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« de prévenir les procès force souvent vos sujets à renoncer << aux actes publics, et les entraîne dans des procès qui sont « la ruine de leurs familles (1). »

L'assemblée constituante, dans son respect pour les droits qui tenaient aux anciens contrats, maintint au profit des ex-seigneurs les droits de lods et ventes, et autres droits casuels; seulement elle en autorisa le rachat (2). L'assemblée législative abolit les droits casuels, à moins qu'ils ne fussent la condition et le prix de la concession primitive (3). La convention effaça toute distinction et supprima tous les droits et redevances par le fameux décret du 17 juillet 1793, qui ordonnait que les titres féodaux seraient brûlés sur la place publique.

Mais si l'assemblée constituante avait maintenu les lods et ventes, elle réagit fortement contre les doctrines de la ferme générale en matière de contrôle, d'insinuation et de centième denier.

Le décret du 5 décembre 1790 constitua l'enregistrement. Le but que la loi se proposait expressément était de soumettre les actes des notaires et les exploits des huissiers à cette formalité, pour assurer leur existence et constater leur date. Le décret comprenait sous le nom d'enregistrement les droits d'actes et les droits de mutation; mais il reposait sur une base toute nouvelle, en ce que les conventions écrite et les mutations par décès étaient seules frappées de l'impôt : les mutations secrètes n'étaient soumises à aucune investigation; les actes sous seing privé, mentionnés en d'autres actes, ne pouvaient donner lieu à des recherches et à des droits; ils n'étaient assujettis à l'impôt qu'au moment de la présentation à l'enregistrement. C'est là le caractère qui distingue le décret de 1790 des lois antérieures et des lois subséquentes. Le décret a conservé sa force légale, sous ce rapport, jusqu'à la loi du 9 vendémiaire an VI, ainsi que l'a déclaré la cour de cassation par arrêt du 16 novembre

1813.

(1) Essai sur la vie, les écrits et les opinions de Malesherbes, par le comte de Boissy-d'Anglas, 1, 266.

(2) D. 15 mars 1790. (3) D. 18 juin 1792.

L'objet de la loi de vendémiaire an VI était d'atteindre les mutations sans actes, quand il y avait mise en possession. C'était un premier retour aux principes anciens, et c'était en même temps une transition à la loi fondamentale du 22 frimaire an VII.

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La loi de l'an VII avait pour but « d'étendre la contribu«<tion du droit d'enregistrement à toutes les mutations qui << en étaient susceptibles, d'en régler les taux et quotités «< dans de justes proportions, afin d'améliorer les revenus «< publics. »> Elle a refondu et abrogé toutes les lois antérieures [73]; elle n'a pas donné à l'enregistrement, comme le décret de 1790, l'effet de constater la date des actes notariés, mais seulement la date des exploits et des procès-verbaux. La loi de l'an VII atteint les mutations sans actes, et reproduit en grande partie l'ancien droit, sauf l'arbitraire des juridictions exceptionnelles, flétri par Malesherbes.

Le droit actuel repose sur la loi de l'an VII et sur la loi additionnelle du 27 ventôse an IX, relative aux mutations sans actes pour les bases de la perception et pour ce qui regarde l'application des principes du droit civil, c'est là ce qui constitue aujourd'hui le code de l'enregistrement; mais le tarif des droits de l'an VII, dont la justesse est d'ailleurs remarquable, a été modifié ou augmenté par cinq lois successives des 28 avril 1816, 15 mai 1818, 16 juin 1824, 21 avril 1832 et 24 mai 1834.

En étudiant l'enregistrement comme impôt, nous retrouvons nécessairement ses rapports essentiels avec le droit civil; de là une théorie qui divise la matière en six sections, et qui embrasse les objets suivans :

1o Nature et objet de l'enregistrement et des droits d'enregistrement;

2o Base de l'impôt;

3o Application de l'impôt aux actes et mutations;

4° Perception des droits;

5° Compétence et procédure;

6o Prescription.

De ces différentes sections, la deuxième et la troisième

sont celles qui renferment les rapports de l'enregistrement avec le droit civil.

SECTION re.

NATURE ET OBJET DE L'ENREGISTREMENT ET DES DROITS D'ENREGIS

TREMENT.

L'enregistrement est une formalité qui consiste dans la relation d'un acte civil ou judiciaire et d'une mutation sur un registre à ce destiné par la loi.

Les droits d'enregistrement et de mutation sont ceux que l'État perçoit sur les actes civils ou judiciaires, et sur les transmissions de propriétés mobilières ou immobilières. Les droits d'enregistrement, dans le sens le plus étendu, comprennent les droits de mutation; dans un sens restreint, les droits d'enregistrement s'appliquent aux actes, les droits de mutation aux transmissions de propriété à titre onéreux et gratuit, ou à titre héréditaire.

La formalité de l'enregistrement a deux objets : 1o un service public dans l'intérêt des contractans, des tiers, des parties plaidantes et de la société en général; 2° la constitution d'un impôt dans l'intérêt de l'État.

