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pape si les rapports de l'Italie avec la France se sont aigris toujours davantage. Je ne dis pas que d'autres causes n'aient pu avoir contribué à créer cette déplorable situation; on ne saurait pourtant mettre en doute que le Vatican a profité de ces différends pour s'y mêler, dans l'espoir qu'un conflit aurait pu éclater et le mettre à même de sortir de sa condition actuelle. Je rappelle simplement le fait, l'opposition du Vatican à la triplice étant notoire aussi, non en haine à l'alliance, mais pour combattre l'Italie, celle-ci ayant voulu que dans le traité relatif à l'intégrité de son territoire Rome y fût aussi comprise.

Une pareille conduite n'aurait pu être suivie par un pape de nationalité étrangère, voire même américaine. Par cette façon d'agir, pourtant, un pape italien se crée une position intolérable. En effet, n'est-elle pas insupportable la condition personnelle de Léon XIII? Quelque vaste que soit le Vatican; qu'il renferme un jardin et des villas permettant de faire de longues promenades en voiture; que le pape ait la liberté de recevoir tous les jours les différents personnages qui vont lui rendre visite; bref, qu'il puisse y faire tout ce qu'il lui plaît, il n'en reste pas moins vrai que Léon XIII ne peut pas jouir de toute la liberté désirable. S'il pouvait sortir du Vatican et en ren

trer à son aise, peut-être n'en profiterait-il que rarement; mais l'idée de ne pouvoir pas franchir les limites de sa résidence, suffit à elle seule à le chagriner. Pourtant on pourrait bien demander: à qui la faute? Au pape, mais non entièrement à lui. Le gouvernement italien n'aurait pas dû permettre qu'une telle position fût créée. Il aurait dû accorder la plus large liberté morale autant que matérielle, ou trouver un moyen apte å trancher le différend, évitant ainsi une pareille situation.

J'ai déjà dit que le Vatican en 1870 a commis la plus grande des fautes en reconnaissant l'ennemi et en le combattant les armes à la main. De son côté, le gouvernement italien n'a pas voulu rester au-dessous, et il a démontré ne pas savoir mettre à profit sa victoire et d'ignorer jusqu'au droit international. Tout en prenant possession de Rome, le gouvernement italien aurait dû soumettre un traité à la signature du pape: ce traité imposé par le vainqueur, pouvait, mieux encore, devait être dicté par un sentiment de générosité; mais, quel qu'il fût, il aurait toujours servi à trancher la question. Un pacte bilatéral, même étant signé à contre-cœur et sous la pression des menaces, aurait toujours été valide et sûr. Au manque d'un traité, a-t-on dit, nous avons supplée par des lois. Mais de quelles lois parlez

vous donc, du moment que vous avez placé le pape dans l'extraterritorialité, c'est-à-dire en mesure de conspirer, ne vous réservant même pas le droit de lui faire des représentations? Le pape vit au Vatican comme dans une petite île, avec la seule différence, qu'au lieu d'être entouré par l'eau, il l'est par des murailles qui l'empêchent de jouir de l'air oxygéné.

Il se peut que quelqu'un me demande ici combien d'utilité peut avoir cette critique rétrospective? Elle en a beaucoup, attendu que l'oeuvre du passé se reflète sur le présent et sur l'avenir. Le pape s'est mis dans une position étrange que le gouvernement italien lui-même a contribué à rendre telle, sans s'apercevoir qu'elle a été le résultat d'un artifice contraire à ses intérêts.

Or, comment pourrait le gouvernement mettre fin à cet état de choses? Il le pourrait de trois manières: 1° en donnant raison aux réclamations du pape et en renonçant à Rome; 2o en imposant une solution équitable; 3o en brusquant la fortune, c'est-à-dire en obligeant le pape à sortir de Rome et de l'Italie, sauf à lui dicter de nouveaux pactes lorsqu'il demanderait à y rentrer.

Je ne me cache pas que ce dernier moyen - vu le nombre considérable existant de cardinaux non italiens pourrait être suprêmement dangereux;

mais plutôt que d'amener le pays à sa ruine extrême, avec la paix armée, j'aimerais mieux franchement d'en finir, d'autant plus que les suites de l'insuccès ne pourraient pas être pires que les maux présents. Si moyennant le silence on pouvait étouffer la question, ce serait le préférable des partis. Fatalement, on ne peut pas se taire, et j'ai dit pourquoi.

La question d'un pape non italien a été ventilée non seulement au Vatican, mais aussi dans les différentes capitales de l'Europe. On s'est demandé s'il était possible par ce moyen de démêler cet imbroglio si habilement tramé par le Saint-Siège. Mais aucun gouvernement n'a cru opportun d'avoir un pape nẻ chez soi. Voilà pourquoi Léon XIII, ayant compris la nécessité que du Conclave futur sorte un pape italien, a voulu que l'élément étranger y fût si largement reprẻsenté, afin que les États ne puissent pas se dẻsintéresser dans le choix, étant ainsi obligés de reconnaître l'existence d'une question papale.

Cette existence n'est pas admise par tous en Italie. Cependant, ceux mêmes qui la nient ont besoin à tout moment d'affirmer que Rome est à jamais réunie à l'Italie, tandis que rien de sẻrieux n'a été fait jusqu'ici pour que cette possession demeurât sans conteste. En prétendant gouverner Rome comme une autre ville quel

conque d'Italie, on a commis une faute énorme. Les hommes d'État italiens, c'est à ne pas y croire, n'ont pas eu la conscience exacte de ce que c'est que Rome. Gouverner Rome n'est pas une chose difficile, mais si l'on ne veut pas qu'on dise qu'elle est cléricale, il faut bien la connaître et mieux l'administrer. On me fera observer que la présente situation est destinée à finir. C'est une autre erreur. La papauté n'est pas faut-il le répéter? une institution comme les autres; son caractère spécial ne lui permet pas de se barrer le chemin par des impatiences. Le Saint-Siège a pour principe de laisser passer l'orage et de se présenter ensuite de nouveau.

Si l'on veut que la question romaine finisse, sinon à jamais, du moins pour un certain laps de temps, il faut que le gouvernement sache imposer, non par des actes arrogants ou timides, mais équitablement, un projet qui établisse avec clarté ce que veut l'État italien; qui règle le droit intérieur de l'Italie, en le faisant accepter par le Vatican, et par lequel soient nettement définis tous les rapports entre l'Église et l'État. J'insiste sur cette acceptation de la part du Vatican, car, dans le cas opposé, on n'aurait abouti qu'à une nouvelle loi des garanties.

Je pourrais même indiquer quel serait, à mon avis, le moment le plus opportun pour présenter

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