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Il ne l'a été par personne, il ne le sera point: son portrait toujours commencé ne sera jamais achevé, et peut être n'est-il pas susceptible de l'être. Les siècles s'entretiendront de ce sujet et ne l'épuiseront point. Quiconque ne l'a pas approché de très-près et long-temps, n'a pu saisir la variété infinie des nuances dont se composait son caractère. S'il avait pu être donné à quelqu'un de triompher de cette difficulté, ce privilége aurait appartenu à un peintre qui réunit autant de sagacité et de finesse dans l'observation que d'éclat dans le coloris. On sent que je veux parler de madame la baronne de Staël. Eh bien! la série de tableaux que présente son ouvrage, ne forme pas encore le portrait véritable de Napoléon. Elle lui prête, elle lui ôte tout à la fois : la partie mobile de son caractère, qui a fait sa destinée, lui a tout-à-fait échappé. Elle a toujours vu un acteur et des plans, là où très-souvent il n'y avait ni l'un ni l'autre. Napoléon riait lui-même des pensées, des propos, de l'importance (1), et des plans que

(1) Je me souviens qu'un jour, après avoir long-tems parlé des événemens du temps, Napoléon me dit : une

le public lui prêtait dans ses suppositions contemplatives. C'est l'homme de la terre qui a le plus réuni des illusions systématiques au sentiment naturel le plus juste sur la valeur véritable des choses; ce qui souvent le portait à les mépriser, et à n'en pas tenir le compte nécessaire aux affaires. Mais la domination morale qu'il exerçait avait tellement pénétré tous les esprits, qu'on le voyait là où il n'é

partie de ce qui est arrivé, est venu de ce que quelques hommes se sont crus trop importans; c'est la maladie des princes, ils se croyent nécessaires: c'est une erreur, il n'y a pas d'homme nécessaire. Tenez, moi par exemple, on dit partout que je suis nécessaire, que si je n'y étais pas on ne saurait ce que l'on deviendrait : alors il disait vrai (c'était le 25 mai 1806); eh bien! c'est une sottise; si je n'y étais pas, le cours de la nature ne serait pas înterrompu pour cela, le soleil continuerait de se marier avec la terre et de mûrir les moissons.... Alexandre et César sont morts, et le monde a été son train; à ces mots il rentra précipitamment dans son cabinet, en me laissant à mes réflexions sur cet étrange propos, et ne me doutant pas plus que tout autre ne l'eût fait à ma place que tant de sagesse couvrit tant d'illusions, et qu'il fit d'avance son histoire. Cette sagesse en donnant de fausses garanties faisait un danger auprès de lui....

tait pas, qu'on l'entendait lorsqu'il ne parlait pas, qu'on le supposait méditant et agissant, là où il dormait. On ne pouvait pas le coneevoir sans pensée ni sans action. J'ai entendu des hommes qui l'avaient combattu à la guerre, dire que souvent il les avait embarrassés par son inaction qu'ils avaient regardée comme faisant partie d'un plan, tandis que l'événement subséquent prouvait qu'elle avait été une faute. La préoccupation produite parce qu'il avait fait, prêtait des sons à son silence, et des pièges à son sommeil.

Combien de fois en sortant de converser avec lui, ai-je eu lieu de remarquer la distance qui se trouvait entre ce que l'on supposait avoir été dit, et ce qui l'avait été réellement. Souvent il n'avait fait que ce que l'on appelle vulgairement tuer le temps, et l'on rapportait ces longs entretiens aux choses les plus graves. Napoléon a encore plus perdu de temps qu'il n'en a employé. Il y a dans. l'esprit de l'homme une disposition admirative pour tout ce qui est grand. Il est enclin à changer les fauteuils en théâtre.

J'ai toujours été frappé du mot de Cromwel à ses familiers. Il était à table avec eux. Le

bouchon d'une bouteille était tombé sous la table on le cherchait. Une députation des frères rouges demande à être introduite: Dites-leur que nous cherchons le Seigneur, répond Cromwel, en usant d'une formule du temps, et en riant avec ses convives de l'application de ce langage mystique à l'objet dont ils étaient occupés dans le moment.

A combien de choses graves en apparence ne pourrait-on pas faire l'application de cette bouffonnerie?

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Dispositions de Napoléon à l'égard du clergé, et du clergé à l'égard de Napoléon.

Voici le restaurateur et les restaurés en présence. Eh bien! par suite de ce désastreux mélange du temporel avec le spirituel que cet ouvrage signale tant de fois, il est arrivé que des hommes que la nécessité avait rapprochés, que la bienveillance devait tenir unis, que la reconnaissance semblait enchaîner les uns aux autres n'ont pas cessé de s'observer, de se craindre, et finalement de se combattre. En retrouvant sans cesse Napoléon au milieu des prêtres, on se demande comment il s'est fait que le vainqueur de l'Italie et de tant d'autres lieux ait fini comme un empereur grec. Trop souvent les Thuileries ressemblèrent par lui au palais de Constantinople.

Je trouve avec douleur comme avec surprise, dans l'ouvrage d'ailleurs si distingué de madame la baronne de Staël, un jugement et

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