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C'est ce qui sauva les prêtres dits constitutionnels; leur serment ni leur théologie ne les eussent guéri de rien; mais ils vivaient sous la protection de l'ordre que leur adhésion favorisait, dont elle était une reconnaissance habituelle, tandis que leurs adversaires se montraient en état de protestation continuelle contre lui. Ce n'était pas seulement des prêtres que la France voyait dans les deux partis, comme tous les deux l'ont cru et l'ont dit, c'était des amis ou des ennemis de la révolution. Elle traita en ennemis ceux qui se déclaraient ses ennemis à elle-même. Les prêtres constitutionnels respirèrent sous cet abri, jusqu'au moment où l'on se crut assez fort pour se passer de tous également, jusqu'au temps où des aveugles furieux égorgèrent tout le monde et se déchirèrent entre eux. Si le clergé, embrassant d'un coup d'œil sa position, renonçant à des espérances qui ne devaient jamais se réaliser, fùt sorti ouvertement de l'ordre politique pour se renfermer dans l'ordre religieux, s'il se fût hâté d'abandonner les dehors des temples pour se retirer dans leur enceinte, et s'y barricader en quelque manière, il est vraisemblable qu'il eût

évité de grands malheurs, et qu'il fût arrivé, sans autre secousse, au terme où l'on le voit, celui qu'il voulait fuir et qu'il n'a pu éviter. Hors de ses temples tout était naufrage; la planche salutaire ne se trouvait qu'au dedans.

De nobles et généreux sentimens, un grand amour de la monarchie et du monarque, un grand attachement aux choses que l'on regarde comme un dépôt sacré, une vive horreur pour l'injustice, une indignation légitime contre des procédés avec lesquels on n'était pas encore familiarisé, peuvent trouver place à côté de fautes politiques fort graves: le clergé s'égara, il est vrai; mais son erreur eut les motifs les plus honorables, s'ils n'étaient pas les plus judicieux. On ne peut être fondé à lui en attribuer d'autres, et c'est avec douleur qu'on lui en a vu imputer d'indignes de lui, dans des écrits publiés recemment: sa résistance eut un principe honorable, quoiqu'il fût bien évident, qu'impuissante à changer la position de ses affaires et de celles du public, elle ne fût très-propre à les aggraver toutes les deux, comme cela n'a point manqué d'arriver.

Une espèce de fraternité a toujours régné entre le clergé et la noblesse: cette affection était naturelle entre le haut clergé et la dernière. Il y avait de plus entr'eux une émulation d'attachement et de respect pour le monarque et pour la monarchie. Il ne faut pas croire que les événemens des dernières années eussent effacé ou oblitéré ces sentimens; le fonds même de ces affections n'avait point été altéré: seulement on voulait redresser l'administration, et obtenir des garanties pour l'avenir. Pendant l'assemblée, le malheur était devenu commun entre le clergé et la noblesse; l'avenir présentait des dangers communs, il n'en fallait pas davantage pour cimenter une liaison intime: Communibus odiis sociati, a dit Tacite, qui savait bien que le lien formé par la communauté des haines a bien plus de force que celui qui résulte de la tiède amitié. Mais en participant aux affections, et à la direction de la noblesse, le clergé se condamnait aussi à prendre sa part des haînes dont celle-ci était l'objet, et l'on ne peut se dissimuler qu'elles ne fussent fort grandes il assumait ainsi les haînes qui pesaient sur les autres, comme s'il n'y en

avait point assez avec celles qui lui étaient personnelles.

Dans ce temps le clergé se plaça par choix comme on l'a vu le faire encore depuis 1814: il fit la faute de s'attacher à des auxiliaires dont il ne pouvait ressentir que le fardeau, qui ne pouvaient lui rien porter, auxquels lui-même n'avait rien à donner, et qui, dans cette société de malheur, ne pouvaient que l'entraîner avec lui dans l'abîme qui s'élargissait tous les jours. Lorsque les nobles eurent émigré, il fallut bien que le clergé fût déporté l'un était la conséquence naturelle de l'autre; car tout prêtre opposant ne devait passer que pour un correspondant ou bien un soupirant de Coblentz. Depuis lors on n'entendit que ces reproches adressés au clergé, et on le vit traiter en conséquence. Les affaires du clergé et de la noblesse n'étaient pas les mêmes; leur confusion ne pouvait avoir pour lui que des suites funestes: chacun doit s'occuper des siennes, et les faire à part.

Dans ces momens suprêmes, le clergé dut ressentir avec douleur les funestes effets de la liaison du spirituel avec le temporel. La main d'Héliodore venait de ravir les vases du tem

ple; le moment arrivait auquel, par une contradiction manifeste avec la nature des choses, le sanctuaire allait recevoir des lois importées du dehors.

Est-il donc écrit que jamais, dans notre Europe, le pouvoir ne saura résister à la manie de s'ingérer dans l'église, et qu'il sera toujours travaillé de la maladie qui perdit l'empire grec? Si jamais pouvoir fut en mesure de s'exempter de cette intrusion, sûrement ce fût l'assemblée constituante: qu'il est étonnant et malheureux tout à la fois, que si différente de lui sur tous les points, elle ait consenti à lui ressembler sur celui-ci ! Qui a pu pousser des hommes qui venaient de donner à leur ouvrage une base aussi large que celle des droits de l'homme en société, à finir par une constitution civile du clergé ? Comment l'alliage bizarre de ces mots n'a-t-il point suffi seul pour détourner de s'en occuper les mêmes hommes qui se mettaient journellement en communication avec les hautes pensées, et les premiers génies de leur siècle? Conçoit-on qu'un homme tel que Mirabeau ait pu descendre jusqu'à se rendre le lecteur du discours d'un abbé Lamou

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