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par une disposition transitoire, le bénéfice de ses prescriptions". Nous trouvons, dans l'histoire de nos Codes, plusieurs exemples de dispositions législatives prises dans ce but. Je n'en cite qu'un, parce qu'il est saillant. Le Code pénal de 1791 avait supprimé les peines perpétuelles; cette suppression transforma-t-elle, de plein droit, les peines perpétuelles, prononcées sous l'empire de la législation antérieure, en peines temporaires? Le législateur ne le pensa pas, car, pour faire participer les individus condamnés, au bénéfice de la loi nouvelle, l'article 5 du décret du 5 septembre 1792 ordonna qu'à l'avenir (c'est-à-dire du jour de la promulgation du décret et non du jour de la promulgation du Code pénal de 1791), la perpétuité des galères et des prisons cesserait pour tous ceux qui auraient pu y être condamnés avant le Code pénal de 1791. Si le législateur a oublié de prendre

"Des auteurs ont cependant soutenu que la loi nouvelle devait produire ses effets sur la condamnation devenue définitive. Comp., dans ce sens : BLONDEAU, Sir., Coll. anc., 1809.2.277; VALETTE, sur Proudhon, Etat des personnes, t. I, p. 36. « Il faut adoucir le jugement de condamnation, dit ce dernier auteur, ou le réputer non avenu, conformément à la loi nouvelle. Pourquoi appliquer une peine dont l'inutilité a été reconnue »? Sans doute, mais reste à savoir si, en l'absence d'une disposition légale transitoire, le ministère public a le pouvoir de s'abstenir de faire exécuter la condamnation ou d'en modifier l'exécution. L'opinion de ces auteurs n'a pas et ne pouvait pas triompher. L'article 2 du Code pénal italien fait une distinction: il applique la loi nouvelle aux jugements antérieurs, lorsque cette loi supprime l'incrimination du fait qui a donné lieu à la condamnation. Au contraire, il laisse subsister le jugement sans le modifier, lorsque la loi nouvelle se borne à abaisser la pénalité. Mais le décret du 1er décembre 1887 sur l'application du nouveau Code a réglementé l'exécution des condamnations antérieures à des peines supprimées par ce Code, en leur substituant, par analogie, des peines nouvelles (art. 36 à 41). Le Code pénal portugais du 16 septembre 1886 contient des règles analogues dans son article 6. Au contraire, la loi pour l'exécution du Code pénal hollandais, en date du 15 avril 1886, consaere le principe de l'autorité de la chose jugée. Voy. également sur le projet du Code pénal espagnol : E. LEHR, Rev. de droit intern. et de légis. comp., 1885, p. 563.

15 L'article 6 de la loi du 31 mai 1854, qui supprime la mort civile, nous fournit un autre exemple, en disposant que : « Les effets de la mort civile ressent pour l'avenir à l'égard des condamnés actuellement morts civilement...». La loi du 29 juillet 1867 a aboli la contrainte par corps en ma

une de ces mesures transitoires, il est du devoir du chef de l'État, par l'exercice du droit de grâce, de faire profiter des suppressions ou des réductions de peines, prononcées par la loi nouvelle, les individus condamnés avant sa promulgation. De sorte que le principe de justice, qui proscrit une peine inutile, recevra son application, soit en vertu d'une disposition transitoire de la loi nouvelle, soit en vertu d'un décret de grâce du chef de l'État. Mais si l'intervention du pouvoir législatif ou celle du pouvoir exécutif ne s'est pas produite, les magistrats du ministère public devront, malgré la promulgation de la loi nouvelle, assurer l'exécution de la condamnation devenue irrévocable, car la loi ne rétroagit jamais, de plein droit, pour anéantir ou modifier la chose jugée1.

