Page images
PDF
EPUB

On comprend que nous parlons de la ligne de Lyon à la Méditerranée.

Déjà, l'année précédente, M. le ministre des travaux publics appelait l'attention de l'Assemblée sur la concession du chemin de fer de Lyon; de cette concession dépendait la reprise des travaux les plus importants, car elle permettrait de répartir entre les autres chemins de fer et les travaux publics de toutes sortes, les sommes dont elle degrèverait le trésor. Si tous ces travaux restaient à la charge de l'Etat, il aurait 585 millions à dépenser; les travaux ne pourraient être de longtemps terminés, et avec une dotation moyenne de 70 millions par année, comme en 1850 et en 1831, leur achèvement exigerait encore près de neuf années. C'était là, en effet la question qui dominait toutes les autres, en matière de travaux publics.

Si le chemin de fer de Lyon était concédé, il en résulterait pour le trésor un dégrèvement d'au moins 260 millions, ce qui réduirait ses charges à 325 millions, et à moins de cinq années, le temps nécessaire pour terminer ces grands travaux.

Réduire les charges du trésor de 260 millions, avancer de quatre années l'achèvement de nos routes, de nos canaux, de nos rivières, de nos chemins de fer, c'eût été une grande et utile mesure. Cet appel à l'énergie de l'Assemblée n'avait pas été entendu et la section de Châlons à Lyon, dont le Message de 1850 faisait espérer l'achèvement pour la fin de 1851, n'était pas même commencée. Quant à la section de Lyon à Avignon, il n'en était pas même question.

A qui la faute? A qui reprocher ce honteux abandon d'un des plus grands intérêts du pays? On va le voir.

Un projet de loi avait été présenté au mois d'août 1849, successivement amendé par la commission du budget, et enfin remanié par le ministre des travaux publics, conformément au vote de l'Assemblée, le 29 juillet 1850.

Au mois de mars 1852, l'Assemblée nommait une commission spéciale pour terminer d'urgence cette affaire pendante depuis deux ans. Mais la commission se consumait en longues et inutiles études. Une invincible répugnance à confier à l'industrie privée

même une partie du chemin, lui faisait rejeter l'une après l'autre toutes les demandes de concession.

Ces lenteurs, cette mauvaise volonté systématique n'attaquaient pas seulement les intérêts du Midi. Un embranchement, celui de Montereau à Troyes, attendait en vain de la concession de la ligne de Paris à Lyon quelque amélioration dans ses affaires. Une autre compagnie se préparait à entreprendre le chemin de Dijon à Besançon, qui plus tard se serait relié aux chemins de fer de l'Alsace, et eût ainsi complété l'ensemble de nos communications commerciales et stratégiques; mais cette compagnie ne pouvait se former qu'avec l'appui des concessionnaires du chemin de fer de Paris à Lyon.

Et tout cela devait avorter parce qu'une commission parlementaire, sous l'inspiration de M. Dufaure, déclarait les circonstances. défavorables à une concession et croyait l'industrie privée impuissante à exécuter ces travaux vivifiants. Il est vrai que, par une contradiction singulière, la commission et M. Dufaure trouvaient la situation assez bonne pour faire faire à l'Etat un emprunt de 300 millions.

Mais pendant que la commission préparait ainsi un ajournement ou un avortement, la commission du budget préjugeait par un vote la concession de la ligne à l'industrie privée. Elle portait 54 millions seulement au compte des travaux extraordinaires, et cette allocation ne devait s'appliquer qu'aux travaux mis par la loi de 1842 à la charge de l'Etat sur les lignes de Strasbourg, d'Orléans à Bordeaux, du Centre, de Châteauroux à Limoges.

Le rapport de M. Dufaure, concluant à l'exécution par l'Etat, fut présenté à l'Assemblée le 29 juillet. La question était donc remise jusqu'après la prorogation et la conclusion de cette importante affaire se trouvait subordonnée aux chances d'une crise politique.

Cette question devant être tranchée à la fin de l'année par le pouvoir exécutif, donnons-en rapidement et pour la dernière fois les éléments historiques.

De 1842 à 1845, la construction de ce chemin aux frais de l'État prévalut. Les travaux furent commencés dans ce système. Bientôt on changea de direction, la grande ligne fut partagée en

deux grandes sections, l'une de Paris à Lyon, l'autre de Lyon à Avignon, et chaque section concédée à une compagnie.

La révolution de février en portant l'ébranlement dans tous les intérêts, atteignit profondément le crédit des deux compagnies. Les adjudicataires, d'ailleurs, avaient commis de graves erreurs dans leurs évaluations. L'une des compagnies succomba: l'autre se soutint au moyen des concessions considérables qu'elle obtint en 1847; mais le discrédit croissant vint l'envelopper dans la détresse générale, et la forcer de suspendre ses travaux.

En 1848, on revint au mode d'exécution par l'État; mais les embarras financiers, en réduisant les allocations possibles en faveur des diverses sections de ce chemin, obligèrent à changer encore une fois de système, et à revenir à celui de l'exécution par l'industrie particulière.

Une compagnie se présentait c'était celle du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon. Elle se chargeait d'achever et de compléter sur toute la ligne les travaux évalués à. 260,000,000 Jusqu'à ce jour, il avait été dépensé : Pour indemnité à la compagnie de Paris. Travaux exécutés par l'État sur les crédits ouverts.

[ocr errors]

60,800,000

Total.

