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2191. Il résulte de cette jurisprudence que le procureur général peut autoriser la communication; d'où il faut nécessairement induire qu'il le doit toutes les fois qu'elle n'a pas d'inconvénients, c'est-à-dire toutes les fois que l'instruction écrite est complète et terminée. Mais ce magistrat est-il le seul qui puisse prendre cette mesure?

Et, d'abord, le procureur impérial ne peut-il pas lui-même la prescrire avant de transmettre les pièces à la chambre d'accusation? Aucune disposition ne réserve ce droit au procureur général, et l'article 56 du décret du 18 juin 1811 ne parle que de la délivrance des pièces aux parties et non de leur simple communication. Si la communication doit suivre et non précéder la transmission des pièces, il faudra donc que ces pièces reviennent au lieu de l'instruction, où se trouvent les parties, et comment concilier cette double transmission avec le délai de la loi? A la vérité, les articles 133 et 135 portent que les pièces seront envoyées sans délai; mais il faut entendre ces mots en ce sens qu'aucun retard ne doit suspendre leur envoi; or peut-on considérer comme un retard le laps de temps indispensable pour une communication rapide qui met le prévenu à même de préparer immédiatement, s'il le veut, son mémoire et de le faire parvenir en temps utile à la chambre d'accusation?

Ensuite, cette chambre elle-même ne peut-elle pas aussi ordonner cette communication? La note du Bulletin officiel, que nous citions tout à l'heure, se termine par ces mots : « C'est à eux (les procureurs généraux) de juger si cette communication officieuse peut se faire sans inconvénients lorsqu'ils croient devoir la refuser, les chambres d'accusation ne peuvent l'ordonner. » Il suit de là, d'abord, que le rapporteur de l'arrêt (M. Mangin) qui a écrit cette note reconnaissait à la chambre d'accusation le droit d'ordonner la communication lorsque le procureur général ne l'avait pas refusée. Et, en effet, comment cette chambre, que l'article 228 arme du droit d'ordonner des informations nouvelles, et par conséquent de prescrire toutes les mesures et tous les actes qui lui paraissent nécessaires pour compléter et éclairer l'instruction, ne pourrait-elle pas déclarer que le prévenu sera mis en demeure de fournir un mémoire, et par conséquent que communication lui sera donnée de l'information? Comment, lorsqu'elle peut ordonner que le prévenu sera inter

rogė, ne pourrait-elle pas décider qu'il sera requis de produire une défense écrite? Un mémoire de défense ne peut-il pas, dans certaines affaires compliquées, constituer le moyen d'instruction le plus sûr? Mais si tel est le droit de la chambre d'accusation, ce droit doit-il être arrêté par cela seul que le procureur général aurait, avant que la chambre fût saisie, refusé la communication? Il suffit, pour résoudre cette difficulté, de remarquer que le droit du ministère public et le droit de la chambre d'accusation, ne dérivant pas de la même source, sont indépendants l'un de l'autre. Le ministère public puise le sien dans l'exercice de l'action publique qui lui appartient; s'il juge que la communication serait dangereuse à la marche de cette action, il peut la refuser; c'est ainsi que, s'il pense un supplément d'information inutile, il peut prendre des réquisitions pour qu'il n'ait pas lieu. Mais, de même que ces réquisitions ne lient pas la chambre, qui peut ordonner dans tous les cas une information supplémentaire, de même, après que le ministère public a refusé la communication dans l'intérêt de l'action qu'il exerce, elle peut l'ordonner dans l'intérêt de la justice. Le droit de sa juridiction est de ne statuer que lorsqu'elle a épuisé tous les moyens d'instruction que la loi a mis à sa disposition, et parmi ces moyens il faut placer les mémoires explicatifs des parties.

