défir de le déposséder de la place ; mais il éroit poursuivi jour & nuit par celui de s'en faire une égale', dans un genre qu'il regardoit sans doute conime supérieur. C'est c.. qu'il avoue lui · même dans une Lettre à Horace Arioste (1). » Cette couronne, lui dit-il, que vous voulez » me donner le jugement des Savans , celui >> des gens du monde, & le mien même, l'ont » déjà placée sur les cheveux de ce Poëte, à » qui le sang vous lie, & auquel il seroit plus » difficile de l'arracher, que d'ôter à Hercules » fa massue ; oserez vous érendre la main sur 9 cette chevelure vénérable ? Voudrez-vous » être non seulement un juge téméraire, mais 53 un neveu impie ? Et qui pourroit recevoir » avec plaisir d'une main coupable & fouillée d'un pareil crime, la marque d'honneur & l'or» 'nement de la vertu ? Je recevrois pas de * vous; je n'oserois non plus m'en saisir moi. » même : je ne porte pas si haut mes défirs. > Ce fameux Grec (2), vainqueur de Xerxes, o disoit qu'il étoit souvent réveillé par » phées de Miltiade, Ce n'étoit pas qu'il eût le » projet de les détruire ; mais il défiroit d'en » élever pour la gloire , qui fuffent égaux ou fussent » femblables à ceux de ce Général, Je ne nierai ne la les tro (1) Ce jeune homme, neveu du fameux Poëte, & Poëte lui-même, environ deux ans après les premières éditions de la Jérusalem , publia des Siances ou il louoit excessivement le Taffe. Il le nommoit le premier des Poëtes : il bannissoit même du Parnasse tous ses rivaux, & le reconngifloit pour le seul Poëte digne de ce nom, (2) Thémistocle, pour conser » point que les couronnes toujours florissantes » d'Homère (je parle de votre Homère Fer: rarois), ne n'aient fait passer bien des nuits » f u dormir: non que j'aye jamais eu le désir a de les dépouiller de leurs fleurs ou de leurs » feuilles, mais peut être par l'extrêine envie » d'en acquérir d'autres qui fufient fibon égales, » sinon semblables, du moins faites ” ver long-temps leur verdure , fans craindret s les glaces de la mors. Tel a été le but de mes » longues veilles, &c.co. Malgré cette protestation qui ne resta point secrète, malgré le soin que le Tasse avoit pris de suivre une route entièrement opposée à celle de l'Aricft: , fes ennemis l'accurèrent d'avoir en la présomption de lutter contre lui ; on le harcela de critiques; les éditions de fon Poeme se multiplioient dans toutes les parties de l'Italie; & le nombre de ses envieux croissoit en proporcion de sa gloire. Ses partisans le défendoient : les personnes indifférentes flottoient, comme il arrive toujours avant que la réputation d'un Ouvrage foit fixée : les Gens de lettres disserroient sur le titre, sur le plan , sur les allégories. Heureux le Poëte qui peut , aux dépens même de son repos , voir ainsi fa patrie entière occupée de ses Ouvrages ! Enfin parut le Dialogue de Pellegrino sur la Poésie épique. Cet ouvrage , où le Tasse étoit élevé infiniment au dessus de l'Arioste, où on lui donnoit tout l'avantage du côté du plan, des meurs & du style, mit toute l'Italie en rumeur. Ce fut la pomme de difcorde. Les n'om. breux partisans de l'Arioste jetèrent les hauts cris. Ceux qui crièrent le plus fort furent les Académiciens de la Crusca. Ils répondirent au Dialogue. L'esprit de parti & l'esprit de corps, aussi dangereux en Littérature qu'en toute autre matiére, présidèrent à la rédaction de ce pamphlet académique. » La Jérusalem, y est-il dit, loin d'être un » Poëme, n'est qu'une compilation sèche & » froide. L'unité qui y règne est mince & pau» vre, comme celle d'un dortoir de Moines, » tandis que l'unité du Roland furieux ressem» ble à celle d'un immense palais. Le plan du » Tasse est comme une petite maisonnette étroite » & disproportionnée, beaucoup trop haste » pour la longueur , bâtie sur de vieux murs, n ou plutôt raperassée , comme ces greniers qu'on voit aujourd'hui dans Rome, sur les dé3 bris des superbes thermes de Dioclétien. L'Au» teur n'a fait que réduire en vers Italiens, des histoires écrites en diverses langues ; il n'est » donc pas Poëte, mais simple Rédacteur en » vers d'une hiftoire qui n'est pas de lui; & » cette histoire a tout aussi bon air avec les » entraves qu'il lui a données , qu'auroit la Mé. » taphysique en chanson à danser. Le Poëme de » l'Arioste est une toile grande & magnifique : » celui du Taffe eft moins une toile qu'un > ruban ; & s'il se fache de la comparaison, on » lui dira que sa toile eft fi longue & fi étroite, » qu'elle est moins un ruban qu'un seul fil. » Dans ce Poëme , s'il mérite qu'on lui donne » ce rom, les expressions sont tellement con, » tournées, âpres, forcées , désagréables, qu'on » a peine à les comprendre. L'Arioste réunit » ensemble la brieveré & la clarté : quant à » la brieveté du. Taffe, c'est plutôt constipa* tion qu'il faut l'appeler. S'il vouloit être bref, » il ne devoit donc pas faire tant de bavar dagęs sur des choses impertinentes, hors de propos, & fi propres à tourmenter ceux qui » l'écoutent , qu'ils aimeroient presque autant כל 3 » avoir la question. Ce Poëme raboteus, et On a peine à se persuader aujourd'hui qu'on une modération, Les plus instruits & les plus sages s'abstinrent de prononcer entre le Tasse & l'Arioste. En effet, leur plan, leur génie & leur style font fi différens l'un de l'autre, qu'il ne refte, pour ainsi dire, aucun point commun de com paraison. L'un est plus vaste , l'autre est plus { régulier; l'un plus fécond, l'autre plus fage; le premier plus facile & plus varié'; le second für deux lignes diverses ils sont tous plus phis fort de la dispute , quoiqu'intéressé par fon noin & par les liens du sang à prendre un autre parti. C'est ce que Métaftale, dont le nom fecl rappelle uti grand Poëte & un excellent eiprit a vu & écrit de même dans ces der niers temps ; en avouant cependant que s'il nosoit prendre sur lui de décider entre ces deux grands Hommes , la prévention naturelle , & peut-érre exceffive qu'il avoit toujours eue pour l'ordre, l'exactitude & la régularité, le faifont? cependant pencher en faveur du Taffe. Le sort de la Jérusalemn fut en qirelque sorre plus heureux en France qu'en Italie. Quoiqu'elle n'y fût d'abord connue que par de mauvaises tradu&ions , elle y excità beaucoup d'enthonfiafme. On la mit: bieritör de pair avec l'Iliade & l'Enéide , & vers le milieu du dernier siècle* il devint enfin dư bon air de la' mettre au deffus. Boileau , qui veilloit alors aux intérêts da goût, avec la vigilance d'un Magistrat & les Lumières d'un Législateur, s'éleva fortement contre ce qu'il regardoit comme une hérésie; & la: foudroya d'un seuil ver's que bieri des gens ne lui ont pas pardonné. Tous les jours à la Cour, un lot de qualité Je ne rappellerai point tout ce qu'on dit alors contre ce vers, ni ce qu'on a dit depuis', & sur-tout de ros jours. Il est devenu un mot de ralliement pour les ennciais de Boileair 2 No. 18. 2 Mai 1789 В. |