laisser Murat cuver ses illusions à la paix, chacun rentrerait chez soi, le duc de Toscane, le pape et Murat lui-même. Dans l'intervalle, occupé de si glorieux desseins, «ce prince cherchera moins à obtenir des alliés ce qu'il espérera obtenir de Votre Majesté... il ne se détachera pas ouvertement de la cause de Votre Majesté. »

Mais il était trop tard et Murat s'était tourné du côté des alliés. Metternich avait saisi le joint avec Murat, comme il avait conduit l'intrigue contre Napoléon, depuis Dresde jusqu'à Francfort, d'autant plus facile en promesses qu'il savait les

LUMBROSO, Muratiana. Correspondance de Fouché. NORVINS, t. III. MADELIN, Fouché, ch. XXI-XXII. WEIL, t. I-III. Rapports de Durant, de Caulaincourt, correspondances de Bentinck et de Mier.

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A Napoléon, 10 novembre 1813. 3 Cf. t. V, p. 317-318.

alliés résolus à ne rien ratifier, et qu'il était engagé à ne rien opérer sans eux. Son calcul consistait à séparer Murat de Napoléon, à le discréditer en France et en Europe, à l'user en Italie, à s'y nantir et à l'en expulser, s'il ne tombait pas de sa propre défaillance. Quant aux motifs qui amenèrent Murat à l'écouter, Fouché les a déduits avec la sagacité d'un maitre en défection, qui, vraisemblablement, méditait déjà la sienne 1. Le roi, écrit-il, se montre froissé de n'avoir pas reçu de Napoléon le commandement supérieur de l'Italie, pressé par ses sujets, jaloux de la dignité de leur roi autant que de leur propre indépendance, pressé par les patriotes d'Italie « Le mot d'indépendance a acquis une vertu magique! pressé enfin par ses amis de Paris, qui lui écrivent : « L'empereur ne peut plus rien, même pour la France; comment garantirait-il vos états! Songez à vous, ne comptez que sur vous-même. Il vous sacrifierait à une bicoque. » Et, très ironiquement, l'ancien émissaire de la Terreur ajoute dans son rapport à Napoléon : « Vos ennemis opposent au tableau de la situation de la France celui des avantages immenses que présente au roi son accession à la coalition: ce prince consolide son trône, agrandit ses États, au lieu de faire à l'empereur le sacrifice inutile de sa gloire et de sa couronne; il va répandre, sur l'une et sur l'autre l'éclat le plus brillant en se proclamant le défenseur de l'Italie, le garant de son indépendance. Se déclare-t-il pour Votre Majesté, son armée l'abandonne, son peuple se soulève. Sépare-t-il sa cause de celle de la France, l'Italie tout entière accourt sous ses drapeaux. "

Avant qu'il ne rentrât à Naples, Caroline était gagnée à l'Autriche. Metternich l'avait abusée par le même artifice dont il s'était servi pour entraîner Murat à quitter l'armée et dont il trompa les Français à Francfort. Il lui fit entrevoir la reconnaissance de sa couronne par l'Angleterre, cette paix anglaise que Napoléon promettait depuis 1800 et qu'il sem

