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tout entraîné. Désormais la révolution était faite; elle était faite pour cette partie de la France, aussi complètement qu'elle l'a été, six jours après, pour Paris et pour le reste de nos pro

vinces.

>> Prenez maintenant M. le maréchal Ney comme simple militaire, étranger à tous les secrets comme à tous les calculs de la politique, avec ses habitudes contractées depuis vingt-cinq ans, n'ayant vu que son pays sous les formes diverses de gouvernement. qui s'étaient succédées. A aucune époque il ne s'est prononcé pour aucun des partis qui se disputaient l'autorité en France; il ne sut que se battre contre les ennemis extérieurs; il n'a volé à la défense que du territoire : c'est la patrie seule qu'il a considérée, et cette patrie, il l'a toujours vue dans la réunion des volontés agissantes, qui créaient, pour lui du moins, l'image de la majorité.

» Voilà, Messieurs, des causes générales, qui, sans contredit, ont pu être admises sans nulle intention de crime, et qui ont dû assez naturellement disposer le maréchal Ney à céder au torrent qui est venu l'entraîner.

» J'arrive aux causes particulières qui plus directement ont agi sur sa volonté, et emporté, en quelque sorte, le changement de ses résolutions.. Vous allez juger, Messieurs, si, comme

l'acte d'accusation l'impute au maréchal Ney, il y a eu de sa part liberté de choix, dessein de nuire à la cause de la légitimité qu'il avait embrassée, caractère de parjure; et si c'est le maréchal qui est vraiment l'auteur de la défection des troupes; si le succès de Bonaparte conduit jusqu'à Paris est dû à son adjonction !

» Dans la nuit du 13 au 14 mars, tous les rapports que reçoit le maréchal lui confirment définitivement les tristes détails de l'occupation de Lyon. Il apprend que Bonaparte s'y est publiquement saisi des rênes du gouvernement; qu'il y a rendu plusieurs décrets; que de toutes parts des ordres sont partis, des délégués sont en marche pour forcer l'exécution de ces décrets.

» Il apprend que, bientôt après avoir ainsi réglé les affaires de sa nouvelle administration, Bonaparte à quitté Lyon au milieu des acclamations de la multitude; qu'il marche à grandes journées sur Paris par la Bourgogne; qu'il est précédé, escorté, suivi par des forces imposantes qui, à la sortie de Lyon, excédaient quinze mille hommes; qu'en tous lieux l'esprit publie décuple cette armée et lui ouvre le chemin.

>> Les coureurs seuls, bien en avant de lui, ont pris possession, en son nom, de Mâcon, de Chálons, d'Autun même; quoique le maire de cette

ville ait voulu pallier cette circonstance, en en rejetant la faute sur la dernière classe de ses administrés.

» Désormais, à la hauteur de Lons-le-Saulnier, la ligne de défense du maréchal est dépassée.

.

» Et il est trop inférieur en forces pour qu'il puisse songer à rien entreprendre.

» Eût-il assez de monde pour en concevoir le projet, il n'a point d'artillerie à opposer à celle de Grenoble et de Lyon.

» Des dépêches lui parviennent de Dijon par le lieutenant général comte Heudelet qui y commande; elles lui découvrent tout le danger qu'il court du côté des soldats qui sont autour de lui et des habitans qui le cernent; elles lui mettent sous les yeux l'exemple de ce qui vient de se passer et à Châlons et à Dijon même, c'est-à-dire, sur un point encore plus avancé.

>> Ces témoins-là sont irrécusables; c'est l'occurrence toute seule qui les a produits. Permettez, Messieurs, que je vous les fasse entendre.

» Les deux premiers sont des copies, que le comte Heudelet envoya certifiées au maréchal, des dépêches qu'il venait de recevoir du maréchal de camp Rouelle, commandant à Châlons, datées du 12 mars.

n Voici ce que mandait le maréchal de camp:

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Châlons', le 12 mars 1815.

« Mon général, j'ai l'honneur de vous accuser » réception de votre lettre du 14. Hier, en arri» vant à Châlons, j'ai trouvé l'artillerie gardée >> par la garde nationale de la ville, sur la route de Lyon; elle s'est réunie en grand nombre pour >> ne pas la laisser parur; depuis ce matin une >> partie des habitans de la ville a arboré la co>> carde aux trois couleurs, et le drapeau blanc » a été retiré. M. le préfet, qui est ici, a écrit plusieurs fois aux autorités pour avoir des che»vaux, et toujours inutilement. Le 3°. bataillon » du 36. régiment, fort de 210 hommes, dout >> la moitié ne sont pas armés, vient d'arriver dans >> cette ville; une population immense s'est por» tée à sa rencontre, aux cris de vive l'empe» reur! etc. Il en a été de même à Tournus ; » l'esprit des habitans est monté au plus haut de» gré, et ils disent ouvertement, que par toutes >> sortes de moyens ils s'opposeront au départ de >> l'artillerie.

>>> La gendarmerie a reçu l'ordre de son colo» nel, qui est à Lyon, de rentrer dans ses rési»dences, ce quelle a exécuté; le capitaine est » retourné à Mâcon,

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» Je vais faire tous mes efforts pour

faire partir

>> l'artillerie je la dirigerai sur Moulins par Au»tun, et je resterai ici avec M. le préfet, s'il ne >> me parvient pas d'ordre contraire, jusqu'à ce que >> les circonstances me forcent d'en sortir. Je >> me dirigerai alors, ainsi que le bataillon, sur » Autun.

>> J'ai l'honneur de vous saluer avec respect, » Le maréchal de camp, signé ROUELLE. >> Pour copie conforme,

» Le lieutenant-général,

» Signé le comte HEUDELET DE BIENNE.>>

Châlons, 12 mars 1815.

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« Mon général, je reçois à l'instant votre lettre » de ce jour, et n'empresse d'y répondre. Une >> lettre que je viens de vous écrire, il y a une » heure, vous instruit de la position dans laquelle » je me trouve. L'esprit d'insurrection augmente; les autorités viennent de me prévenir que les >> habitans ont absolument décidé de ne point >> laisser partir l'artillerie.

les

» Voici les événemens antérieurs; les princes » ont évacué Lyon dans la matinée du 10, » troupes ayant refusé de se battre ; Bonaparte » y est entré le 11, et a ensuite envoyé des » troupes à Villefranche ; je suis parti le même » jour de Mâcon, pour me rendre à Châlons.

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