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plainte, celui où l'action a pour objet de demander la destruction de travaux effectués ou le rétablissement de travaux démolis.

Ce qui nous confirme dans cette opinion, c'est la nécessité imposée par l'art. 9 de la loi belge et par l'art. 6 de la loi française, d'intenter l'action dans l'année du trouble.

Comme nous le savons, la dénonciation de nouvel œuvre dans la législation romaine et dans la doctrine des auteurs de l'ancienne France ne pouvait être intentée qu'avant que les travaux fussent terminés. Ce caractère de l'action nous paraît inconciliable avec la loi de 1844, qui n'exige pas autre chose pour l'intentement de l'action possessoire que le fondement de la demande sur des faits commis dans l'année. Cette condition remplace forcément celle que la législation romaine imposait à la nunciatio novi operis. L'action pouvant s'exercer pendant une année à partir du trouble, il est bien certain que, sauf des exceptions bien rares, les travaux seront terminés depuis longtemps avant ce délai, et que par conséquent la dénonciation de nouvel œuvre pourra s'exercer en dehors des conditions que la législation romaine lui imposait. Il n'en faut pas davantage pour nous prouver que la dénonciation de nouvel œuvre comprise dans le sens ancien n'existe plus aujourd'hui.

C'est en vain que, pour échapper à cette conséquence rigoureuse, on voudrait soutenir que les actions possessoires désignées à la fin de l'article 9 sont les seules qui doivent être intentées dans l'année du trouble. Cette prétention est d'abord peu exacte au point de vue grammatical. L'article ne distingue pas entre les diverses actions possessoires qui doivent être fondées sur des faits commis dans l'année, et elle applique la qualification d'action possessoire à toutes les demandes dont s'occupe l'art. 9. Cette disposition prend en effet soin de dire, les entreprises sur les cours d'eau...; les dénonciations de nouvel œuvre, complaintes, actions en réintégrande et autres actions possessoires fondées sur des faits également commis dans l'année. Les diverses actions énumérées par la disposition sont donc évidemment possessoires, et peuvent être intentées dans l'année du trouble. Cette interprétation de l'art. 9 serait encore confirmée si cela pouvait être nécessaire par le sens attribué à l'art. 6 de la loi française par M. le garde des sceaux (supra, n° 412). Nous savons que cet art. 6 est, sur ce point, identique à l'art. 9 de la loi belge.

Mais antérieurement à la révision des lois de compétence la dénonciation de nouvel œuvre avec un caractère spécial avait depuis longtemps cessé d'exister dans la législation.

Si l'ancienne jurisprudence française admettait l'existence de cette action, il est à remarquer cependant que dans aucune coutume ni ordonnance on ne la trouve mentionnée et que l'ordonnance de 1667, qui parle expressément de la complainte et de la réintégrande, ne men

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tionne pas la dénonciation de nouvel œuvre.

Si aucun, dit l'art. 1ér, tit. 18 de cette ordonnance, est troublé en la possession et jouissance d'un héritage ou droit réel, ou universalité de meubles qu'il possédait publiquement sans violence à autre titre que de fermier ou possesseur précaire, il peut, dans l'année du trouble, former complainte, en cas de saisine et nouvelleté contre celui qui lui a fait trouble. D'après l'ordonnance de 1667, le seul recours pour trouble était donc la complainte.

Le législateur de 1790 ne s'est pas arrêté, nous l'avons vu, à l'énumération des diverses actions possessoires. Il s'est borné à attribuer ces actions à la compétence du juge de paix, sans distinguer aucunement entre elles. La loi de 1790 ne jette donc aucune lumière sur la question qui nous occupe.

Aucun article du code de procédure civile ne mentionne non plus la dénonciation de nouvel œuvre. Dans ses observations préliminaires sur le projet de ce code, la cour de cassation consacrait un chapitre spécial à la dénonciation de nouvel œuvre, mais elle ne la considérait que comme une espèce particulière de complainte: «La dénonciation de nouvel œuvre, disait-elle, est une espèce de complainte qu'on intente contre celui qui a fait un nouvel ouvrage sur son fonds, contre l'ancienne disposition des lieux, et qui porte préjudice au plaignant en le troublant dans sa propriété.

