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cial, lui défendoit de passer outre, et permettoit de le faire emprisonner en cas de contravention. Bossuet s'établit alors lui-même partie principale à la grand'chambre du Parlement de Paris, et appela comme d'abus de la sentence arbitrale de 1225, sur laquelle l'abbesse fondoit son exemption.

On ne peut guère douter qu'il n'ait rédigé luimême tous les mémoires qui furent produits pendant le cours de ce procès, qui excita alors une grande sensation par le nom d'une princesse de la maison de Lorraine, et par celui de Bossuet, non moins illustre sous d'autres rapports.

L'affaire fut plaidée devant la grand'chambre pendant sept audiences consécutives; et le Parlement rendit le 26 janvier 1690 un arrêt qui déclaroit la sentence arbitrale de 1225 abusive, et maintenoit l'évêque de Meaux et ses successeurs dans tous les droits de la juridiction épiscopale sur l'abbaye de Jouarre (1).

(1) Quant à la redevance des dix-huit muids de grains, l'arrêt donnoit trois mois à l'évêque de Meaux pour constater par des titres constitutifs que les évêques de Meaux jouissoient de cette redevance avant la sentence arbitrale de 1225; et comme il ne les produisit point, un second arrêt du 16 mai 1661, déchargea l'abbaye de Jouarre de cette redevance. Le Parlement présuma par les clauses de la sentence arbitrale de 1225, que cette redevance n'avoit été accordée à l'évêché et au chapitre de Meaux que comme une indemnité de l'abandon que l'un et l'autre avoient fait de leur juridiction spirituelle sur l'abbaye de Jouarre. Ce fut probablement cette considération qui porta Bossuet, dans la contestation qu'il eut peu de temps après avec l'abbaye de Rébais, au sujet de l'exemption, à renoncer de lui-même aux six muids de grains que cette abbaye fournissoit à l'évêché et à l'archidiacre de Meaux.

Aussitôt que Bossuet eut obtenu cet arrêt, il prit toutes les mesures nécessaires pour se mettre en possession de la juridiction qui lui étoit rendue; et dès le 25 février suivant, il se mit en marche vers l'abbaye de Jouarre. Il n'éprouva aucune opposition de la part du clergé, du peuple, et de la ville, qui le reçurent avec les plus grands honneurs et reconnurent son autorité.

Mais il n'en fut pas de même de l'abbaye; la plus grande division y régnoit; un grand nombre de religieuses, fidèles à l'esprit de leur état, et qui étoient depuis long-temps en relation avec Bossuet, l'attendoient avec impatience pour le reconnoître comme leur véritable supérieur. Mais l'abbesse y avoit aussi des partisans ardens et dévoués, accoutumés à posséder sa faveur et à exercer sous son nom le pouvoir et la domination. Lorsque Bossuet se présenta à l'entrée du monastère, il en trouva la porte fermée, ainsi que celle de l'église.

Une résistance aussi indécente l'affligea, mais ne l'arrêta point. Il alla s'établir dans la ville de Jouarre pour y procéder à la visite de la paroisse; et il interdit de leurs fonctions ceux des prêtres séculiers et réguliers qu'il soupçonnoit d'entretenir l'abbesse et ses partisans dans leur désobéissance.

Pendant cet intervalle, il obtint un arrêt du parlement, portant qu'il seroit fait ouverture des por tes de l'abbaye en présence du lieutenant-général de Meaux. Muni de cet arrêt qu'il avoit fait signifier à la prieure, en l'absence de l'abbesse, il se rendit le 2 mars à l'abbaye, accompagné du lieutenant-général de Meaux, chargé d'en assurer l'exécution; on lui en refusa encore l'entrée; mais

la porte s'ouvrit au moment même où le lieutenantgénéral se disposoit à user de contrainte,

Bossuet, en entrant dans l'abbaye, observa que la prieure et une partie des religieuses s'étoient enfuies et cachées. Cependant il en réunit environ vingt-trois ; il ne voulut pas faire ouvrir de force les portes de l'église par respect pour la sainteté du lieu, ni même celle de la salle capitulaire par un reste d'égard pour des religieuses qu'il vouloit ramener par la douceur. Il se borna dans cette première visite à leur faire connoître les maximes qui avoient déterminé l'arrêt du parlement, maxi-, mes conformes aux décrets du concile de Trente sur les exemptions, et à l'ordonnance de Blois, qui en avoit adopté les dispositions.

