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3° Les seules dispositions que le Code pénal de 1810 déclare maintenir sont celles qui étaient encore obligatoires au moment de la promulgation de ce Code. La peine applicable est alors celle de l'ancien règlement, si elle figure au nombre des peines admises aujourd'hui, ou la peine qui y a été substituée, si quelque loi moderne, visant un de ces anciens règlements, a prononcé une peine pour violation de ces dispositions, ou bien, à défaut, et s'il s'agit d'un règlement légalement fait par l'autorité administrative, la sanction générale édictée par l'article 471, no 15, du Code pénal.

§ XII.

DU PRINCIPE DE LA NON-RÉTROACTIVITÉ
DES LOIS PÉNALES 1

(C. p., art. 4.)

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130. Raison d'être de la non-rétroactivité des lois pénales. 131. Comparaison, à ce point de vue, des lois pénales et des lois civiles. Caractère et portée du principe de la non-rétroactivité des lois pénales.

130. Ainsi, c'est dans la loi positive, régulièrement promulguée et non abrogée, que le juge doit rechercher le caractère du fait qui lui est soumis; pour qu'il soit punissable, il faut que ce fait se trouve qualifié et puni par la loi, avant qu'il ait été commis. Ce principe, que proclame l'article 4 du Code pénal, est resté étranger à notre ancienne jurisprudence; il a été reconnu, par l'Assemblée constituante, dans la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 (art. 8).

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Pour le justifier, on dit souvent il faut être averti, avant d'être frappé Moneat lex priusquam feriat. « Le Code pé

juillet 1791, et l'art. 605, no 8, du Code de brumaire an IV: Cass., 14 avril 1821 B. cr., no 61); 30 mars 1832 (S. 32.1.656), et la jurisprudence postérieure.

§ XII. BIBLIOGRAPHIE: BLONDEAU, Themis, t. VII, p. 289; DUVERGIER, Effet rétroactif des lois, Revue du droit français et étranger, 1845, p. 1; GABBA, Teoria della retroattivita della legge 2 vol., 2o éd.); MEYNNE, Essai sur la rétroactivité des lois répressives (Bruxelles, 1863).

2 C'est un des aphorismes de Bacon.

nal », prétend quelque part M. Thiers, « est fouet par un bout et sifflet par l'autre ». Ce motif est excellent, pour ces transgressions aux lois de police, nullement ou faiblement répréhensibles en droit naturel; il est évident, quant à ces transgressions, que la justice commande au pouvoir, s'il veut les punir, de le déclarer à l'avance. Mais ce motif est insuffisant pour ces infractions plus graves, dont la criminalité est indiquée par la conscience avant de l'être par la loi; on pourrait dire, en effet, que les avertissements de la conscience suffisent pour rendre le châtiment de ces faits mérités. Il en serait ainsi, sans doute, si le droit de punir était exclusivement fondé sur la justice absolue; mais comme il a des limites tracées par les nécessités sociales, il est indispensable que la loi positive, essentiellement déclarative de la moralité des actions humaines au point de vue social, proclame et fasse connaître, à l'avance, ce qu'elle ordonne ou ce qu'elle défend. Jusque-là, les citoyens sont en droit de croire que tout ce qui n'est pas défendu est permis, que tout ce qui n'est pas ordonné est indifférent 3.

131. Ainsi, les lois criminelles, n'ont pas d'effet rétroactif et ne sont, en général, applicables qu'aux infractions commises depuis qu'elles sont devenues exécutoires. L'article 4 du Code pénal semble même se présenter, à ce point de vue, comme une répétition inutile du principe général énoncé dans l'article 2 du Code civil: « La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ». Mais il ne faudrait pas s'arrêter à cette apparence nous avons à examiner, en effet, si le principe de la non-rétroactivité des lois s'applique de la même manière au droit criminel et au droit civil, s'il a, pour ces deux

3 Faut-il, comme semble le faire LABORDE (op. cit., n° 66), distinguer, suivant que l'objet de la loi nouvelle est de créer une infraction, d'incriminer un fait jusqu'alors licite, ou suivant qu'elle a pour objet de modifier toute autre partie de la législation criminelle, par exemple, la peine applicable à un fait déjà incriminé? Dans le premier cas, la non-rétroactivité serait rationnelle; dans le second, ce serait une décision de faveur. Je ne le pense pas. La possibilité d'une modification dans un état acquis jetterait dans la société un germe d'inquiétude et d'alarme. C'est-à-dire que l'œuvre de la loi qui est d'assurer et de garantir la sécurité et la tranquillité des citoyens serait manquée si la loi était rétroactive.

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branches du droit positif, le même caractère et la même portée. I. A-t-il le même caractère? En matière civile, le principe de la non-rétroactivité des lois est plutôt un principe d'interprétation judiciaire qu'un principe constitutionnel, c'est-à-dire qu'il doit être considéré, non comme une restriction aux pouvoirs du législateur, qui, lui, peut faire des lois rétroactives, mais comme une règle tracée au juge dans l'application des lois, auxquelles le législateur n'a pas formellement attaché d'effet rétroactif. En est-il de même en matière pénale? Le principe de la non-rétroactivité n'est-il pas plutôt un principe constitutionnel qui s'imposerait au pouvoir législatif? Certaines constitutions lui ont donné ce caractère. Ainsi, la règle que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi, établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée », était écrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui servait de préambule à la constitution du 3 septembre 1791. L'article 14 de la Déclaration des droits et devoirs, qui précédait la constitution du 5 fructidor an III, allait même plus loin, en proclamant, comme un principe constitutionnel, qu'aucune loi, ni criminelle ni civile, ne pouvait avoir d'effet rétroactif. Mais ce principe ne se trouve répété, ni par la constitution du 14 janvier 1852, ni par les lois constitutionnelles de 1875; il n'est inscrit que dans le Code pénal et le Code civil, c'est-à-dire dans des lois, obligatoires pour les tribunaux tant qu'elles ne sont pas abrogées, mais qui cessent de l'être quand le législateur estime qu'il y a lieu d'y déroger. L'article 4 du Code pénal et l'article 2 du Code civil sont donc écrits pour les juges et non pour les législateurs; ils obligent les tribunaux qui violeraient ces dispositions. en donnant un effet rétroactif aux lois qu'ils appliquent; ils n'obligent pas les législateurs qui, s'ils le croient utile, peuvent attacher un effet rétroactif aux lois qu'ils votent. La règle de la non-rétroactivité des lois, mêmes pénales, a donc été déconstitutionnalisée'.