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L'objet de la formalité doit être considéré à l'égard des actes notariés, des exploits, des jugemens, des actes sous seing privé, des déclarations obligatoires de mutation d'immeubles par décès ou autrement.

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I. Actes notariés. La loi du 5 décembre 1790 assignait pour but à l'enregistrement d'assurer l'existence et de constater la date des actes reçus par les notaires :

Art. 2. « Les actes des notaires et les exploits seront assujettis à l'enregistre«ment pour assurer leur existence et constater leur date. >>

Art. 9. « A défaut d'enregistrement dans le délai de dix jours, l'acte passé ❝ devant notaire ne pourra valoir que comme acte sous seing privé; le notaire « sera responsable. »

La loi de l'an VII [33] n'a pas reproduit cette disposition sur la date. Merlin soutient qu'en abolissant les lois antérieures, elle a seulement abrogé ce qui est relatif aux droits d'enregistrement, et non ce qui est relatif à la for

malité de l'enregistrement lui-même. Il n'y aurait donc encore, selon le jurisconsulte, de fixité dans la date des titres notariés que du jour de l'enregistrement; mais la loi sur le notariat [25 ventôse an XI] est exclusive de ce système. L'art. 1er porte :

<< Les notaires sont des fonctionnaires publics établis pour recevoir tous les << actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le carac«<tère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer « la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions. »

D'ailleurs la loi de l'an VII n'a pas voulu distinguer entre la formalité et le droit, en abrogeant toutes les lois rendues sur les droits d'enregistrement [73]. Le titre XII où se trouve cette disposition est intitulé des lois précédentes sur l'enregistrement, et la pensée du législateur s'applique évidemment à toutes les lois antérieures sur les matières de l'enregistrement. On doit donc décider, avec la cour de cassation, que le défaut d'enregistrement des actes notariés dans les délais prescrits ne produit d'autre effet que de soumettre les notaires qui ont reçu ces actes au paiement d'une amende (1). Ainsi une hypothèque pourrait être inscrite valablement, quoique l'acte n'aurait pas été enregistré dans les délais; l'enregistrement opéré plus tard aurait un effet rétroactif (2). Mais le conservateur ne pourrait pas être obligé d'inscrire l'hypothèque stipulée dans un acte non enregistré: il devrait même s'y refuser. Il faut done conclure, à l'égard des actes notariés, que l'objet de l'enregistrement est d'en assurer l'existence et d'en compléter l'authenticité.

II. Exploits. Les actes d'huissier et des autres officiers ayant droit de faire des exploits et des procès-verbaux en certaines matières ont été assujettis par la loi de 1790 à l'enregistrement, à peine de nullité. La loi de l'an VII [art. 34] a reproduit cette sanction : « L'exploit ou le procès«< verbal non enregistré dans le délai est déclaré nul, et «<le contrevenant est responsable de cette nullité envers la << partie. » L'objet de la formalité est ici de garantir la société contre les abus que pourrait commettre la mauvaise

(1) Arrêt 23 janvier 1810.

(2) M. Troplong, Hypoth., 2-286.

foi d'une classe nombreuse d'officiers ministériels. La formalité s'identifie avec l'existence même de l'acte.

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III. Jugemens. L'authenticité des jugemens tient au caractère public du juge qui les prononce, et du greffier qui les transcrit sur les registres l'enregistrement n'a donc pour objet que d'en assurer l'existence; et le défaut d'enregistrement n'entraîne qu'une amende [35-37]. Mais par cela même que la formalité tend à assurer l'existence des actes, les registres, en cas de perte ou d'incendie des minutes du greffe, pourraient servir de commencement de preuve par écrit. Il nous semble que l'opinion contraire de M. Toullier méconnaît ici l'un des objets essentiels de l'enregistrement (1).

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IV. Actes sous seing privé.. - Le premier objet de la formalité de l'enregistrement est de donner à ces actes date certaine contre les tiers. Mais un effet semblable est produit, à l'égard des tiers, par le décès de celui qui a signé l'acte, par la relation d'un titre sous seing privé dans un acte public, ou dans les procès-verbaux d'inventaire [C. c. 1328]. L'enregistrement n'est donc pas le seul moyen de donner à la date privée le caractère de certitude. D'un autre côté, ce caractère de certitude n'est pas l'unique objet de la formalité, car si l'acte a date certaine par le décès de son auteur, il n'est pas toujours dispensé de l'enregistrement. La formalité a donc encore ici pour objet d'assurer l'existence de l'acte, et, de plus, la perception de l'impôt. V. Déclarations de mutations. Les déclarations de mutations sont légalement obligatoires :

1o En cas de mutations de propriété immobilière ou d'usufruit d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, lorsqu'il n'y a pas d'actes représentés (2);

2o En cas de successions légitime, testamentaire et contractuelle, pour les biens mobiliers et immobiliers.

L'objet de l'enregistrement des déclarations est, dans le premier cas, de constater le mouvement de la propriété immobilière entre vifs, et de donner assiette à l'impôt ; (1) Droit civil français, IX, no 72.

(2) L. de l'an VII, art. 12; L. 27 ventôse an IX.

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