2192. Si le prévenu n'a pas, dans le système du Code, droit à la communication des charges de l'information, ne doit-il pas du moins être averti du moment de la transmission des pièces à la chambre d'accusation, afin qu'il puisse lui faire parvenir son mémoire? Cette question ne semble devoir soulever aucun doute. Comment, en effet, pourrait-il, comme le lui permet l'article 217, produire un mémoire dans les dix jours de la transmission des pièces, s'il ne connaît pas l'époque de cette transmission? On ne peut plus alléguer ici le danger d'une communication prématurée, il n'y en a point; il ne s'agit que de lui faire connaître que la procédure étant close est transmise au procureur général, et cet avis, qui est indispensable pour qu'il puisse user de son droit de défense, ne peut être sujet à aucune objection.

Mais la question devient plus grave lorsqu'elle consiste à savoir, non pas si l'avis doit être donné, mais s'il doit être donné à peine de nullité. Cette question s'est présentée devant la Cour de

cassation, mais elle a été écartée par une fin de non-recevoir. L'arrêt porte « Sur le moyen fondé sur une prétendue violation de l'article 217, en ce que l'accusé n'aurait pas reçu d'avertissement de la part du ministère public dans l'intervalle de temps écoulé entre la réception des pièces par le procureur général et son rapport devant la chambre d'accusation: Attendu que le demandeur ne pourrait exciper de cette omission prétendue que contre l'arrêt de mise en accusation, et qu'au cas où il se serait pourvu contre ledit arrêt dans la forme et les délais déterminés par l'article 296; qu'il n'appert point de la procédure qu'un tel pourvoi existe rejette. » Et un autre arrêt déclare : « qu'aucune disposition de loi ne prescrit d'avertir l'accusé du jour où les pièces ont été transmises et déposées au greffe de la cour. » On peut ajouter, en effet, ce que nous avons déjà fait remarquer, que, l'article 217 n'ayant institué qu'une simple faculté et ne l'ayant entourée d'aucune sanction et d'aucun appui, il paraîtrait difficile de frapper de nullité une procédure à raison d'un simple défaut d'avertissement relatif à l'exercice de cette faculté. Mais alors il faut reconnaître que la loi nous révèle une véritable lacune; car il est impossible que le prévenu, lorsqu'il est détenu, puisse connaître le moment de la transmission des pièces, et dès lors que devient à son égard la faculté de l'article 217, sinon une faculté dérisoire? Or, peut-on admettre que la loi ait voulu la défense et l'ait faite impossible? qu'elle ait fixé un délai pour la production. des mémoires et qu'elle ait entendu céler le point de départ de ce délai? en un mot, qu'elle ait proclamé un droit qui ne pourrait jamais être exercé? Ce qu'il faut conclure, c'est que c'est un devoir pour le ministère public du lieu de l'instruction d'avertir les parties de la transmission des pièces; si ce devoir n'a pas une sanction efficace dans les textes de la loi, cette sanction doit se trouver dans la conscience du magistrat; car quels reproches n'aurait-il pas à se faire plus tard, s'il était prouvé que les moyens de défense allégués par l'accusé devant ses juges auraient pu détruire la prévention devant la chambre des mises en accusation?

2193. Nous avons vu que cette chambre pouvait ordonner soit

1 Cass. 17 mars 1853 (Bull., no 90). 2 Cass. 13 août 1863 (Bull., no 218).

que le prévenu serait averti de fournir un mémoire, soit que les pièces de la procédure lui seraient communiquées; il suit de là que le prévenu, au lieu de produire immédiatement son mémoire, peut demander, par des conclusions préalables, qu'un délai lui soit accordé ou que communication des pièces lui soit donnée. C'est ce qui a été reconnu implicitement par un arrêt qui déclare " que l'article 217 n'est pas prescrit à peine de nullité, et qu'au surplus le demandeur a obtenu de la chambre d'accusation le délai de huitaine qu'il avait sollicité à l'effet de préparer sa défense, et que, si son mémoire ampliatif a été déposé tardivement, il doit s'imputer cette négligence ». Mais ce sont là les seules. conclusions qu'il puisse prendre devant la chambre d'accusation; et la Cour de cassation a déclaré « que le Code n'accorde à l'accusé et à la partie civile devant les chambres d'accusation que le droit de produire des mémoires ». Cependant, ce dernier arrêt ne doit pas être entendu dans un sens trop absolu; il est clair que le droit de fournir un mémoire, c'est-à-dire de produire ses moyens de défense, emporte celui de prendre toutes les conclusions qui ne sont que la formule de ces moyens.

