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serve aux assemblées électives, organes naturels de l'opinion publique, le droit de modifier selon les convenances locales une prescription légitime, mais qui doit trouver sa sanction dans les mœurs plus que dans les lois.

4o Les conseils généraux ne doivent-ils pas étre appelés à délibérer sur l'autorisation des associations religieuses libres, et à donner leur avis sur celles de ces associations qui veulent se faire reconnaître et ériger en personnes civiles?

Il y a deux sortes d'associations religieuses : les associations libres et les associations érigées en personnes civiles.

Précisons les différences qui existent entre les deux modes d'associations.

4o Les droits et les actions ne s'exercent dans les associations libres que d'une manière individuelle, de telle sorte qu'un caprice, un changement de vocation et tant d'autres effets de la faillibilité humaine peuvent anéantir tout l'avoir sur lequel comptait l'association. On n'a donc point à redouter ici l'influence qu'exerce, dans les corps autorisés, le caractère de perpétuité dont ils sont revêtus par la loi, et qu'ils communiquent à tous les dons qui peuvent leur être faits.

2o Les abus résultant de la mise hors du commerce d'une quantité trop considérable de biens ne sont pas non plus à redouter. L'association non autorisée ne possède rien comme corps. Toutes les propriétés sont individuelles; rien n'empêche de vendre ou d'acquérir; les droits de mutation se perçoivent au décès de chaque propriétaire, et, quelque disposition qu'il ait pu faire,

les héritiers à réserve ne peuvent être frustrés de leur portion légale.

3o Enfin, au cas de séparation des membres d'une association non autorisée, il n'y aurait évidemment lieu ni au droit de retour des biens donnés en faveur des donateurs ou de leurs parents au degré successible, ni à l'attribution et à la répartition des biens acquis à titre onéreux, moitié aux établissements ecclésiastiques, moitié aux hospices. Les biens acquis, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, ne pourraient être enlevés aux donataires sans une criante injustice.

En résumé donc, les congrégations autorisées par la loi jouissent d'un privilége qui les met hors du droit commun, et qui, par une juste compensation, les soumet à des charges exceptionnelles. Les associations non autorisées, au contraire, restent, sous le double rapport des avantages et des charges, sous l'empire de ce droit

commun.

« Les congrégations autorisées, disait M. Lainé, en 1825, sont de grandes corporations civiles pour qui le droit commun doit être modifié. Il l'est quand on accorde à des êtres collectifs le droit d'acquérir à tous les titres et par toutes les voies qui disséminent les biens des familles et les accumulent dans les congrégations. C'est même excéder le pouvoir des lois humaines que de donner à ces corps une vie perpétuelle pendant laquelle its acquerront toujours. »>

Un jurisconsulte éminent, M. Portalis, adopta la même distinction, en ces termes :

« Tout ordre monastique est une association religieuse; mais toute association religieuse n'est pas un

ordre monastique. Ce qui caractérise la monasticité, c'est la garantie que les lois donnent pour assurer l'exécution des engagements que prennent avec eux-mêmes et avec le ciel les membres d'une association religieuse. Dans les ordres monastiques, on se lie par des vœux perpétuels, et les lois de l'Etat, en reconnaissant l'inviolabilité de ce lien, retranchent absolument et pour toujours de la société les sujets qui font profession solennelle dans ces ordres. Une religieuse proprement dite perd ses droits de famille et de cité; elle meurt civilement. Ses sentiments et ses idées peuvent changer, sa situation ne change plus.

« Les associations religieuses qui existent actuellement en France n'offrent rien de pareil. Les membres de ces associations continuent d'appartenir à leur patrie et à leur famille. Ils s'unissent par des liens religieux sans renoncer à aucun lien civil.

« Au surplus, c'est une erreur de penser que les lois abolissent tout ce qu'elles omettent. Vainement elles se taisent sur ce qui existe; leur silence ne peut rendre au néant que ce qu'elles en ont tiré. On n'empêchera jamais plusieurs individus de se réunir dans un but religieux, pas plus qu'on n'empêchera plusieurs autres de se réunir pour les plaisirs. »

Ces principes ont enfin prévalu.

Ainsi, plus de proscription des associations libres, pépinières, il faut l'espérer, de ces ordres religieux appelés peut-être dans l'avenir à guérir de la lèpre de l'égoïsme, cette maladie des vieux peuples, une société qu'ils ont à une autre époque tirée des ténèbres de la barbarie et régénérée par la bienfaisante influence du

christianisme. Ces associations doivent être tolérées et encouragées, fussent-elles composées de jésuites, comme le disait M. Carnot.

Laissons à l'écart tout ce qui a été dit pour ou contre cette société de Jésus qui a excité d'un côté de si ardentes sympathies, de l'autre de si violentes haines. Laissons à l'impartiale histoire le jugement des luttes qui ont éclaté à d'autres époques entre elle et les gouvernements absolus. Ce qui importe, c'est que les jésuites sont tolérés dans tous les Etats libres, aux EtatsUnis, en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Hollande, dans les républiques de l'Amérique espagnole; c'est que la question qui les concerne n'est qu'un épisode de la grande lutte religieuse et politique qui agite toute l'Europe. C'est la querelle des Grecs-unis et de la catholique Pologne contre l'autocrate russe; c'est la querelle des populations et du clergé des bords du Rhin contre le successeur de Frédéric ; c'est la querelle de l'Irlande contre l'aristocratie anglaise; c'est la querelle de la liberté contre le despotisme, de l'esprit contre la matière.

Etrange contradiction! au moment où l'Angleterre, abjurant les traditions de Henri VIII et d'Elisabeth, rentrait dans les voies de l'ordre par celles de la liberté, on a vu la France, au contraire, oubliant Henri IV pour Louis XIV et Napoléon, prendre ouvertement parti pour l'intolérance et le despotisme, chercher des armes rouillées dans l'arsenal des parlements, exhumer d'anciens édits de proscription, et faire revivre la loi des suspects contre quelques religieux qui méditaient en silence sur les moyens d'arrêter les ravages du socialisme.

L'arme redoutable dont les tribunaux et les Chambres législatives se sont servis il y a quelques années contre les jésuites, le décret du 4 messidor an XII, l'article 294 du Code pénal, la loi de 1834, tout cela s'est évanoui devant le grand principe de la liberté d'association consacré par la constitution de 1848. Qui pourrait exhumer de nouveau cette législation tyrannique? qui pourrait ressusciter ces anciens arrêts des parlements, qui frappaient les jésuites comme calvinistes et comme déistes? Ces arrêts, ces édits, ces décrets révolutionnaires n'ont plus qu'une valeur historique liée tantôt à l'influence de Mme de Pompadour, tantôt à celle du pseudo-libéralisme de notre temps.

On a beau faire, tout échappe dans une association religieuse libre à l'action de la force brutale : l'élément matériel et l'élément spirituel.

L'élément matériel, quel est-il ? C'est l'ensemble des règles qui déterminent le logement, le vêtement, la nourriture, les habitudes de la vie. Or, est-il possible, sous un régime de liberté, de pénétrer dans l'intérieur d'une habitation paisible, et de dire aux propriétaires ou aux locataires : Nous vous interdisons de vous coucher à la même heure, de manger à la même table, de porter le même vêtement?

Une communauté religieuse ne peut offrir les inconvénients d'un club politique. Ce n'est pas même une association, c'est une famille qui se forme, comme le dit Edmond Burke, par affiliation, tout aussi légalement que se forment les familles naturelles par la naissance et l'hérédité. C'est même une famille infiniment mieux réglée que la plupart des familles natu

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