137. Cette solution nous amène à l'examen d'une difficulté spéciale qui ne peut se résoudre que par la combinaison des diverses règles que nous venons d'examiner. Il s'agit des lois qui modifient l'exécution des peines : quelle influence peuventelles avoir soit sur les jugements à rendre, soit sur les condamnations prononcées? Deux situations sont, en effet, à prévoir. Dans la première, on peut supposer que l'affaire n'est pas jugée.

tière civile, et elle a réglementé à nouveau les conditions dans lesquelles cette mesure d'exécution pourrait être prononcée en matière pénale; elle déclare, dans son article 19: « Les dispositions précédentes applicables à tous jugements et cas de contrainte par corps antérieurs à la présente loi ». Ce texte général et absolu ne comporte aucune distinction entre les jugements irrévocables passés en force de chose jugée, ou susceptibles d'être attaqués par une voie quelconque. La loi du 27 mai 1885, qui a remplacé la surveillance de la haute police par l'interdiction administrative de séjour, fait bénéficier de la mesure les individus renvoyés sous la surveillance de la haute police par l'effet d'une décision irrévocable (art. 19). Cette application rétroactive de la loi de 1885 aux anciens surveillés a donné lieu, par suite du peu de précision du texte de la loi, à des difficultés sérieuses pour la fixation du moment exact où devait commencer la nouvelle interdiction de séjour. La Cour de cassation a décidé que toutes les obligations et formalités imposées par l'article 44 du Code pénal étaient supprimées à partir de la promulgation de la loi. Cass., 19 juin 1885 (S. 86.1.45). Sur la question: MOLINIER, op. cit., p. 237.

16 Cfr. la note sous Cass., 12 juin 1863 (S. 63.1.509), et les observations de M. L. RENAULT, sous Aix, 15 mai 1878 (S. 79.2.177).

Ainsi, une loi nouvelle décide que la réclusion se subira désormais sous le régime cellulaire quelle sera la situation de ceux qui seront condamnés à la réclusion pour faits antérieurs à la date du jour où cette loi sera devenue exécutoire? Dans la seconde, la loi intervient après un jugement définitif : c'est un individu condamné à la réclusion auquel on prétend appliquer une loi nouvelle qui substitue l'emprisonnement cellulaire à l'emprisonnement. Quelle que soit la situation, notre solution. s'inspire du même principe: si la loi nouvelle change la nature de la peine, en changeant son mode d'exécution, elle ne peut s'appliquer aux faits antérieurement commis, que si elle est plus favorable aux prévenus ou aux condamnés; si elle ne change que le mode d'exécution de la peine, sans changer sa nature, elle doit s'appliquer aux prévenus comme aux condamnés.

Ces solutions ont été consacrées, et par l'article 8 de la loi du 8 juin 1850 sur la déportation, qui n'applique la loi nouvelle qu'aux faits postérieurs à sa promulgation, parce qu'elle change la nature de la peine qui s'exécutait jusque-là par une détention et non par une déportation, et par l'article 7 qui décide, au contraire, que, « dans les cas où les lieux établis viendraient à être changés par la loi, les déportés seraient transférés des anciens lieux de déportation dans les nouveaux », parce que cette mesure modifie l'exécution de la peine de la déportation, sans en modifier la nature". En effet, les droits acquis sont bien in

17 Nous devons conclure de ce dernier texte, que la loi du 23 mars 1872, qui désigne de nouveaux lieux de déportation, est applicable aux prévenus ou aux condamnés pour faits antérieurs. La loi du 23 janvier 1874, sur la surveillance de la haute police (aujourd'hui supprimée par la loi du 27 mai 1885), s'appliquait aussi rétroactivement; car, ses dispositions ne changeaient que l'exécution de la peine, sans en modifier la nature. La loi du 16 juin 1875, sur le régime des prisons départementales, a dû s'appliquer également aux condamnés pour faits antérieurs à sa promulgation, car, en substituant l'emprisonnement cellulaire à l'emprisonnement en commun, comme mode d'exécution de l'emprisonnement correctionnel d'un an et un jour et au-dessous, la loi accorde une réduction du quart aux condamnés qui subissent leurs peines sous ce régime (art. 2). Mais la loi du 25 décembre 1880, sur la répression des crimes commis dans l'intérieur des prisons, ne peut être appliquée aux faits commis antérieurement à sa promulgation, car, en