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2194. Que faudrait-il décider si le prévenu se trouvait, au moment de la transmission des pièces, dans un état de maladie qui le mît dans l'impossibilité de rédiger un mémoire? La chambre d'accusation devrait, dans ce cas, s'il était réclamé, lui accorder un délai jusqu'à ce que l'impossibilité eût cessé; car si la production d'un mémoire n'est qu'une faculté, il faut au moins qu'il y ait possibilité de l'exercer, et que, si la partie ne s'en sert pas, son non-usage provienne de sa volonté et non d'un fait de force majeure qu'on ne peut lui imputer. On avait prétendu, en faveur d'un prévenu, qu'étant en état d'interdiction pour cause de démence postérieure aux faits incriminés et ne pouvant produire un mémoire, il y avait lieu de surseoir à la mise en accusation jusqu'à ce que l'état d'interdiction eût cessé. La chambre d'accusation prononça néanmoins le renvoi devant la cour d'assises, " attendu que, s'il y a lieu de présumer, d'après les interrogatoires subis par Monnier et le rapport des médecins experts commis par la justice, que son état mental a subi une certaine 1 Cass. 5 févr. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 650). 2 Cass. 13 févr. 1818 (J. P., tom. XIV, p. 646).

altération, il n'en résulte pas suffisamment que cette altération de son intelligence soit telle qu'elle le paralyse dans ses moyens de défense». Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté, « attendu que ces motifs constituent une appréciation de fait sur l'état mental du prévenu; que cette appréciation, faite d'après les interrogatoires, les procès-verbaux, les rapports des médecins experts commis par la justice, et les autres éléments de l'instruction, est du domaine exclusif et souverain des juges du fait; qu'il n'entre pas dans les attributions légales de la Cour de cassation de la reviser et de la contredire; que l'arrêt attaqué a jugé que, s'il y a lieu de présumer que l'état mental du prévenu a subi une certaine altération, il n'en résulte pas suffisamment que cette altération soit telle qu'elle le paralyse dans ses moyens de défense; qu'il ressort de cette déclaration que le prévenu a été capable d'user de la faculté, de produire devant la chambre d'accusation des mémoires pour sa défense; qu'il n'y a donc pas eu violation de l'article 217, ni violation du droit de la défense ' On voit que cet arrêt n'est motivé que sur la déclaration en fait de la chambre d'accusation; mais on peut en inférer que, si cette chambre avait pensé que l'état de démence, quoique postérieur à la perpétration du crime, était un obstacle à la défense du prévenu, elle aurait dû surseoir jusqu'à ce que cet obstacle eût cessé.

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2195. Au surplus, la faculté de produire un mémoire, restreinte dans les limites que nous avons fixées, s'étend à tous les prévenus, qu'ils soient présents ou absents, détenus ou fugitifs; car c'est l'application d'un droit commun qui, dans les termes au moins où il est enfermé, ne peut être dénié à aucun inculpé. Un procureur général s'était pourvu contre un arrêt d'une chambre d'accusation qui avait ordonné la lecture du mémoire produit par un prévenu fugitif. Ce pourvoi a été rejeté, « attendu que la disposition de l'article 222 sur la faculté accordée aux prévenus de produire des mémoires devant la chambre d'accusation est générale et absolue; qu'elle n'établit aucune distinction entre le prévenu présent et celui qui s'est dérobé aux poursuites de la justice; que dès lors elle est commune à l'un et à l'autre; que l'article 468, portant qu'aucun conseil et aucun avoué ne pou1 Cass. 13 oct. 1853 (Bull., no 508).

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