Le juge saisi de la plainte ne pourra permettre de continuer provisoirement l'ouvrage, qu'en imposant à l'entrepreneur l'obligation de donner caution pour assurer, si le cas échet, la démolition du nouvel œuvre et le payement des dommages-intérêts qui pourraient être dus au plaignant.

En matière de complainte et de réintégrande, le juge ne pourra permettre la continuation du trouble, quoique le défendeur offrit pareille caution.

La dénonciation de nouvel œuvre doit s'intenter dans l'année, à compter de l'époque où le nouvel ouvrage a commencé à troubler le plaignant dans la jouissance de sa propriété. ›

Les observations de la cour de cassation restèrent sans effet quant au texte du code de procédure. Celui-ci se borna à constater les règles principales en matière d'actions possessoires. Mais l'orateur du conseil d'Etat s'en réfère souvent à l'ordonnance de 1667 de même que l'orateur du tribunat. Ce titre (relatif aux actions possessoires) manquait dans la loi de 1790, dit l'orateur du conseil d'Etat; nous n'avons pas dú nous dispenser de rappeler quelques règles sur cette matière, qui forme une partie si importante des attributions du juge de paix. Du reste, les dispositions de ce titre n'ont rien de contraire à celles de l'ordonnance de 1667, et n'offrent rien qui puisse être susceptible du doute le plus léger.›.

L'orateur du tribunat s'exprime ainsi : ‹ La connaissance des actions possessoires fait par

tie des attributions des justices de paix. Le code supplée, à cet égard, au silence de la loi de 1790. Il dit, comme l'ordonnance de 1667, que l'action possessoire doit être formée dans l'année du trouble; mais il ajoute, ce que la jurisprudence seule avait établi, que celui qui forme cette action doit être en possession depuis un an au moins. La possession doit avoir été, durant cet intervalle, continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. ›

Il résulte de ces dernières observations que les rédacteurs du code de procédure jugèrent inutile de faire droit à la demande de la cour de cassation, qui rangeait expressément la dénonciation de nouvel œuvre parmi les actions en com- | plainte, mais qu'ils s'en référèrent tout simplement à l'ordonnance de 1667. Celle-ci, il est vrai, ne mentionne pas les dénonciations de nou- | vel œuvre, mais elle les confond aussi avec la complainte; on ne peut pas supposer en effet qu'elle ait voulu cesser de protéger le possesseur contre le trouble que lui apportait la construction ou la démolition effectuée par un tiers. Le code de procédure s'est donc en définitive prononcé daus le sens des observations de la cour de cassation en ce qu'elles voulaient que la dénonciation de nouvel œuvre fût une espèce de complainte.

Comment supposer d'ailleurs que, si les observations de la cour de cassation quant à la dénonciation de nouvel œuvre avaient été contraires à l'idée que les rédacteurs du code de procédure se faisaient de cette action, ceux-ci n'auraient songé aucunement à combattre ces observations, et s'en seraient référés uniquement à l'ordonnance de 1667 qui ne mentionnait pas la dénonciation de nouvel œuvre? L'absence de discussion pour repousser les observations de la cour suprême prouve donc d'une manière péremptoire que leur portée était généralement admise lors de la confection du code de procédure, et qu'on les croyait d'ailleurs conformes à l'esprit de l'ordonnance de 1667.

En présence de ces diverses observations et du texte du code de procédure, qui ne mentionne aucunement la dénonciation de nouvel œuvre, il nous parait impossible de recourir à la loi romaine en ce qui touche cette action.

C'est en vain que l'on invoque le principe que la loi ancienne subsiste tant que la loi nouvelle ne la remplace pas. Ce principe consacré par la loi du 30 ventôse an xii et par l'art. 1041, n'est pas applicable à la matière. La volonté du législateur de repousser la dénonciation de nouvel œuvre comme action différente de la complainte, nous paraît tout à fait hors de doute. La loi ancienne ne peut donc être invoquée dans l'hypothèse où nous

sommes.

