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s'y refusait, il se préparât à la guerre. Mais lui n'ayant aucun égard à ce message, commença à faire bâtir à Soissons et à Paris des cirques où il donna des spectacles au peuple.

Ces choses arrivées, Chilpéric, ayant ouï dire que Prétextat, évêque de Rouen, agissait contre lui par des présens qu'il répandait parmi le peuple, ordonna qu'il lui fût amené ; et la chose discutée, il lui trouva des effets que lui avait confiés la reine Brunehault : il les lui prit, et ordonna qu'il fût retenu en exil, jusqu'à ce qu'il eût été entendu par les évêques. Le concile assemblé, on s'y présenta. Les évêques, venus à Paris, s'étant réunis dans la basilique de l'apôtre saint Pierre, le roi dit : « Par quelle raison, ô évêque! as-tu uni en << mariage mon ennemi Mérovée qui aurait dû agir <«< comme mon fils, avec sa tante, c'est-à-dire, la femme « de son oncle? Ignorais-tu ce que les canons ont or«< donné à cet égard? Et tu es convaincu non seule«< ment de t'être rendu coupable en cela, mais d'avoir « travaillé par des présens, de concert avec lui, à me «< faire assassiner : ainsi tu as rendu le fils ennemi de « son père, tu as séduit le peuple par des présens, <«< afin qu'aucun ne me gardât la foi qu'il m'a promise, <«< et tu as voulu livrer mon royaume entre les mains «< d'un autre. » A ces paroles, la multitude des Francs frémit de colère, et voulut briser les portes de la basilique pour en tirer l'évêque et le lapider; mais le roi défendit qu'on en fit rien. L'évêque Prétextat, niant avoir fait ce que le roi avait dit, il vint de faux témoins qui montrèrent quelques joyaux, disant : «<Tu «< nous as donné telles et telles choses pour que nous « promissions fidélité à Mérovée. » Et il répondit à

cela : « Vous dites la vérité; je vous ai souvent fait « des présens, mais non pas pour que le roi fût chassé << de son royaume; car, lorsque vous veniez m'offrir « de très-beaux chevaux et d'autres choses, je ne pou« vais faire autrement que de vous récompenser de «< cette manière. » Le roi étant retourné à son logis, nous siégions tous ensemble dans la sacristie de la basilique de Saint-Pierre ; et tandis que nous nous entretenions, vint tout à coup Aétius, archidiacre de l'Église de Paris, qui, nous ayant salués, dit : « Écou

tez-moi, ô prêtres du Seigneur rassemblés en ce « lieu; c'est ici le temps où vous pouvez honorer <«< votre nom, et briller de tous les avantages d'une << bonne renommée; ou bien, en vérité, personne ne << vous regardera plus comme les prêtres de Dieu, si << vous ne vous conduisez pas judicieusement, et que « vous laissiez périr votre frère. » Lorsqu'il eut dit ces paroles, aucun des évêques ne lui répondit, car ils craignaient la fureur de la reine, à l'instigation de laquelle se faisait tout cela. Comme ils demeuraient pensifs et le doigt appuyé sur les lèvres, je leur dis: «< Faites attention, je vous prie, à mes paroles, ô très<< saints prêtres de Dieu, et vous surtout qui paraissez << être plus que les autres dans la familiarité du roi ; portez-lui un conseil pieux et sacerdotal, de peur « que, s'irritant contre un ministre du Seigneur, il << ne périsse lui-même par la colère de Dieu, et ne « perde son royaume et sa gloire. » Comme je disais ces paroles, ils demeuraient dans le silence; et voyant qu'ils continuaient à se taire, j'ajoutai : « Souvenez« vous, messeigneurs les évêques, des paroles du " prophète qui a dit : Si la sentinelle, voyant venir

« l'épée, ne sonne point de la trompette, et que l'épée vienne et ôte la vie aux peuples, je redeman<< derai leur sang à la sentinelle'. Ne gardez donc pas «<le silence, mais prêchez et mettez devant les yeux << du roi ses péchés, de peur qu'il ne lui arrive quel« que mal, et que vous ne soyez coupables de sa perte. << Ignorez-vous ce qui est arrivé de nos temps, lorsque << Clodomir prit et envoya en prison Sigismond? Le « prêtre Avitus lui dit : Ne porte pas les mains sur lui, << et si tu vas en Bourgogne, tu obtiendras la victoire; «< mais lui, rejetant ce que lui avait dit le prêtre, alla << et fit tuer Sigismond avec sa femme et ses fils; il