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Le lendemain Bossuet retourna à l'église de l'abbaye; il en trouva encore la porte fermée; elle s'ouvrit enfin, sans qu'il se vît obligé de recourir à la force; et il en fit la visite selon les formes accoutumées.

Dans l'après-midi il se transporta au monastère, dont on lui refusa encore l'entrée. Le lieutenantgénéral de Meaux fut forcé d'user de contrainte, pour prévenir de nouvelles scènes aussi indé

centes.

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Bossuet réunit alors en sa présence toutes les religieuses, et leur donna les instructions les plus sages sur leur situation présente. Il les exhorta àt faire disparoître toutes les traces de leurs anciennes divisions, pour vivre en paix et avec édification sous la conduite d'un pasteur qui ne vouloit être que leur père.

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En quittant Jouarre, Bossuet y laissa l'abbé Phelippeaux, son grand-vicaire. Get ecclésiastique sut

se conduire avec tant de sagesse, que dans le court espace de quelques semaines il eut le bonheur de ramener les religieuses qui s'étoient montrées les plus opposées à leur évêquo.

Pendant tous ces mouvemens, l'abbet neuf des religieuses qui lui étoient dévouées, avoient tenté de se pourvoir à la cour de Rome. Elles avoient adressé au cardinal d'Aguirre un mémoire où elles s'exhaloient en reproches contre Bossuet, qu'elles accusoient de ne savoir pas gouverner les communautés religieuses. Elles y avoient joint un procès-verbal de la visite rédigé par leur bailli et leur procureur fiscal; et elles le présentoient en témoignage « des violences que Bossuet avoit » exercées, et qui avoient scandalisé tout le » royaume. »

Louis XIV, instruit de cette démarche, ordonna au duc de Chaulnes, son ambassadeur à Rome, de prendre des informations sur les auteurs et les agens d'une mesure aussi inconsidérée. Aussitôt qu'il les eut reçues, il chargea M. de Croissy d'envoyer à Bossuet les noms des religieuses qui avoient signé le mémoire, et de lui annoncer que s'il jugeoit à propos d'éloigner de Jouarre quelques-unes des plus séditieuses, les ordres en seroient expédiés sur-le-champ. Mais Bossuet ne voulut point faire usage du pouvoir illimité que la confiance de Louis XIV sembloit lui abandonner!

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Cependant l'abbesse, HENRIETTE DE LORRAINE ne pouvoit consentir à ployer sous une autorité qui blessoit sa fierté, et qui gênoit toutes ses habitudes. Toujours absente avec deux de ses religieuses, elle avoit laissé le temporel de son abbaye dans l'abandon le plus affligeant. Forcée enfin

de recourir à cette même autorité qu'elle affectoit encore de méconnoître, elle écrivit à Bossuet, et lui demanda la permission de prolonger son séjour à Paris, jusqu'à ce que sa santé fût entièrement rétablie Dossuet voulut bien condescendre à sa demande; mais il limita cette permission à trois mois. Les trois mois expirés, l'abbesse ne revint point. Bossuet laissa écouler encore deux mois, en fermant les yeux sur une infraction si peu convenable. Au bout de cet intervalle, il défendit aux religieuses de Jouarre d'envoyer à l'abbesse ses

revenus.

Ces défenses l'obligèrent à revenir à Jouarre. A peine y fut-elle de retour, qu'elle demanda à Bossuet des secours, et son autorisation pour aller aux eaux. Il y consentit, à condition qu'elle s'y rendroit directement, et qu'elle en reviendroit directement à son abbaye. Mais après la saison des eaux, elle alla s'établir à Paris. Bossuet crut alors devoir se transporter lui-même à Jouarre, et y rendit une ordonnance, par laquelle il étoit enjoint à l'abbesse de rentrer dans son monastère « sous peine d'ex> communication encourue ipso facto, après les » monitions faites de trois jours en trois jours, à la » diligence du promoteur, et trois jours après la » dernière. »

Elle reçut les deux premières, et n'attendit pas la troisième. Elle fut de retour à Jouarre le 26 mars 1692.

Au bout de quatre mois de séjour, qui lui parurent un long exil, l'abbesse demanda une nouvelle permission d'aller aux eaux; elle lui fut accordée pour deux mois, et sa pension fut fixée à quatre cent cinquante livres par mois...

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