Ce qui confirme encore notre opinion sur le sens du code de procédure quant à la dénonciation de nouvel œuvre, c'est l'adoption

par ce code de la règle qui exige que l'action possessoire soit intentée dans l'année du trouble (art. 23). Cette règle, qui a été transcrite dans l'art. 9 de la loi de 1841, est, nous l'avons vu, inconciliable avec le caractère propre de l'ancienne nunciatio novi operis. '

Nous pensons donc que, sous l'empire de la loi de 1841, la dénonciation de nouvel œuvre n'a plus aucun caractère particulier, et que tous les avantages qu'elle produisait peuvent être obtenus par la complainte.

La possession annale avec les caractères exigés par l'art. 23 du code de procédure donnera donc au possesseur le droit d'obtenir la destruction des travaux effectués par un tiers. Il importera peu que ces travaux soient commencés seulement ou déjà complétement terminés, et il sera de même indifférent que l'innovateur les ait faits sur son propre terrain ou sur le terrain d'un autre. La complainte, nous le savons, existe pour protéger un droit réel, tout aussi bien que pour maintenir le droit de propriété (supra, no 401). Quand l'innovateur porte atteinte à un droit réel, on peut donc demander contre lui le rétablissement des lieux dans leur état primitif. Le droit de complainte suffit pour protéger le possesseur contre toute tentative qui puisse nuire à sa possession annale. (Infra, n° 418.)

Si au contraire on voulait, pour la dénonciation du nouvel œuvre, s'en tenir à la législation ancienne, on arriverait aux plus étranges conséquences. Elles sont signalées en ces termes par Dalloz (Répert., vo Action possessoire, no 158):

Il résulterait, dit-il, de ce système que toutes les fois qu'un individu opérerait sur son propre fonds des travaux portant atteinte à la possession du voisin, il ravirait à celui-ci les avantages de sa possession. Car les travaux ayant été effectués sur le terrain de l'auteur même du trouble, le possesseur troublé ne pourrait, à raison de cette circonstance, exercer la complainte;

ne pourrait non plus, si les travaux étaient achevés, agir en dénonciation de nouvel œuvre. Il serait donc réduit à agir au pétitoire, et perdrait dès lors, comme on vient de le dire, les avantages que sa possession devrait au contraire lui assurer. Que si les travaux n'étaient pas encore terminés, l'action en dénonciation de nouvel œuvre lui serait, il est vrai, ouverte; mais comme, par cette action, il ne pourrait obtenir que la discontinuation des travaux et non leur suppression, l'existence de ces travaux inachevés continuerait de constituer un trouble permanent à sa possession, jusqu'à ce qu'il se décidât, si l'auteur du trouble s'abstenait d'introduire l'action pétitoire, à prendre lui-même cette voie, auquel cas encore le bénéfice de sa possession se trouverait perdu pour lui. Il nous est impossible de supposer que la loi nouvelle ait voulu admettre des résultats aussi étranges. ›

Conformément aux principes que nous avons

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sant cette loi obligatoire, ou violé les articles invoqués, mais a fait au contraire une juste application de l'art. 3 du code de procédure civile...» 13 mai 1835 (Pas., 35, 1, 86). Par cet arrêt la cour s'en réfère à la décision en fait, mais elle élève cependant un doute quant à l'applicabilité de la loi romaine.

La cour de cassation de France, après avoir décidé que la novi operis nunciatio romaine n'avait pas cessé d'exister (supra, no 414), est revenue par plusieurs arrêts sur cette première opinion. Par arrêt du 13 avril 1819, cette cour déclare que l'action possessoire existe pour travaux effectués sur le fonds voisin, alors même que ces travaux sont terminés. Il s'agissait d'un trouble apporté à la jouissance des eaux d'un étang au moyen d'une tranchée ouverte par un tiers sur son propre fonds. La cour décide que cette action est purement possessoire; mais il est à remarquer qu'on n'avait pas invoqué la violation des principes de la dénonciation de nouvel œuvre romaine (Dalloz, Répert., vo Act. possessoires, no 68). Il a été décidé de même par la cour de cassation de France que celui qui demande que l'eau d'un ruisseau, détournée par