Du reste, alors même qu'on donnerait au principe de la non-rétroactivité des lois pénales le caractère d'une disposition constitutionnelle, il ne s'ensuivrait pas que les tribunaux auraient le droit de refuser l'application d'une loi pénale entachée d'effet rétroactif. L'autorité judiciaire, en France, n'a

Du caractère de ce principe, il faut conclure, que les lois pénales interprétatives ne peuvent rationnellement donner lieu à la question de savoir si elles s'appliquent aux faits accomplis avant leur promulgation. Comme ces lois ont pour objet de déterminer le sens des lois antérieures, elles font corps avec ces dernières et ne sont point à considérer comme des lois nouvelles. Sous ce rapport, il n'y a pas à distinguer entre les lois qui, en réalité, ne sont qu'interprétatives et celles auxquelles le législateur a entendu attribuer ce caractère, bien que, en fait, elles statuent par voie de disposition nouvelle, car le législateur, pouvant attacher un effet rétroactif à toute loi nouvelle, a usé de ce pouvoir, en appelant loi interprétative, une loi qui n'a pas ce caractère". Mais, il va de soi que les lois interprétatives n'ont aucune influence sur les jugements qui avaient acquis l'autorité de la chose jugée au moment où elles sont devenues obligatoires".

II. Considéré comme une simple règle d'interprétation judiciaire, le principe de la non-rétroactivité des lois criminelles a

pas le pouvoir, comme aux États-Unis, d'apprécier la constitutionnalité des lois et d'en contester le caractère obligatoire. C'est la conséquence la plus grave et, en même temps, la moins rationnelle du principe de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Cette conséquence, incontestable sous l'empire de la constitution de 1852, qui chargeait le Sénat de l'examen de la constitutionnalité des lois, est généralement admise encore aujourd'hui, quoiqu'aucun texte ne la proclame, parce qu'il serait trop facile, s'il en était autrement, d'arrêter l'exécution de toutes les lois, sous prétexte qu'elles seraient contraires à des principes constitutionnels que chaque tribunal aurait le droit d'interpréter à son gré. Cfr. GARSONNET, Cours de procédure, § V, p. 25; MACAREL, Eléments de droit politique (Paris, 1833), p. 419 et suiv.; LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative, t. II, p. 5; ESMEIN, Éléments de droit constitutionnel, p. 361; ORBAN, Rev. du droit polit. et de la science polit., 1895, t. I, p. 216.

Cfr. HAUS, t. I, nos 187 et 188; Ch. BEUDANT, op. cit., no 133.

Tel est le caractère d'une loi du 12 mai 1871, rendue à la suite des événements de la Commune, et intéressant les articles 255 et 256 du Code pénal (art. 4), à propos du détournement des bulletins du casier judiciaire, des actes de l'état civil, des dépôts, minutes et papiers des notaires et autres officiers ministériels, et autres dépôts d'intérêt public.

7 Voy. sur ce point particulier: Ch. BEUDANT, op. cit., no 136.

t-il la même portée que le principe de la non-rétroactivité des lois civiles? C'est dans la loi pénale, avons-nous dit, que le juge doit rechercher le caractère de l'infraction et les règles qui lui sont applicables. Or, cette recherche ne présentera pas, en général, grande difficulté, s'il se trouve en présence d'une loi unique qui n'a pas varié depuis le jour où le fait a été commis jusqu'au jour où il est poursuivi et jugé. Mais le juge peut se trouver en face de plusieurs lois successives et différentes; dans ce conflit entre les lois anciennes et la loi nouvelle, quelle loi appliquera-t-il? Question complexe, qui n'est pas susceptible d'une réponse unique car ces lois peuvent être relatives, soit à l'incrimination et à la pénalité qu'elles modifient, soit à l'organisation des juridictions qu'elles changent, soit au temps pendant lequel l'infraction peut être poursuivie ou punie, temps dont elles augmentent ou diminuent la durée. Autant d'hypothèses à préciser et à examiner. Du reste, toutes sont dominées par une considération générale. La loi nouvelle qui intervient est présumée meilleure que celle qui l'a précédée : il est donc désirable qu'elle reçoive le plus tôt possible application, en effaçant les traces d'une loi que le pouvoir social juge défectueuse. Mais l'utilité générale, qui commande l'exécution prochaine de la loi nouvelle, peut se trouver aux prises avec l'utilité particulière qui réclame un ajournement. Comment concilier ces exigences contradictoires? On a donné, sur ce point, une formule, qui, théoriquement, est irréprochable. Quand la loi nouvelle se trouve en face d'un simple intérêt, invoqué par un citoyen, elle peut rétroagir en forçant cet intérêt individuel à plier devant l'intérêt général; quand, au contraire, elle rencontre un droit appartenant à un particulier, elle est obligée de le respecter et ne peut avoir un effet rétroactif. Mais le problème n'est pas résolu il reste toujours à savoir quand il y a droit acquis avant la promulgation de la loi nouvelle.

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