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Samedi 7 juillet 1821.)

(No. 721.)

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Défense de l'Essai sur l'Indifférence en matière de religion; par M. l'abbé F. de la Mennais (1).

La philosophie prétend enseigner à l'homme le chemin de la vérité, et, s'il faut l'en croire, elle est le seul guide qui puisse nous conduire à la certitude. Cependant la vérité a été de tout temps le premier besoin de l'homme, et l'homine s'est long-temps passé de la philosophie. La religion paroît seule auprès du berceau du genre humain. Le témoignage de Dieu même, qui se montroit à la tête des traditions dont se formoit la raison publique ou le sens commun de la société, tel est le fondement sur lequel les hommes crurent d'abord toutes les vérités nécessaires. Nos pères nous ont dit, et Dieu a parlé à nos pères: voilà quelle fut long-temps toute la philosophie des anciens peuples.

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Ce n'est que plus tard, et après que les traditions primitives se furent altérées, en s'éloignant de leur source, et curent perdu, en s'altérant, de leur autorité, qu'une autre philosophie naquit, « distincte de la religion, et essentiellement opposée au principe sur lequel les hommes avoient jusque-là réglé leurs croyances». C'est dans la Grèce que parurent les hommes qui essayèrent les premiers de déplacer la base de la raison humaine. Rejetant les traditions antiques et la raison des siècles passés, ils cherchèrent le principe de la certitude dans la raison indi

(1) I vol. in-8°.; prix, 5 fr. et 6 25 c. fr. franc de port. A Paris, chez Méquignon fils aîné; et chez Adr. Le Clere. Tome XXVIII. L'Ami de la Relig. et du Ror. R

viduelle, et le scepticisme seul, déguisé sous mille systêmes, remplaça, dès-lors, toutes les vérités ébranlées. En vain on voudroit nier une vérité de fait, L'histoire de la philosophie, depuis son origine jusqu'à nos jours, n'est que l'histoire des contradictions des philosophes. Qu'y voit-on? des systêmes détruits par d'autres systêmes, des opinions combattues par d'autres opinions; rien de fixe, rien d'établi. Depuis trois mille ans que les philosophes cherchent la vérité et la morale, la science et la sagesse, ils n'ont pu convenir encore de la base commune des connoissances de l'homme et de ses devoirs. Quel est le principe de la certitude? quelle est la règle de la vérité? Sur ces deux questions il y a, comme on l'a dit, autant de systêmes que de philosophes, et autant d'incertitudes que de systêmes.

Il ne pouvoit pas en arriver autrement, comme M. de la Mennais a entrepris de le prouver. Dieu ayant placé le seul fondement de la raison de l'hom me, et la seule règle de ses jugemens, dans une raison supérieure à l'homme, le scepticisme ou le néant est le fond nécessaire de toute philosophie qui considère l'homme isolé. C'est à quoi se réduit la doctrine importante que M. de la Mennais a établie dans le second volume de l'Essai sur l'Indifférence. Ici il importe de faire remarquer la liaison des deux parties de son ouvrage, en montrant celle qui existe entre les systêmes d'incrédulité qu'il avoit réfutés dans son premier volume, et les systêmes philosophiques qu'il a été amené à combattre dans le second.

Tout homme qui se sépare de l'unité catholique et rejette l'autorité de l'Eglise, doit rejeter toute autorité, s'il est conséquent; il s'établit seul juge de

ce qu'il doit croire: il ne peut admettre commě vrai que ce qui est clair et démontré à sa raison individuelle. Ce principe conduit nécessairement au déisme l'hérétique qui est conséquent, le déiste à l'athéisme, l'athée à un doute absolu: voilà ce que M. de la Mennais a établi dans son premier volume.

Ainsi tous les systêmes d'incrédulité, envisagés dans leur principe, ne sont qu'une seule erreur qui les contient toutes, et dont le dernier terme est le scepticisme universel. Or, cette erreur, commune à tous les sectaires, est le seul principe commun à tous les philosophes, et le fondement de tous leurs systêmes. S'isolant de toute raison supérieure, ils supposent tous qu'ils ne doivent admettre aucune vérité qui ne soit claire et démontrée à leur raison individuelle. Dès-lors ils sont forcés de nier toutes les vérités, et de tomber, s'ils sont conséquens, dans un doute absołu; c'est ce que M. de la Mennais s'est attaché à faire voir dans le second volume de son ouyrage.