La doctrine qui se refuse à distinguer la dénonciation de nouvel œuvre de la complainte a reçu l'approbation de Merlin (Quest. de droit, | vo Dénoncial. de nouvel œuvre, § 1, no5); de Chauveau sur Carré (Lois de la procédure, question 109 bis); de Garnier (Act. possessoires, no 13); de Bélime (Possession, nos 361 et suiv.); de Daviel (Cours d'eau, n° 471); d'Hauthuille, (Revue de législation, t. 6, p. 53); de Carou, (n° 59); de Curasson (Compétence des juges de paix, t. 2, p. 21 et s.); de Dalloz (Répert., v° Act. possessoires, nos 157 et suiv.); de Sirey-Devilleneuve, en note des arrêts de cassation de France du 15 mars 1826 (Jurisp. du XIXe siècle, 26, 1,349), et du 26 juin 1843 (Pas., 43, 1, 753); de Delwarde (Observat. sur le projet de loi sur la compétence, 1838, p. 7 et 8, §6); et tout récem-un propriétaire supérieur au moyen d'une rigole ment de Bioche (Act. possessoires, éd. Durand, établie sur son propre fonds, soit rendue à son 1865, nos 78 et suiv.). Les cours de Belgique ne cours naturel, ne forme pas, à proprement parler, nous fournissent en ce sens aucune décision. une action en dénonciation de nouvel œuvre et Nous avons vu que la cour de Bruxelles s'est que l'action est recevable si elle est intentée prononcée en sens contraire, (supra, no 414). dans l'année du trouble, bien que les travaux La cour de cassation de Belgique s'est, à soient achevés Arrêt de rejet du 28 avril 1829 deux reprises, occupée de la dénonciation (Jurisp. du XIXe siècle, 29, 1, 83). Un autre arrėt de nouvel œuvre, mais elle n'a pas eu à de cassation du 20 juin 1843, rendu sous l'emdécider expressément si cette action avait con- pire de la loi de 1838, décide de même qu'il y servé le caractère qui lui appartenait sous la lé-a simplemennt action possessoire, alors que les gislation ancienne. Un jugement du tribunal de Bruxelles, du 28 février 1833, avait décidé er fait qu'il n'y avait pas dénonciation de nouvel œuvre dans l'action qui lui était soumise. La cour de cassation déclare que cette appréciation était dans le domaine souverain du juge d'appel, et par conséquent rejette le pourvoi, par arrêt du 31 janvier 1834 (Pas., 34, 1, 204). Nous avons vu plus haut (no 414) que le tribunal de Bruxelles, dans son jugement soumis à la censure de la cour, semble consacrer l'existence de la novi operis nunciatio comme action diffé-vrages (S.- V., 56, 1, 433). rente de la complainte.

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conclusions du demandeur tendaient : 1o à la destruction des travaux achevés sur le terrain voisin; 2° à la réparation actuelle par voie de dommages-intérêts du préjudice causé et du trouble apporté à la possession par lesdits travaux (Pas., 43, 1, 753, et les observations en note). Enfin un dernier arrêt de la cour de cassation du 4 février 1856 décide dans le même sens que les ouvrages exécutés par un voisiu sur son terrain donnent lieu à une véritable complainte qui peut avoir pour résultat la destruction des ou

Par arrêt du 11 juillet 1820, la cour de casUn second arrêt de la cour de cassation belge sation avait déjà décidé que la dénonciation de laisse de même dans le doute la question de nouvel œuvre qui, aux termes des lois romaines l'applicabilité de la loi romaine à la dénoncia- pouvait se faire par acte extra-judiciaire, ne poution de nouvel œuvre. Dans l'espèce soumise à vait plus aujourd'hui s'exercer par ce moyen. la cour il s'agissait en effet d'une action posses- La cours'explique en même temps sur la portée de soire ordinaire. La cour constate que le premier l'art. 1041 du code de procédure. Elle déclare à juge a tenu pour constant et vérifié que le de- bon droit que cet article met obstacle à l'applimandeur aurait comblé le canal situé à gauche cabilité des lois anciennes en matière de dénonde la rivière et servant de décharge au moulin ciation de nouvel œuvre. C'est l'art. 1er du code de la défenderesse lorsque les eaux étaient de procédure qui régit la dénonciation qui a abondantes, canal dont celle veuve avait la posses- tout simplement le caractère d'action possession; qu'en accueillant ce troisième chef de de-soire. Cet arrêt applique donc sans distinction mande et en y faisant droit, le juge non- les règles de l'action possessoire à la dénonciaseulement n'a pas méconnu le principe de tion de nouvel œuvre (S.-V., 20, 1, 434). la loi 1, ff., de novi operis nunciatione, en suppo- La jurisprudence française parait donc se

