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DISCOURS du Sénat en corps au premier consul, en lui remettant le sénatus-consulte qui le nomme consul à vie, prononcé par Barthélemy, président, le 15 thermidor an 10.

Citoyen premier consul, le peuple français, reconnaissant des immenses services que vous lui avez rendus, veut que la première magistrature de l'Etat soit inamovible entre vos mains. En s'emparant ainsi de votre vie tout entière il n'a fait qu'exprimer la pensée du Sénat, déposée dans son sénatusconsulte du 18 floréal. La nation, par cet acte solennel de gratitude, vous donne la mission de consolider nos institutions. » Une nouvelle carrière commence pour le premier consul. » Après des prodiges de valeur et de talens militaires, il a terminé la guerre, et obtenu partout les conditions de paix les plus honorables. Les Français sous ses auspices ont pris l'attitude et le caractère de la véritable grandeur. Il est le pacificateur des nations et le restaurateur de la France; son nom seul est une grande puissance.

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Déjà une administration de moins de trois années a presque fait oublier cette époque d'anarchie et de calamités qui semblait avoir tari les sources de la prospérité publique.

» Mais il reste des maux à guérir et des inquiétudes à dissiper. Les Français, après avoir étonné le monde par des exploits guerriers, attendent de vous, citoyen premier consul, tous les bienfaits de la paix que vous leur avez procurée.

>> S'il existait encore des semences de discorde, la proclamation du consulat perpétuel de Bonaparte les fera disparaître : tout est maintenant rallié autour de lui; son puissant génie saura tout maintenir et tout conserver. Il ne respire que pour la prospérité et le bonheur des Français; il ne leur donnera jamais que l'élan de la gloire et le sentiment de la grandeur nationale. En effet, quelle nation mérite mieux le bonheur ! et de quel peuple plus éclairé et plus sensible pourrait-on désirer l'estime et l'attachement!

» Le Sénat conservateur s'associera à toutes les pensées généreuses du gouvernement; il secondera de ses moyens toutes les améliorations qui auront pour but de prévenir le retour des maux qui nous ont affligés si longtemps, d'étendre et de consolider les biens que vous avez ramenés parmi nous. C'est un devoir pour lui de concourir ainsi à l'accomplissement des vœux du peuple, qui vient de manifester d'une manière si éclatante son zèle et son discernement.

» Le sénatus-consulte que le Sénat en corps vient vous remettre, citoyen premier consul, contient l'expression de sa

reconnaissance particulière. Organe de la volonté souveraine, il a cru devoir, pour mieux remplir les intentions du peuple français, appeler les arts à perpétuer le souvenir de ce mémorable événement. »

RÉPONSE du premier consul.

Sénateurs, la vie d'un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne tout entière lui soit consacrée. J'obéis à sa volonté.

>> En me donnant un nouveau gage, un gage permanent de sa confiance, il m'impose le devoir d'étayer le système de ses lois sur des institutions prévoyantes.

>> Par mes efforts, par votre coucours, citoyens sénateurs, par le concours de toutes les autorités, par la confiance et la volonté de cet immense peuple, la liberté, l'égalité, la prospérité de la France seront à l'abri des caprices du sort et de l'incertitude de l'avenir. Le meilleur des peuples sera le plus heureux, comme il est le plus digne de l'être, et sa félicité contribuera à celle de l'Europe entière.

>> Content alors d'avoir été appelé, par l'ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur la terre la justice, l'ordre et l'égalité, j'entendrai sonner la dernière heure sans regret, et sans inquiétude sur l'opinion des générations futures.

» Sénateurs, recevez mes remerciemens d'une démarche aussi solennelle. Le Sénat a désiré ce que le peuple français a voulu, et par là il s'est plus étroitement associé à tout ce qui reste à faire pour le bonheur de la patrie.

» Il m'est bien doux d'en trouver la certitude dans le discours d'un président aussi distingué.

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RAPPORT fait au Sénat conservateur par Cornudet, le 16 thermidor an 10, sur le projet de sénatus consulte organique de la Constitution présenté le méme jour par les conseillers d'état Régnier, Portalis et Dessoles.

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Citoyens sénateurs, le peuple français a voulu consolider son gouvernement en rendant sa suprême magistrature inamovible.

» Cette inamovibilité, par l'accroissement de forces qu'elle donne à la puissance exécutrice, nécessite évidemment la révision de son organisation politique.

>> Le premier acte de Bonaparte, ce nom marche seul vers l'éternité de la gloire, le premier acte de Bonaparte consul à vie a donc dû être d'appeler à cette révision le Sénat, conser vateur des droits de la nation.

Citoyens sénateurs, le système soumis à votre délibéra tion est le même corps que la Constitution, mais rendu plus robuste.

» Ce principe démocratique, élément absolu de tout gouvernement libre, qui fait partie du peuple, comme de sa source, la nomination aux divers offices, remis dans le moi commun, est gardé; mais il est plus heureusement combiné. " Les corps la Constitution crée conservent nationaux que leur orbite; mais leurs fonctions sont plus cohérentes, mieux définies; et le ministère de la nation, pour la garde de ses inaliénables droits, est réalisé.

» Une opinion générale de réprobation, qui peut la méconnaître? s'est prononcée contre ces listes de confiance établies par la Constitution; véritables listes de réduction de la nation, ces listes ne se recomposant à aucune période, et le retirement d'aucun nom sur ces listes n'étant praticable.

» Le projet qui vous est soumis remplace très populairement ces listes par l'institution des différens colléges électoraux, dont une partie du mécanisme a déjà la sanction de l'expérience parmi nous.