partit ensuite pour la Bourgogne, et, vaincu par <«< une armée, il fut tué. Ne savez-vous pas ce qui est «< arrivé à l'empereur Maxime, et comment il força le « bienheureux Martin à recevoir à la communion un «< évêque homicide, à quoi celui-ci consentit pour << obtenir de ce roi impie la délivrance des gens con<«< damnés à mort? Poursuivi par le jugement du Roi «< éternel, Maxime, chassé de l'empire, fut condamné << à la mort la plus cruelle. » Personne ne répondit rien à ces paroles ; ils étaient tous pensifs et dans la stupeur. Cependant deux flatteurs qui se trouvaient parmi eux, chose douloureuse à dire en parlant d'évêques, envoyèrent dire au roi qu'il n'avait pas dans cette affaire de plus grand ennemi que moi. Aussitôt il envoya un de ses courtisans en toute hâte pour m'amener devant lui. Lorsque j'arrivai, le roi était auprès d'une cabane faite de ramée ; à sa droite, était l'évêque Bertrand; à sa gauche, Ragnemode; devant eux était un banc couvert de pain et de diffé 1 Ézéchiel, chap. 33, v. 6.

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rens mets. Le roi, me voyant, dit : «O évêque, tu dois dispenser la justice à tous, et voilà que je ne puis ob<<< tenir de toi la justice; mais, je le vois, tu consens « à l'iniquité, et en toi s'accomplit le proverbe le <«< corbeau n'arrache point les yeux du corbeau. » Je lui dis : « Si quelqu'un de nous, ô roi, voulait s'é« carter des sentiers de la justice, il peut être cor« rigé par toi; mais si tu y manques, qui te repren« dra? Car nous te parlons, et tu ne nous écoutes que « si tu veux ; et si tu ne le veux pas, qui te condam«< nera, si ce n'est celui qui a déclaré être lui-même << la justice? » Alors, irrité contre moi par les flatteurs, il me dit : « J'ai trouvé la justice avec tous, << et ne puis la trouver avec toi ; mais je sais ce que je «< ferai, afin que tu sois noté parmi les peuples, et << reconnu de tous pour un homme injuste. J'assem« blerai le peuple de Tours, et je lui dirai : Élevez <«< la voix contre Grégoire, et criez qu'il est injuste <«< et n'accorde la justice à personne; et je répondrai «< à ceux qui crieront ainsi : Moi qui suis roi, je ne puis obtenir de lui la justice; comment vous autres plus petits l'obtiendriez-vous? » Je lui dis : « Tu « ne sais pas si je suis injuste. Celui à qui se mani<< festent les secrets des coeurs connaît ma cons«cience; et, quant à ces faussetés que proférera <«< contre moi, dans ses clameurs, le peuple que tu « auras poussé par tes insultes, elles ne seront rien << du tout, car chacun saura qu'elles viennent de <«< toi; ce n'est donc pas moi, mais toi plutôt, qui << seras noté par tes cris. Tu as les lois et les canons ; << il te faut les consulter avec soin, et si tu n'observes << pas ce qu'ils t'apprendront, sache que tu es menacé

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« par le jugement de Dieu. » Lui, pour m'apaiser, et pensant que je ne devinerais pas qu'il le faisait par artifice, me montra un bouillon placé devant lui, et me dit : « Je t'ai fait préparer ce bouillon, << dans lequel il n'y a autre chose que de la volaille <<< et quelques pois chiches. » Et moi, connaissant qu'il cherchait à me flatter, je dis : « Notre nour<< riture doit être de faire la volonté de Dieu, et non « de nous plaire dans les délices, afin que nous ne << transgressions en aucune manière ce qu'il a or« donné. Toi qui inculpes la justice des autres, pro« << mets d'abord que tu ne laisseras pas de côté la loi <<< et les canons, et alors nous croirons que c'est la «< justice que tu poursuis. »

Il étendit sa main droite et jura par le Dieu toutpuissant de ne transgresser en rien ce qu'enseignaient la loi et les canons. Ensuite, après avoir pris du pain et bu du vin, je m'en allai. Cette nuit même, après que nous eûmes chanté les hymnes de la nuit, j'entendis frapper à grands coups à la porte de notre demeure; j'envoyai un serviteur, et j'appris que c'étaient des messagers de la reine Frédégonde. Ayant été introduits, ils me saluèrent de la part de la reine; puis ils me prièrent de ne pas persister à lui être contraire dans cette affaire, me promettant deux cents livres d'argent si, me déclarant contre Prétextat, je le faisais condamner, car ils disaient : « Nous avons déjà la « promesse de tous les évêques; seulement ne va pas « à l'encontre. » A quoi je répondis : «< Quand vous << me donneriez mille livres d'or et d'argent, je ne puis faire autre chose que ce que Dieu ordonne; je « vous promets seulement de m'unir aux autres dans

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