rallier tout entière à l'opinion que nous avons cru pouvoir adopter.

417. Quand le nouvel œuvre est pratiqué sur la propriété voisine, le trouble résulte de l'acte lui-même. Le dommage n'est pas nécessaire pour que l'action possessoire puisse être intentée. En est-il de même quand le nouvel œuvre est pratiqué par l'innovateur sur son propre terrain?

Un arrêt de la cour de cassation de Belgique semble confirmer l'opinion de Merlin en décidant que le rétablissement des lieux dans l'état où ils étaient avant le trouble qui a donné lieu à l'action possessoire est la conséquence nécessaire de la disposition du jugement qui déclare cette action recevable et bien fondée... » (3 janvier 1846, Pas., 47, 1, 24.)

Nous pensons en effet que telle est en général la marche à suivre par le juge.

L'art. 23 du code de procédure exige que l'action possessoire soit intentée dans l'année La destruction des travaux effectués contraidu trouble. L'art. 9 de la loi de 1841 a évidem-rement à la possession est la conséquence ment le même sens. La question se réduit donc | logique de la reconnaissance par le juge de à savoir ce qui constitue un trouble à la posses- l'existence de celle-ci. Nous pensons même que sion du voisin, quand l'innovateur construit si, dans son jugement, le juge ne s'occupait pas sur son propre terrain. Cette question est toute des travaux effectués et se bornait à statuer sur de fait et abandonnée à la sagesse du juge. Le trou- la possession, il y aurait lieu à la destruction ble peut résulter non-seulement d'un dommage des travaux par cela seul que la possession actuel, mais d'une simple crainte, pourvu que serait attribuée à celui qui se serait plaint cette crainte de dommage ait assez de fonde- de l'existence des ouvrages constituant un ment pour paralyser en partie l'exercice de la trouble. C'est en ce sens qu'il faut interpréter possession, par exemple en empêchaut la vente l'opinion de Merlin et celle de la cour de cassade la propriété, ou en mettant obstacle aux ré- tiou de Belgique. parations que le possesseur voudrait faire à sa Mais rien ne ferait obstacle à ce que le juge propriété. Tel est l'avis de Curasson (Compétence, de paix, tout en attribuant la possession au den°24) et de Garnier (Actions possessoires, p. 15). maudeur, fit certaines réserves quant à la desQuant aux faits qui peuvent constituer un trou-truction des travaux, déclarât suspendre simble donnant lieu à la complainte, nous ne pou-plement l'exécution des ouvrages, et maintînt, vons nous y arrêter sans sortir de notre cadre. jusqu'après la décision au fond, les travaux déjà Bornons-nous à renvoyer sur ce point au Réper-effectués. En l'absence d'un texte precis qui toire de Dalloz, qui énumère de nombreuses décisions de la jurisprudence (vo Actions possessoires, n° 60 ets., 82 et s., et 585); et au Traité des actions possessoires de Garuier (p. 64 à 72).

défende cette manière d'agir, conforme d'ailleurs aux précédents de la législation romaine, il nous parait impossible de pousser plus loin la rigueur, et d'exiger du juge une décision qui Si le nouvel œuvre ne nuisait aucunement au pourrait ruiner complétement l'une des parpossesseur il n'y aurait pas lieu d'accueillir la ties, alors même que le droit de celui-ci au pédemande. Ce principe est applicable à toutes les titoire serait incontestable. Voici l'exemple espèces d'actions et par conséquent à la dénon- donné par Dalloz (Répertoire, vo Actions possesciation de nouvel œuvre. On peut en voir des ap-soires) pour justifier cette manière de voir : plications dans Dalloz (Répert., vo Actions possessoires, nos 167, 76, 163 et 793).

