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exercent comme elles l'entendent, comme elles le peuvent, sans qu'elles trouvent dans la loi aucun appui, aucun concours. Le législateur aurait pu, sans dévier du système du Code, sans prolonger les retards de l'instruction, sans la compliquer de formes nouvelles, faire de cette faculté à peu près illusoire un droit réellement utile, même pour la manifestation de la vérité. Mais, soit qu'il ait craint d'introduire un élément contraire au secret de la procédure, soit d'affaiblir la puissance de l'action publique, il ne l'a pas fait; il s'est borné à concéder une faculté qu'il lui eût été d'ailleurs impossible de dénier.

C'est en se pénétrant de cet esprit de la loi que la Cour de cassation a été amenée à repousser tous les moyens fondés sur ce que les parties n'avaient pu complétement user du droit énoncé par l'article 317, en déclarant simplement « que cet article n'est pas prescrit sous peine de nullité». Et, en effet, non-seulement il n'y a pas de sanction à la faculté que reconnaît cet article, mais cette faculté, dénuée de toute condition légale d'application, peut être ou n'être pas exercée sans que la procédure en éprouve aucune inquiétude, aucun retard.

2189. Le droit de produire des mémoires emporte-t-il celui d'exiger la communication des pièces de la procédure? Cette question a été le sujet de longs débats parmi les auteurs et dans Ja jurisprudence. On a soutenu, d'une part, que, par cela seul que la loi accorde aux parties la faculté de se défendre, elle leur reconnaît, par une conséquence nécessaire, le droit de prendre communication des charges de l'instruction; car comment la défense serait-elle possible sans la connaissance des charges de l'accusation? La loi du 17 pluviose an IX imposait au directeur du jury l'obligation de faire donner au prévenu lecture des charges et des dépositions des témoins avant de le, traduire devant le jury d'accusation; or, cette disposition, dictée par la justice et l'humanité, n'est-elle pas implicitement maintenue par l'article 217? Cet article peut-il être autre chose que le corollaire d'une communication préalable, puisque, cette communication supprimée, son application est purement illusoire? Si les articles 302 et 305 autorisent le conseil de l'accusé et l'accusé lui-même à prendre connaissance des pièces, s'ensuit-il donc que la com1 Cass. 5 févr. 1839 (J. P., tom. XXVI, p. 650).

munication antérieure de ces pièces, pour combattre la mise en accusation, soit interdite? Si la procédure est instruite par le juge en l'absence du prévenu, s'ensuit-il encore que celui-ci ne puisse, après l'instruction terminée, en prendre connaissance? La loi n'a point posé en principe le secret de la procédure; elle a donc permis toutes les communications qui peuvent rendre la défense possible, et on doit ajouter que ces communications doivent être considérées comme rentrant dans son vou, quand elles ont pour objet l'application même d'une faculté qu'elle a formellement consacrée. Telle est la doctrine qui a été successivement exprimée par M. Carnot', M. Legraverend et M. Bourguignon. On a répondu que l'article 302 avait posé la limite où la procédure cesse d'être secrète; que la loi, en autorisant le conseil de l'accusé à prendre communication de la procédure, a interdit implicitement toute communication antérieure ; que si la défense éprouve une véritable entrave par suite de cette prohibition, la loi n'a voulu qu'elle fût entière et libre qu'au moment où la mise en accusation est prononcée; que jusque-là elle doit subir les règles de la procédure écrite, et que la première de ces règles est le secret de l'information; que cette information n'est pas close parce que les pièces sont transmises à la chambre d'accusation; qu'elle peut être continuée et développée par cette chambre, et qu'il est impossible, par conséquent, d'associer l'inculpé aux découvertes que la justice a faites pour le mettre à même de prévenir celles qu'elle peut faire encore. La Cour de cassation a jugé, en confirmant cette dernière opinion, « que de l'ensemble des dispositions du Code, et particulièrement des articles 302 et 305, il résulte que la procédure en matière criminelle doit rester secrète jusqu'au moment où l'accusé, étant renvoyé devant la cour d'assises, a été interrogé par le président de cette cour, conformément à l'article 293; que c'est, en effet, à partir de ce moment que commence pour l'accusé le droit de conférer avec un conseil et d'avoir copie ou communication de la procédure; que la partie civile qui a usé de la faculté que lui ac

