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En même temps que les seigneurs s'emparaient des rivières pour y établir arbitrairement des péages et rançonner le commerce, ils y formaient des barrages pour faire arriver l'eau dans leurs propriétés ; ils y établissaient des gords pour la pêche, sy ou y formaient des îles; ils arrêtaient ainsi le poisson au passage et rendaient la navigation dangereuse et presque impossible; et, dans les crues d'eau, ils inondaient les terres de leurs voisins, de telle manière, dit l'ordonnance : « que quand il est grande abondance d'eaux, les pays voisins et labourages d'iceux, en sont du tout perdus et gastez, au très-grant préjudice du bien public de nostre royaume et des sujets des pays voisins (1). »

Il résultait des mêmes désordres que le lit des rivières et les fossés pratiqués pour faciliter l'écoulement des eaux, n'étaient point entretenus, et que, faute de curage, l'eau se répandait dans les campagnes, et les transformait en marais; les chemins et les chaussées étaient tellement dégradés qu'on ne pouvait y passer sans danger (2).

Charles VI, par son ordonnance du 25 mai 1413, essaya de porter remède à ces désordres: il prononça l'abolition de tous les péages et acquits

(1) Article 246.

(2) « Et aussi plusieurs chemins, chaussées et passages, tels que bonnement on n'y peut passer sans très-grans inconvéniens et dangers. » Article 247.

établis sur les routes et les rivières, et qui n'avaient pas une existence immémoriale, ou qui n'étaient pas fondés sur des titres; il défendit d'en établir de nouveaux sans son autorisation, sous peine d'amende arbitraire et de confiscation des terres à cause desquelles ils seraient exigés; il déclara que les péages établis pour l'entretien des ponts, ports, chemins et chaussées, seraient perçus au profit de la couronne, si les conditions sous lesquelles ils avaient été concédés n'étaient pas remplies; il ordonna que les gors, îles et autres empêchemens faits sur les rivières publiques depuis un temps dont le souvenir existait encore, seraient détruits et annulés, et que les lieux seraient remis en leur premier état; enfin, il prescrivit le curage des rivières, et des fossés qui avaient été faits pour faciliter l'écoulement des eaux.

Vingt-cinq ans après la publication de cette ordonnance, les abus qu'elle avait pour objet de détruire n'avaient pas encore cessé; puisque, le 30 juin 1438, Charles VII rendit une nouvelle ordonnance pour l'abolition des péages que les seigneurs continuaient de percevoir sur la Loire.

Par son ordonnance de 1292, Philippe IV avait soumis la pêche de toutes les rivières grandes et petites à certaines règles. Charles VI ne fit non plus aucune distinction entre elles, dans l'ordonnance du 25 mai 1413, sur la réformation du

royaume ; il les comprit toutes dans les mêmes dispositions. Il paraît donc qu'à cette dernière époque, le principe consacré par les lois romaines, était encore admis en France, et que les rivières qui n'étaient pas navigables, étaient publiques comme les rivières navigables.

Ce principe est, en effet, implicitement consacré par les dispositions de la dernière de ces deux ordonnances. « Combien que anciennement au fait du gouvernement des eaues et forests de nostre royaume, dit l'article 229, n'y eust aucun qui outré et par-dessus les maistres ordinaires de nos eaues et forests, s'appelast grand et souverain maistre desdits eaues et forests, néanmoins, puis aucun tems en ça aucuns ont vu et impétré de nous le dict office de souverain maistre et gouverneur desdites eaues et forests de nostre dict royaume, et sous umbre et couleur de ce, ont prins et exigé de nous grands et excessifs gaiges, dons et prouffits, à nostre très-grand charge, et fait et commis par eux et leurs commis et sergens, plusieurs grands oppressions à nostre peuple.....

Charles VI abolit, en conséquence, l'office de grand et souverain maître des eaux et forêts du royaume, et ne conserva que les maîtres des eaux et forêts ordinaires, dont il fixa le nombre à six deux pour les de Normandie et Picardie, deux pour les pays de France, Champagne et Brie,

pays

:

un pour le pays de Touraine, et un pour le pays de Languedoc. Il considéra comme usurpation, ainsi qu'on l'a déjà vu, les entreprises faites par les seigneurs sur les rivières publiques, et il ordonna la destruction de tous les travaux qui avaient été exécutés, et qui nuisaient à la multiplication du poisson, à la navigation ou aux propriétés privées. Il appliqua donc à toutes les rivières les principes consacrés par le droit romain.

Les états du Languedoc, dans leurs remontrances de 1456, exposèrent à Charles VII tous les griefs dont ils croyaient avoir à se plaindre; au nombre des abus qu'ils lui signalaient, étaient les vexations que les lieutenans du maître des eaux et forêts faisaient éprouver aux gens d'église et aux nobles, en leur interdisant de chasser même dans les petits buissons, ou de pêcher dans de petits ruisseaux qui n'avaient pas d'eau pendant le tiers de l'année, sans en avoir obtenu la permission du maître des eaux et forêts.

« Aussi, disaient-ils, le maître des eaux et des forêts, qui veut empêcher que nul ne chasse aux bêtes sauvages, ni ne pêche en aucunes eaux sans sa licence; et combien que ne se doive entremettre, ne prendre cognoissance, fors seulement des forests royaux et fleuves portant navires, qui vous appartiennent, et non mie des forests des gens d'église et nobles qui ont leurs bois et rivières en

toute juridiction, haute, moyenne et basse, et toutefois s'efforce de faire le contraire, et envoie par les villages et les lieux, ses lieutenans commis ou députés, qui tiennent leurs cours et assises en juridiction des dictes gens d'églises et nobles, contre les ordonnances sur ce faites; et, sur ce, font enquestes, et convenir toute manière de gens qui auront chassé en quelque petit buisson, ou pesché en quelque petit ruisseau où n'aura pas eau les deux parts de l'an, contre toute raison, et au très grand préjudice des dictes gens d'église et nobles, ausquels la cognoissance en appartient, ne devroient estre inquiétez ou molestez pour petits poissons, et se devroient régler selon les dictes ordonnances sur ce faites, à l'ombre de son office, entreprend d'avoir cognoissance sur le tout, à la grande charge du peuple, qui en a assez d'autres à porter. »

Les ordonnances sur les eaux et forêts, antérieures au quinzième siècle, n'avaient établi aucune distinction entre les rivières navigables et les rivières non navigables; elles n'avaient pas déclaré que les premiers feraient partie du domaine public, et que les secondes appartiendraient aux gens d'église et aux nobles; elles les avaient, au contraire, toutes soumises au même régime, et il était naturel que les maîtres des eaux et forêts exerçassent leur juridiction sur les unes comme sur les autres. Il serait, par conséquent, bien difficile de dire sur quelles lois

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