418. Quand l'action en complainte possessoire est fondée sur un nouvel œuvre, le juge peut ordonner la destruction des travaux. Il n'est plus obligé, comme sous l'empire de la législation romaine (supra, 413), de se borner à suspendre l'exécution du nouvel œuvre. C'est ce que nous avons établi d'après la doctrine de Merlin (supra, 416). V. aussi Dalloz (Répert., Act. possessoires, nos 710, 406 et 407).

Mais le juge est-il obligé d'ordonner la destruction des travaux effectués?

Vous avez ouvert, dit-il, depuis plus d'un an, des fenêtres sur mon terrain; néanmoins j'y élève une maison sans laisser la distance de six pieds entre mon mur et vos fenêtres; il y a là atteinte à votre possession; cependant ne serait-il pas exorbitant que le juge de paix fût obligé, dans ce cas, de me condamner à démolir ma maison, et de me causer par là un dommage irréparable, quand il est évident pour lui que vous n'avez point encore prescrit la servitude de vue; et qu'en définitive j'obtiendrai certainement gain de cause au pétitoire? Une pareille rigueur ne seraitA cet égard Merlin adopte l'affirmative (Quest. elle pas une souveraine injustice? Il faut donc de droit, yo Dénonc. de nouvel œuvre, § 1, no 5). reconnaître au juge de paix la faculté, soit D'après lui, quand le demandeur conclut à la d'ordonner la destruction du nouvel œuvre simple suspension des travaux, le juge ne peut si les circonstances l'exigent, soit de réserver aller au delà et ordonner la démolition; mais au contraire la question au juge du fond du quand le demandeur réclame la destruction du droit. Ce pouvoir discrétionnaire semble tellenouvel œuvre, le juge de paix, si la demande luiment dans la nature des choses, que M. Béparait justifiée, doit ordonner cette destruction. Il y a même raison de décider ainsi, soit que le nouvel œuvre ait été pratiqué sur le terrain du demandeur, soit qu'il n'ait été fait que sur le terrain du défendeur.

lime n'hésite pas à l'attribuer au juge de paix, et avec raison, ce nous semble, dans le cas même où le nouvel œuvre serait pratiqué sur un terrain dont la possession appartiendrait, non au défendeur, mais au demandeur lui

même, et où par conséquent l'action exercée par celui-ci serait la complainte proprement dite et non la dénonciation de nouvel œu

vre.

419. En se prononçaut sur la possession au profit du demandeur, le juge de paix pourrait-il autoriser le défendeur à continuer ses travaux sous l'obligation de fournir caution pour garantir le possesseur de tout dommage?

Sous l'empire du droit romain, ce droit existait incontestablement (supra, n° 413, in fine).

Én droit français, Garnier (Act. possessoires, éd. B., p. 183) se refuse à accorder au juge de paix un pouvoir aussi étendu. « La dénonciation de nouvel œuvre, dit-il, étant assimilée à toutes les demandes possessoires ordinaires, le juge, en reconnaissant la possession annale qui fait présumer le droit au fond, ne pourrait se dispenser de réprimer l'atteinte qui y aurait été portée. La solution contraire serait une composition avec le droit de propriété, qui n'est admise que pour cause d'utilité publique. » Cette argumentation est irréprochable au point de vue du droit strict. Mais elle nous paraît trop rigoureuse. Il est bien certain, il est vrai, qu'en général la reconnaissance par le juge de paix de l'existence de la possession dans le chef du demandeur impliquera incontestablement suspension des travaux de la part de l'innovateur, mais cette règle nous paraît dans certains cas susceptible d'un tempérament. Tel est aussi l'avis de Dalloz (Répert., v° Act. possessoires, n° 270).