1 De l'instr. crim., tom. II, p. 440.

2 Législ. crim., tom. I, p. 248.

3 Jurispr. du Code crim., tom. I,

P. 183.

4 Mangin, tom. II, p. 145; Duverger, n. 1375; Carnot, nouv. édit., Appendice, tom. II, p. 810.

corde l'article 135 de former opposition à l'ordonnance de mise en liberté ne pourrait réclamer la communication ou l'expédition des pièces de la procédure, et exercer par là des droits plus étendus que ceux de l'inculpé, qu'autant que cette partie civile serait adjointe au ministère et participerait à l'exercice de l'action publique; mais que tel n'est point l'effet de son opposition; que si cette opposition autorise la chambre d'accusation à reviser, dans l'intérêt de la société, l'ordonnance attaquée, la poursuite n'en appartient pas moins exclusivement au procureur général; qu'à la différence des articles 224, 226 et 227 du Code du 3 brumaire an IV, le Code d'instruction criminelle réduit le droit de la partie civile à fournir un mémoire; qu'elle n'est pas même autorisée à exiger que la cour procède à un supplément d'information; que la faculté accordée au prévenu et à la partie civile de fournir des mémoires ne suppose point le droit d'exiger la communication ou l'expédition préalables des pièces de la procédure; que ce droit n'existe pas en faveur du prévenu, puisque la procédure doit rester secrète à son égard jusqu'après l'arrêt de mise en accusation; que dès lors il ne saurait exister pour la partie civile, parce qu'il y aurait injustice à la traiter plus favorablement que le prévenu qu'elle poursuit 1. »

2190. Il nous paraît que, dans ce débat, on s'est plus préoccupé de ce que la loi aurait dû faire que de ce qu'elle a fait : l'iniquité d'une défense tronquée par le secret des charges a réagi sur l'esprit des commentateurs et les a entraînés à demander aux textes ce qu'ils ne contiennent pas. Nous avons vu que notre Code, en divisant la procédure en deux phases, l'instruction écrite et l'instruction orale, avait imposé à l'un et à l'autre des règles non-seulement différentes, mais souvent opposées. Dans la première, où il s'agit de constater les faits avec la plus grande exactitude, le secret des investigations a été regardé comme nécessaire pour amener la découverte de la vérité, et l'inculpé, interrogé sur des faits qui lui sont personnels, doit répondre sous la seule inspiration de ses souvenirs, sans assistance de conseils. Dans la seconde, au contraire, le droit de la défense,

1 Cass. 19 mai 1827 (J. V. 27, 1, 535. Dall. 27, 1, 244); 9 déc. 1847 (S. V. 48, 1, 73. Dall. 48, 1, 20); J. P., 48, 1, 471; Poitiers 22 janv. 1832 (S. V. 32, 2, 403. Dall. 32, 2, 68); Aix 21 juillet 1832 (S. V. 32, 2, 460); Toulouse 2 août 1847 (S. V. 47, 2 481); Cass. 13 août 1863 (Bull., no 218).

