Page images
PDF
EPUB

position qui veut qu'on suive pour mon jugement les mémes formes que pour les propositions de lois. En effet, ces propositions, comme toutes les autres délibérations de la chambre, sont secrètes (art. 32); mais une telle assimilation ne peut pas me priver, par voie d'induction, de cette publicité qui est garantie à tous les accusés sans exception, comme un droit constitutionnel, par l'art. 64 de la charte.

» Je dois aussi m'étonner de ce que, si l'on a pensé qu'en matière de lois la voie du scrutin était nécessaire pour garantir à MM. les pairs la liberté d'opinion, on ait supprimé cette forme rassurante, pour y en substituer une autre qui oblige d'opiner à découvert. Puisqu'on a trouvé qu'il n'était pas nécessaire que la chambre fút organisée comme un tribunal ordinaire, il fallait donc lui laisser toutes les formes qui lui sont propres, et ne pas prendre dans les deux, tout ce qui devait m'être contraire; tandis qu'on a négligé tout ce qui menaçait de m'être tant soit peu favorable.

>> Je ne puis enfin m'empêcher de relever, comme bien extraordinaire, le passage du discours des ministres, où ils s'expriment en ces termes : C'est même au nom de l'Europe que nous venons vous conjurer et vous requérir de juger le maréchal Ney. Certes, je conçois que l'Europe

ait conservé un souvenir amer des nombreuses et éclatantes victoires que les Français ont remportées sur elle; si c'est là son grief, il est bien fondé; et, si nos trophées sont des témoins à charge contre moi, le crime de mes victoires est trop évident pour que j'entreprenne de le nier. Mais je crois trop à la grandeur d'âme et à la générosité de ceuxlà même que j'eus quelquefois l'honneur de vaincre, pour croire qu'ils poursuivent et requièrent ma condamnation. Au surplus, j'ai prié les ministres des puissances étrangères de vouloir bien s'expliquer à cet égard, pour décharger mon accusation du poids accablant qui pèserait sur ma tête, s'ils laissaient plus long-temps supposer que je dois aussi les compter parmi mes accusateurs.

» A ces causes, je conclus à ce qu'il plaise à la chambre, sans s'arrêter, ni avoir égard à l'instruction faite devant le conseil de guerre, laquelle sera déclarée nulle et non avenue, comme ayant été faite par-devant juge incompétent, ladite instruc

tion soit recommencée de nouveau en la forme voulue par la loi ; je réclame aussi la comparution de M. Bourmont et de M. le duc de Reggio; la représentation de la lettre écrite par le général Bertrand à M. de Bourmont; la confrontation avec les témoins, dont les écrits ou les dépositions me sont opposés; je demande que les débats qui s'ou

vriront soient publics; je réclame protection, sûreté et liberté pour mes avocats et conseils, et je proteste contre tout ce qui, dans le discours des ministres, tendrait à me priver des droits qui me sont assurés et garantis par nos lois, ainsi que contre toute assertion peu mesurée, dont le but aurait été de me rendre odieux, et de provoquer ma condamnation, comme un sacrifice qui peut être agréable à l'Europe. Sous toutes réserves de droit. >> Ce 11 novembre 1815, au soir.

» Signé le maréchal NEY,

duc d'Elchingen, prince de Moscowa. » Seconde Requéte présentée à la chambre des pairs, le jeudi 16 novembre 1815, avant midi, par le maréchal Ney.

A MESSIEURS LES PAIRS.

« Messieurs,

>> En réclamant le droit qui m'était acquis, d'être jugé par vous, mon intention n'a pas été de reculer l'époque de mon jugement; j'ai seulement voulu me placer sous l'égide de la charte constitutionnelle, et m'assurer les avantages qui doivent résulter, pour ma justification, d'une procédure instruite avec plus de solennité.

>> Je me suis senti pénétré de reconnaissance pour le monarque qui, dans sa justice, a confirmé

par une ordonnance spéciale, la décision du conseil dont j'avais décliné la juridiction. Rendu à mes juges naturels, il ne me restait plus à désirer que de voir l'accusation dont je suis l'objet, instruite et jugée dans les formes prescrites par nos lois.

» Mais il était facile de voir que l'ordonnance du 11 novembre ne traçait que très-imparfaitement la marche à suivre pour cette instruction et ce jugement; et comme le discours de MM. les ministres était loin d'y suppléer d'une manière rassurante pour moi, je crus nécessaire de présenter une requête à la chambre, pour appeler son attention sur les lacunes de l'ordonnance, et sur les divers passages qui, dans le discours précité, m'avaient paru préjudicier à mes droits.

» Ces premières observations de ma part, quoique rédigées avec précipitation, et présentées à la hâte, firent sans doute impression, puisque, par une ordonnance, quelques-unes de mes objections ont été levées conformément aux conclusions de ma requête.

>> Ainsi, par exemple, j'ai obtenu que l'instruction serait recommencée, que les débats seraient publics, et que je serais assisté de mes conseils.

» Mais si, en cela, la seconde ordonnance a fait disparaître quelques-uns des griefs que me faisait la première, elle en a laissé subsister d'autres

que je ne puis encore m'empêcher de relever ici. » La procédure est établie par les lois; donc elle ne peut être changée ni modifiée que par les lois. S'il en était autrement, si une ordonnance pouvait abroger une loi ou y déroger, la monarchie cesserait d'être constitutionnelle; le pouvoir législatif résiderait tout entier dans les mains du gouvernement, et il ne serait plus possible de dire, avec l'article 15 de la Charte, que ce pouvoir s'exerce collectivement par le Roi, la chambre des pairs et la chambre des députés des dépar

temens.

[ocr errors]

>> Cependant, il est de toute évidence que la procédure, indiquée par l'ordonnance, est modifiée de telle manière qu'on ne peut plus dire que une procédure réglée par la loi.

c'est

» 1°. C'est la procédure des cours spéciales; mais si c'est celle des cours spéciales, ce n'est donc pas une procédure générale, qu'on puisse étendre à d'autres cas, ni surtout au cas extraordinaire où je me trouve.

» 2°. Comment concevoir que cette procédure, établie spécialement pour les cours spéciales, puisse tout à coup, et comme de plein droit, devenir la procédure de la chambre des pairs, qui n'était pas encore créée à l'époque où cette procédure (entièrement impériale), a été instituée?

« PreviousContinue »