66,000,000

386,800,000 f.

La ligne totale étant de 742 kilomètres, le prix du kilomètre revenait à 520,000 ou 2,080,000 fr. par lieue commune. En France et dans l'Europe entière, aucun chemin ne s'était encore élevé à ce taux.

La compagnie s'engageait à terminer cette ligne en quatre ans et demi, aux conditions suivantes :

Abandon des travaux exécutés.

Jouissance de 99 ans.

Garantie d'intérêt pour 260 millions à cinq pour 100.

L'abandon des travaux exécutés équivalait à une avance de 126 millions. Le chemin était, au commencement de l'année, en exploitation sur 265 kilomètres.

Mais la section de Tonnerre à Dijon était assez avancée au commencement de l'année, pour qu'on pùt la considérer comme

achevée et, en effet, l'inauguration eut lieu le 1er juin. On se rappelle que l'ouverture de la section de Paris à Tonnerre avait cu lieu en 1849, et avait été suivie de celle de la section de Dijon à Châlons-sur-Saône.

L'ensemble de ces trois sections réunies formait une étendue totale de 383 kilomètres, ainsi divisés : de Paris à Tonnerre, 197 kilomètres; de Tonnerre à Dijon, 118 kilomètres; de Dijon à Châlons. 68 kilomètres.

Voilà où en était la première de nos lignes. Au second plan se présentait une autre ligne d'une importance réelle.

On se le rappelle, la loi du 26 juillet 1844, réparant une omission de la loi du 11 juin 1842, décréta qu'il serait ajouté au système de chemins de fer défini par l'article 1er de cette loi, un chemin de Paris à Rennes, par Chartres et Laval. La même loi affecta une somme de 13 millions à l'exécution de ce chemin, qui, par la loi du 21 juin 1846, fut doté d'une autre somme de 50 millions. Cette dernière loi portait, en outre, concession du chemin de fer de Versailles à Rennes à une compagnie, dans les conditions de la loi du 11 juin 1842. Bien qu'exécutoire de la loi de 1844, la loi de 1846 contenait cependant deux dispositions nouvelles, étrangères à cette loi l'une qui mentionnait, comme devant être joints à la ligne principale de l'Ouest, un embranchement de Chartres à Alençon, et un embranchement du Mans sur Caen ; l'autre, qui avait pour objet de classer un chemin de fer de Paris à Cherbourg, par Evreux et Caen, s'embranchant sur Rouen. D'sprès cette même loi, une compagnie prenait, à ses risques et périls, l'exécution entière du chemin de fer de Paris à Cherbourg, par Evreux et Caen; et une autre compagnie concessionnaire de la ligne principale, dans les conditions de la loi du 11 juin 1842, se chargeait d'exécuter, à ses risques et périls, les embranchements du Mans sur Caen, et de Chartres sur Alençon.

On sait comment, et dans quelles circonstances, les engagements pris par ces divers concessionnaires ne s'étant point accomplis, toutes les dispositions de la loi du 21 juin 1846, qui dépendaient de l'industrie particulière, n'avaient reçu aucune exécution. Le chemin de Paris à Cherbourg, par Evreux et

Caen, l'embranchement de Chartres sur Alençon, et celui du Mans sur Caen, n'avaient pas même été commencés. La ligne principale de l'Ouest, celle de Versailles à Rennes qui, depuis 1844, était déjà entreprise entre Versailles et Chartres, fut la seule dont les travaux se poursuivirent; parce que, classée dans les conditions de la loi de 1842, elle devait, avec ou sans le concours de l'industrie privée, continuer à s'exécuter aux frais de l'Etat et par les soins du gouvernement. Au commencement de l'année, le chemin de fer de Versailles à Rennes était achevé jusqu'à Chartres, et exploité par l'Etat sur cette première section; les terrassements et ouvrages d'art, entrepris aussi par l'Etat et terminés jusqu'à La Loupe, étaient tout prêts à recevoir la voie de fer; et sur plusieurs points, entre La Loupe et Le Mans, entre Le Mans et Laval, entre Laval et Rennes, d'importants travaux étaient en cours d'exécution.

Cependant les allocations annuelles de fonds destinées à cette grande ligne, réduites d'année en année par les nécessités financières, étaient descendues à des proportions si faibles que leur emploi le mieux entendu eût demandé un quart de siècle pour l'entier achèvement du chemin de fer de l'Ouest. Une pareille situation ne pouvait durer : les travaux ainsi alimentés languissaient ou dépérissaient; la parcimonie des dépenses aboutissait en somme à leur accroissement; et les pays, présumés légalement en possession d'une ligne de fer, en réalité ne possédaient rien. Pour mettre un terme à un état de choses nuisible à tous les intérêts, le gouvernement proposait de concéder à une compagnie la ligne principale de l'Ouest, c'est-à-dire le chemin de fer de Versailles à Rennes.

En outre, le gouvernement, pour donner aux populations une satisfaction partielle, demandait les moyens d'exécuter l'embranchement de Chartres sur Alençon.

Le chemin de Paris à Rennes laisse sur sa droite des contrées fertiles, des populations industrieuses, dont l'activité et la richesse n'attendent, pour prendre de nouveaux développements, que des communications plus nombreuses et plus rapides, soit entre elles, soit avec Paris, soit avec la mer. Evreux, Bernay, Lisieux, Caen, Bayeux, Falaise, Alençon, Mortagne, n'avaient pas encore leur

« PreviousContinue »