dépendants des lois à venir; mais le mode d'exécution d'une peine ne saurait constituer un droit acquis, il reste dans le domaine de la loi. Toute la question est donc de savoir si la mesure qui a été prise par la loi nouvelle constitue un simple mode d'exécution de la même peine ou ne consiste pas plutôt dans la substitution d'une nature de peine à une autre nature de peine. En pareil cas, du reste, le législateur qui a le droit d'imprimer un caractère rétroactif à la disposition qu'il croit devoir édicter, peut s'en expliquer formellement. C'est ce qu'il a fait dans la loi du 30 mai 1854, sur l'exécution de la peine des travaux forcés. Cette loi, modifiant l'article 15 du Code pénal, supprime les bagnes et décide que la peine des travaux forcés sera subie désormais dans des établissements créés par décret sur le territoire d'une ou plusieurs possessions françaises autres que l'Algérie. « Les dispositions de la présente loi, dit l'article 15..., sont applicables aux condamnations antérieurement prononcées et aux crimes antérieurement commis ». A défaut de ce texte, on n'aurait pu donner, je crois, d'application rétroactive à la loi, puisque, sous prétexte de changer le mode d'exécution, on changeait, en réalité, la nature de la peine des travaux forcés.

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DU CONFLIT DES LOIS ANCIENNES ET DES LOIS NOUVELLES
EN CE QUI CONCERNE L'ORGANISATION JUDICIAIRE,

LA COMPÉTENCE ET LA PROCÉDURE

138. Les lois de forme sont rétroactives. 139. Il en est ainsi des lois qui modifient l'organisation judiciaire et la compétence. 140. Et des lois qui modifient la procédure.

138. Une infraction a été commise; avant qu'elle soit définitivement jugée, une loi modifie l'organisation ou la compétence des juridictions qui devaient en connaître, ou la procédure à suivre dans l'instruction, la poursuite ou le jugement :

modifiant l'exécution de la peine, elle aggrave la situation de l'accusé et n'a été faite que pour l'aggraver. Cour d'assises de la Seine, 27 décembre 1880 (S. 81.2.73).

appliquera-t-on, à cette infraction, la loi nouvelle ou la loi ancienne? Si le but de la loi pénale est de donner une sanction au droit, en punissant celui qui l'a violé, le but de la procédure pénale est d'assurer la complète manifestation de la vérité judiciaire, en protégeant, par les formalités dont elle entoure la poursuite, l'instruction et le jugement, l'intérêt de l'accusation et l'intérêt de la défense; il ne faut pas qu'un coupable évite le châtiment, mais il ne faut pas non plus qu'un innocent soit condamné, tel est l'objet des lois de forme, en matière pénale. Si un changement se produit dans l'organisation des juridictions pénales, leur compétence et leur procédure, ce changement est présumé devoir amener une application plus exacte et plus équitable des lois pénales. Or, que peut légitimement demander l'accusé? que la loi lui donne les moyens de faire reconnaître son innocence. Qui détermine ces moyens, et organise les meilleurs procédés pour arriver à ce résultat? le pouvoir social, par l'organe du législateur. Les lois de procédure doivent donc, d'après leur nature, s'appliquer, du jour de leur promulgation, à toutes les poursuites, quelle que soit la date de l'infraction.

Peut-on argumenter, pour écarter cette solution, du silence du Code pénal et du Code d'instruction criminelle sur ce point? Mais nos Codes sont également muets pour donner un effet rétroactif aux lois pénales qui suppriment ou adoucissent une peine, et cependant cette rétroactivité n'a jamais fait de doute. La rétroactivité des lois de forme n'est pas écrite dans nos Codes, mais elle résulte des principes et, bien loin qu'une disposition de nos lois y fasse obstacle, à diverses reprises même, des lois spéciales ont reconnu cette rétroactivité et l'ont appliquée aux infractions antérieurement commises1.

Peut-on prétendre que l'accusé ait un droit acquis à invoquer les garanties qui résultent pour lui des formes établies, dans son intérêt, par la législation contemporaine du temps de l'infraction? Mais l'accusé a seulement le droit de manifester son inno

§ XIV. D. 8 octobre 1789; L. 18 pluviose an IX, art. 30; D. 25-28 février 1852, art. 2.

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