1 A Napoléon, 27 décembre 1814. LUMBROSO.

blait plus que jamais incapable de procurer. Il lui dépêcha un Napolitain, Schinina, qui lui peignit la déroute de Napoléon, lui présenta en modèle la défection de la Bavière, vieille maison, pénétrée des traditions de l'honneur monarchique, et alliée de la famille impériale! Caroline ne put manquer d'être émue de ce royal exemple. L'agent parla avec tant de force sur les événements à prévoir, que la reine se résolut à mander au palais le comte Mier, l'envoyé d'Autriche. Elle lui dit « combien elle avait été touchée des procédés amicaux et généreux de son empereur », qu'elle « était décidée a entrer en négociations avec l'Autriche », et l'invita à lui apporter un mémoire sur la situation des affaires. Mier se mit aussitôt à l'ouvrage 1. Il n'y a, disait-il, de salut pour le royaume que dans la protection des alliés. Il pressa la reine d'agir, en sa qualité de régente, de sauver la couronne, l'État, son mari, sa dynastie, concluant par cette phrase, soufflée vraisemblablement par Metternich, qui connaissait si bien la femme en cette reine improvisée : « C'est le moment, et peut-être le seul qui se présentera jamais, où la reine puisse déployer les grandes qualités que le ciel lui a si richement prodiguées et dévoiler aux yeux de l'univers les vertus indispensables pour un souverain, qu'elle possède dans un degré si éminent. » Le 28 octobre, Mier fut de nouveau appelé au palais. Ce jour-là, pour lever les dernières hésitations, il lança l'argument sans réplique. Il se dit autorisé à faire connaître que « lord Aberdeen, ambassadeur d'Angleterre à la cour de Vienne, est autorisé à signer, conjointement avec l'Autriche, un traité avec le roi de Naples, dans la supposition que Sa Majesté se déclarât pour la cause de l'Europe et que l'Autriche se prononçât en faveur d'un arrangement pareil 2 ». Or, l'Autriche non seulement promettait, mais pressait la reine de signer. « Elle était, répéta-t-elle, fermement décidée à entrer en

Mémoire de Mier pour la reine. WEIL.

2 Menz, secrétaire de la légation autrichienne, à Bentinck, 14 décembre 1813. WEIL. Cf. ci-après la note de Castlereagh à Metternich, démentant cette affirmation, p. 238.

négociations avec l'Autriche », et d'ores et déjà elle « promettait de ne pas faire sortir un homme de son armée hors du

royaume ».

Le 4 novembre, Murat rentra inopinément à Naples. «Pour ménager son amour-propre et ne pas heurter son caractère, jaloux du pouvoir royal,» la reine fit prier Mier de garder le secret sur leurs arrangements. Elle voulait que toutes ses idées et déterminations eussent l'air de venir de lui; du reste, elle promettait de faire faire au roi tout ce que l'Autriche voudrait. » Le 8, Murat reçut Mier. « Le premier pas est fait, lui dit-il; j'ai quitté l'armée française conformément au désir de l'Autriche et de l'Angleterre; je suis décidé à ne pas fournir les troupes qu'on (Napoléon) me demande : mon parti est pris; je veux m'unir aux alliés, défendre leur cause, contribuer à chasser les Français de l'Italie, et j'espère qu'on me fera participer aux avantages qui en devront résulter. » Il entendait par là les dépouilles du pape, à qui « la ville de Rome avec un joli arrondissement, un bon et sûr revenu et beaucoup d'encens devaient suffire. » Mier partit pour l'Allemagne faire son rapport à Metternich et prendre les ordres des alliés 1.

Murat aurait fort désiré que Bentinck donnát à l'accommodement futur le gage précieux d'un armistice : « Sur du côté de la mer, je peux, disait-il, joindre l'armée autrichienne avec mes troupes. » Mais Bentinck refusa toute suspension d'armes. « Il n'y a, disait ce prévoyant Anglais, aucun fonds à faire sur Murat... Le traité ne nous crée pas seulement un rival, il peut rendre Murat maître de l'Italie. Quand on aura rejeté le vice-roi Eugène sur les Alpes, les Italiens graviteront certainement de son côté (Murat), tandis que, si la protection et l'assistance de l'Angleterre s'étendaient sur eux, cette grande force se serait, sans aucun doute, tournée de notre côté 2. Ces vues tendaient à expulser tout élément français de l'Italie, à y substituer l'hégémonie britannique à l'hégémonie autrichienne; elles ne laissaient point d'être politiques, 1 Rapport de Mier, 16 décembre 1813.

Bentinck à Castlereagh, janvier 1814. WEIL

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