M. de la Mennais n'auroit-il donc pas été fondé à croire qu'il n'a point été compris par ceux de ses lec teurs qui, après avoir applaudi à la doctrine développée dans le premier volume de l'Essai, ont paru s'effrayer de celle qu'il établit dans le second; puis que les deux parties de son ouvrage renferment la même doctrine, et que d'ailleurs, en prouvant que les systêmes qui envisagent l'homme isolé aboutis sent au scepticisme, il n'a pas plus ébranlé les fondemens de la certitude de l'homme social, qu'il n'avoit ébranlé les croyances du catholique, lorsqu'il démontroit que tout homme qui cesse de l'être, en se séparant de l'Eglise, arrive à l'athéisme et au doute absolu, s'il est conséquent?

On ne sauroit trop le répéter, ce n'est pas l'homme tel qu'il est sorti des mains du Créateur, tel qu'il existe dans la société, l'homme, en un mot, tel qu'il est, que M. de la Mennais considère dans le xii. chapitre de l'Essai: c'est l'homme tel qu'il n'est pas; c'est un être que les philosophes se sont figuré dans leurs rêves; un être qui, sans rapport avec la raison divine, en qui se trouve le fondement de toute vérité, ni avec la raison sociale, en qui se trouve la règle de notre raison, n'est plus un être raisonnable, n'est plus un homme. Aussi les philosophes qui prétendent arriver seuls à la certitude sont forcés de partir d'un doute universel. Descartes et Condillac commencent par rejeter toutes les vérités pour s'efforcer ensuite d'en retrouver le principe, l'un, pur esprit, dans sa pensée; l'autre, grossière statue, dans ses sensations. Or cette intelligence, dépouillée de toute vérité, que Descartes suppose, n'est pas plus un homme que la statue de Condillac; puisque la raison est tout l'homine, considéré en tant qu'être moral et que la raison, suivant la belle définition de M. de la Mennais, n'est que la vérité connue. Doit-on s'étonner que, dans une hypothèse qui se réduit à supposer qu'on n'existe pas, on ne puisse plus se prouver son existence, et que la certitude, qui n'est que le plus haut degré de la raison, ne se retrouve plus là où la raison elle-même a disparu?

Mais, pour nous arrêter au systême plus généralement adopté par les hommes religieux, considérons, avec M. de la Mennais, Descartes dans son doute méthodique. Il a banni de son esprit toutes les vérités qu'il tenoit de la société, y compris l'existence d'un premier être, parce qu'il suppose faillible le té

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moignage de la raison sociale; ou que rien du moins ne lui en démontre la certitude. Dès-lors nul moyen pour lui de sortir de son doute, parce qu'il lui est impossible de trouver dans sa raison seule un principe de certitude, ni une règle de vérité.

Et d'abord c'est en vain qu'il essaiera de s'assurer d'un premier principe, ou d'une vérité première, qui lui serve à établir toutes les vérités. Seul, il faut qu'il cherche ce principe au dedans de lui-même; sa propre existence est la première vérité par où il doit commencer la chaîne de ses connoissances. Le moi rationnel, je pense, donc j'existe, telle est en effet la première affirmation par où Descartes essaie de sor

tir de son doute.

Mais d'abord le moi rationnel de Descartes n'est pas, ne peut pas être un raisonnement; car raisonner, c'est déduire une vérité d'une autre vérité déjà connue. Or Descartes connoît-il sa pensée avec plus de certitude que son existence? Pour pouvoir assurer qu'il pense, ne faut-il pas qu'il soit déjà assuré qu'il existe? D'ailleurs, s'il prouve son existence par sa pensée, on pourra lui demander com ment il se démontre sa pensée. La fameuse proposition de Descartes n'est donc pas un raisonnement, et elle n'a aucun sens, ou elle doit se traduire ainsi : Je suis, donc je suis.

Son existence n'est donc qu'un fait qu'il affirme, sans pouvoir le démontrer. Mais qui le rend certain de ce fait? sa raison qui lui témoigne qu'il existe. Mais, après avoir refusé de faire un acte de foi dans la raison sociale, est-il conséquent de croire sans preuves sur le simple témoignage de sa raison individuelle? a-t-il quelque motif de la croire infaillible

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