naissant avec le titre d'accusé, devient l'objet de la protection du législateur, et, dès ce moment, au secret de l'information succède la plus grande publicité. Il résulte de ce système de la loi que le droit accordé aux parties par l'article 217 doit être expliqué suivant les règles qui s'appliquent à cette période de l'instruction, et l'une de ces règles est que, tant qu'elle n'est pas close, l'information doit être voilée aux regards des parties; car le législateur a pensé qu'associer le prévenu aux recherches de la justice, ce serait en détruire tous les effets. Or, l'instruction écrite n'est pas définitivement close par la transmission des pièces à la chambre d'accusation, puisque cette chambre peut ordonner un supplément d'information, puisqu'elle peut prescrire que des témoins seront entendus, des indices vérifiés, des experts interrogés. Ainsi, le système général du Code ne paraît pas admettre la communication des pièces avant que la mise en accusation ait été prononcée. On peut dire que, dans ce système, la défense a, comme la procédure, deux phases, et, par suite, deux mesures différentes tant que l'instruction préalable n'est pas terminée, le prévenu ne peut faire valoir que les moyens de justification qui lui sont personnels et qu'il tire de l'explication de sa conduite, de sa position, de ses intérêts et de ses affections; et ce n'est que lorsqu'elle est terminée que, le cercle de cette défense s'étendant, il peut alors non-seulement faire valoir les preuves de son innocence, mais débattre les dépositions des témoins, relever les contradictions et les erreurs où ils ont pu tomber, expliquer les indices constatés par les procès-verbaux, attaquer l'opinion des experts. La défense, purement personnelle dans la première période, ne devient contradictoire que dans la seconde. De là la conséquence que la communication des pièces n'est point un accessoire nécessaire du droit de défense établi par l'article 217, et c'est sans doute pour ce motif que la loi ne l'a point prescrite. Mais il ne faut pas cependant inférer de son silence que cette communication ne peut être faite. Elle n'est point obligatoire, et ni la partie civile ni le prévenu ne peuvent l'exiger: tel est, nous le croyons, l'esprit de la loi. Mais on ne doit pas aller au delà : la communication, si elle n'est pas obligatoire, est facultative, et le ministère public doit la prescrire toutes les fois que la prévision d'une information supplémentaire ne la rend pas dangereuse. Il doit la prescrire; car si cette mesure n'est pas commandée par la

loi, elle est commandée par l'équité; car il est rigoureusement juste que le prévenu, mis en demeure de se défendre, ait les moyens de le faire; car si le législateur a pu craindre qu'une communication faite dans tous les cas n'eût des inconvénients, il ne s'ensuit pas que, faite en connaissance de cause et restreinte aux cas et aux pièces où ces inconvénients n'existent plus, elle doive encore être interdite. Telle est aussi la distinction que la jurisprudence a consacrée. Dans une espèce où le procureur général fondait un pourvoi sur la prétendue illégalité d'une communication de la procédure faite au prévenu, la Cour de cassation a prononcé le rejet : « Attendu qu'il résulte des articles 302 et 303 que la procédure est secrète jusqu'au dernier interrogatoire de l'accusé, mais que ces articles ne sont point prescrits à peine de nullité; que, si les pièces de l'instruction ont été communiquées au défenseur du prévenu pour faciliter la rédaction d'un mémoire que ce prévenu pouvait fournir devant la chambre d'accusation, aux termes de l'article 217, le procureur général n'articulant pas que cette communication ait eu lieu par fraude ou surprise, il ne peut sous aucun rapport se faire un moyen de nullité d'une communication extralegale qui aurait été accordée à ce défenseur par suite du consentement exprès ou tacite du ministère public'. » La cour de Poitiers n'a fait que déduire de cet arrêt sa conséquence rigoureuse en déclarant, conformément à une note qui précède, dans le Bulletin officiel, l'arrêt du 19 mai 1827, « que, si les procureurs généraux ont la faculté de permettre la communication des procédures criminelles, pour faciliter la rédaction des mémoires dont parle l'article 217, c'est à eux à juger si cette communication officieuse peut se faire sans inconvénient». Et la cour de Toulouse a ajouté « que c'est au procureur général scul d'apprécier l'étendue que les communications peuvent avoir selon la nature des affaires, et que c'est sous sa propre responsabilité qu'il doit régler les restrictions dont elles peuvent être l'objet ». Un dernier arrêt de la Cour de cassation juge en même temps que la chambre d'accusation peut refuser la communication des pièces *.

1 Cass. 31 août 1833 (J. P., tom. XXV, p. 867).

2 Poitiers 28 janv. 1832, ch. d'accus. (S. V. 32, 2, 403. Dall. 32, 2, 3 Toulouse 2 août 1847, ch. d'accus. (S. V. 47, 2, 481).

4 Cass. 13 août 1863 (Bull., no 218).

68).

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