Si, par exemple, la suspension des travaux par l'innovateur menace de lui faire perdre tout le fruit de ces travaux, le juge de paix ne pourrait-il pas dans certains cas ordonner que les ouvrages seront continués jusqu'à ce qu'ils soient à l'abri d'une destruction certaine?

Nous pensons qu'une pareille faculté ne pourrait pas être enlevée au juge de paix. L'équité lui fera même un devoir d'en user quand il lui paraîtra certain que la possession annale du demandeur, bien que justifiée, ne lui a pas encore fait acquérir la prescription, et quand par conséquent il sera évident qu'au pétitoire ce sera le défendeur actuel qui obtiendra gain de cause. Mais dans ce cas, le juge de paix ne devrait cependant rien décider quant à l'existence de la propriété dans le chef d'une des parties. Ce serait là cumuler le pétitoire avec le possessoire, ce qui est interdit par l'art. 25 du code de procé

dure.

Qu'on ne dise pas qu'en permettant au défendeur la continuation de certains travaux le juge de paix enlève toute utilité à la possession qu'il reconnaît chez le demandeur. Une caution devra de toute nécessité être imposée par le juge au défendeur, comme conséquence de la possession reconnue dans le chef du demandeur, et elle répondra vis-à-vis de celui-ci de l'atteinte portée à sa possession. De plus le possesseur conservera nécessairement l'avantage de rester

défendeur au pétitoire. Il ne sera pas obligé de faire la preuve, mais attendra celle de son adversaire.

Ne perdons pas de vue enfin, que ce droit de permettre la continuation des travaux du défendeur, à charge de donner caution, ne doit être admis que dans des cas tout exceptionnels.

420. Le droit romain admettait la novi operis nunciatio pour la conservation d'un droit appartenant au public, publici juris tuendi gratia. (L. 1, § 6, D. de oper. nov. nuntiatione. V. supra, 1° 413.)

Cette faculté accordée à tout citoyen de protéger légalement la chose appartenant au domaine public n'existait déjà plus sous l'ancien droit français, au témoignage de Brillon (vo Nouvel œuvre). Il en est évidemment de même aujourd'hui, et le domaine public ne peut être protégé en justice que par ceux qui eu ont reçu mission légale.

Mais sous l'empire de l'ancien droit pas plus que sous celui de la loi moderne, il ne faudrait conclure de là que les possesseurs lésés par des faits posés sur la voie publique ne pourraient pas réclamer en justice la réparation du préjudice causé et la reconnaissance de la possession dans leur chef.

llen est ainsi, par exemple, quand des ouvrages sont exécutés dans une rue, sur un fleuve ou sur une rivière, et qu'ils nuisent à la possession des riverains, soit en causant des infiltrations, soit en attaquant la solidité des édifices.

Cette solution est indiquée par Garnier (Traité des chemins, p. 563; Act. possessoires, éd. b., P. 13). Dans ces différents cas, ce n'est pas au nom du dommage causé au domaine public que l'action est intentée, mais c'est au nom d'un dommage privé qu'elle se présente. Il importe peu dans quel lieu le fait d'où est résulté ce dommage a été posé.

421. La dénonciation de nouvel œuvre étant une action possessoire, aux termes de l'art. 9 (supra, no 416), il s'ensuit que toutes les obligations imposées à l'exercice de l'action en complainte lui sont également applicables.

La première condition nécessaire pour que l'action possessoire puisse s'exercer utilement c'est l'existence de la possession. Dans le cas où il s'agira de protéger une servitude par la dénonciation de nouvel œuvre, celle-ci ne pourra donc être pratiquée que dans le cas où la servitude pourrait s'acquérir par usucapion.

Il en est ainsi des servitudes continues et apparentes qui, aux termes de l'art. 690 du code civil, s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans. La dénonciation de nouvel œuvre ne pourra donc s'exercer que quand il s'agira, de servitudes continues et apparentes. Garnier (Act. possessoires, p. 158), Bioche (id., no 482 et suiv.).

Mais, quand, au contraire, la servitude est continue, sans être apparente, ou bien n'a pas le caractère de la continuité, elle ne peut s'acquérir

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