>> Cette institution ne déshérite aucun membre de la cité. Avec quelle sagesse cette institution, qui, par la nature de la perpétuité de ses membres, renferme un penchant aristocratique, est obligée d'observer cette égalité de droit, plus encore peut-être le charme du citoyen français que la liberté, parce que son caractère est une grande estime de soi, en nommant nécessairement la moitié des candidats hors de son sein!

» Mais il faut principalement considérer cette institution, 1° par rapport à son office, 2° par rapport à la perpétuité de ses membres c'est sous ces rapports que cette institution entre dans le système de contre-poids que la garde de la liberté, l'honneur et le besoin de la nation prescrit aujourd'hui d'ordonner.

» L'office de ces collégés électoraux est de former une liste de candidats pour chaque place vacante dans les administrations municipale, communale, départementale, dans le Tribunat, dans le Corps législatif, dans le Sénat. Cette liste est double pour chacune des places qui tiennent pour ainsi dire à la famille, et pour les places nationales, dans la proportion la plus simple qui puisse garantir un choix distingué.

» Il existera donc un concours vraiment populaire, parce qu'il est spécial, et qu'il est réduit à son moindre terme, pour la nomination à ces fonctions publiques que leur nature assigne à des délégués plus ou moins directs du peuple.

» Ici vient se placer, citoyens sénateurs, une considération

majeure, laquelle recommande l'établissement des corps électoraux comme une idée mère de la République.

» Dans nos empires modernes on s'est rendu nécessaire un grand état militaire ; de là il suit que la profession des armes a et doit avoir un grand éclat : il est donc essentiel de créer un moyen de lustre pour les hommes civils qui puisse, lorsqu'ils sont les uns et les autres compétiteurs devant la nation, soutenir le concours de ceux-ci dans la distribution des dignités et des grands emplois.

» Or, dans les républiques qui ne reconnaissent pas de classification de conditions, le lustre qui s'attache aux hommes civils ne peut naître que de la manifestation répétée de la confiance et de l'estime des citoyens.

» Notre organisation politique réclame donc essentiellement que l'on donne une influence populaire sur les élections à toutés les fonctions publiques.

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Cette influence ne saurait d'ailleurs, il faut bien le remarquer, être plus considérable que celle donnée aux colléges électoraux que le projet établit, sans retomber dans la pure démocratie; constitution sur-humaine, si elle n'est pas l'absence de tout gouvernement.

» En second lieu, la perpétuité des membres de ces colléges électoraux en forme un véritable corps politique dans lequel il ne peut manquer de s'établir un esprit commun et social, éveillé sur l'intérêt national, et d'une continue direction.

» Ainsi le gouvernement aura une opinion publique certaine à respecter.

>> Dans le pouvoir législatif il faut distinguer deux branches, dont la division dans l'exercice est non moins essentielle que la division des autorités administrative et judiciaire, qui dérivent toutes deux du pouvoir exécutif.

» Ces deux branches du pouvoir législatif sont la législation politique et la législation civile.

» La législation civile règle les intérêts que l'association forme entre ses membres considérés comme individus : elle comprend aussi le consentement à l'impôt, parce que l'impôt est une délibation de la propriété; droit individuel que l'association ne crée pas, mais qu'elle accroît et qu'elle garantit : elle comprend enfin les réglemens locaux qui excèdent le pouvoir administratif.

» La législation politique s'applique aux actes de la souveraineté. » Le

corps de la nation a un moi personnel.

» Les jugemens de ce moi, pour sa conservation, ne peuvent être remis au même corps, dont la constitution est d'être

sévère sur les sacrifices que chaque citoyen doit à l'Etat, et qui est toujours en quelque sorte partie contre la

de la nation.

personne morale » Cette division, que la nature du gouvernement républicain y rend plus indispensable, paraît exister dans la Constitution, mais elle n'y existe que dans le nom des corps qu'elle institue.

» Le projet présenté l'exécute cette division; il fait entrer dans le domaine du Sénat la législation politique.

» Il rend en même temps les consuls membres du Sénat qu'ils président; donne aux ministres le droit de discussion au Sénat, mais sans voix délibérative; conséquence absolue du concours nécessaire du gouvernement à la législation politique, dont il est, dans tous les systèmes sociaux, partie intégrante.

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» Le projet soumis à la délibération réalise véritablement dans le Sénat ce ministère de la nation pour la garde de ses droits, que la Constitution y indique et qu'elle n'établit pas. Car, sérieusement, la conservation de la chose publique peut-elle résulter d'un simple jugement de l'esprit, soit lorsqu'il existe tyrannie de la part du gouvernement, soit contre l'usurpation du forum par les factions?

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D'une part le Sénat a donc le droit de dissoudre le Corps législatif ou le Tribunat, et l'un et l'autre dans les cas où, soit par l'influence de l'étranger, soit par quelque vertige démagogique, soit par quelque autre esprit de faction, ces corps arrêteraient l'action du gouvernement.

» D'autre part l'action du droit souverain de police, que le gouvernement peut être nécessité d'exercer, est modérée par la délibération d'un corps nombreux dont les membres sont indépendans par leur inamovibilité; et toujours un compte doit être donné au Sénat de l'exécution des mesures de sûreté prises après le délai prescrit par l'article 46 de la Constitution. Il existe donc une garantie positive de la jouissance des articles 76, 77, 78, 79 et 80 de la Constitution, qui forment proprement pour nous la loi d'un peuple voisin dite l'habeas

corpus.

Le projet soumis, pour garantir l'indépendance judiciaire, statue de plus qu'il n'appartient qu'au Sénat de connaître des jugemens qui blesseraient la foi de la nation, seraient un empiétement sur l'action directe du gouvernement, qui en un mot attaqueraient la sûreté de l'Etat.

>> Cette attribution en effet découle essentiellement de l'office du Sénat, qui est de rétablir la circulation de l'action sociale lorsqu'elle se trouve troublée.

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