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les états du Languedoc se fondaient pour prétendre que les rivières portant navires appartenaient à la couronne, et les autres aux nobles et aux gens d'église; cette prétention paraît avoir pour objet bien moins de revendiquer un droit que de faire consacrer une usurpation. Si les gens d'église et les nobles s'étaient réellement considérés comme propriétaires des rivières qui ne portaient pas navires, ils nè se seraient pas bornés à se plaindre qu'on les empêchait de prendre de petits poissons dans de petits ruisseaux, qui étaient à sec pendant un tiers de l'année. La modestie de ces plaintes est peu en harmonie avec la grandeur des prétentions dont elles sont accompagnées.

Aussi, Charles VII, en répondant à cette partie des doléances des nobles et du clergé, n'eut garde de reconnaître qu'ils étaient propriétaires de toutes les rivières non navigables; il annonça qu'il avait l'intention de s'occuper prochainement des abus commis, dans tout le royaume, par les officiers des eaux et forêts; il promit de défendre à ces officiers de nommer des lieutenans, et de tenir leur juridiction hors des lieux anciens et accoutumés, et contre la disposition des ordonnances; mais il s'abstint de s'expliquer sur la propriété des cours d'eau, et ne voulut pas admettre en principe que son autorité ne s'étendît que sur les rivières portant navires.

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Lorsque, vers la fin du quatorzième siècle, les seigneurs s'emparèrent, par voie de fait, des cours d'eau qui existaient sur la surface de la France, ils ne distinguèrent pas les rivières navigables, des rivières non navigables; ils s'établirent sur le Rhône, sur la Loire et sur la Seine, comme sur les rivières les moins importantes. De leur côté, les princes qui tentèrent de réprimer ces usurpations, ou de soumettre la pêche à certaines règles, ne firent aucune distinction entre les différentes rivières. Les ordonnances de Philippe IV, de Charles V, de Charles VI et de Charles VII, s'appliquaient également à toutes. Vers le milieu du quinzième siècle, les nobles et les gens d'église reconnaissaient que les rivières portant navires faisaient partie du domaine public; mais ils se prétendaient propriétaires de tous les autres..

Au milieu du dix-septième siècle, l'usurpation des rivières non navigables, par la noblesse et le clergé, était accomplie, et Louis XIV lui-même n'osait pas la combattre. L'ordonnance des eaux

forêts de 1669, s'occupe, en effet, des rivières navigables ou flottables; mais elle est muette sur la propriété de toutes les autres. Quelle est la cause de ce silence? On ne croyait pas, sans doute, que les rivières non navigables fussent sans influence sur la prospérité publique, et qu'on pût, sans inconvénient, ne les soumettre à aucune règle. On ne

pouvait pas ne pas voir que ces rivières intéressaient au plus haut degré toutes les propriétés situées sur leurs rives, et que ce n'était que par elles que les rivières navigables pouvaient exister. Il faut donc croire que le gouvernement de Louis XIV ne gardait le silence à cet égard, que parce qu'il ne voulait pas sanctionner une usurpation qu'il n'avait pas la puissance de faire cesser.

L'ordonnance de 1669 déclarait que la propriété de tous les fleuves et rivières du royaume, portant bateaux de leur fond, sans artifice et ouvrage des mains, faisaient partie du domaine de la couronne, nonobstant tous titres et possessions. contraires, sauf les droits de pêche, moulins, bacs et autres usages que les particuliers pouvaient y avoir par titres et possessions valables, auxquels ils étaient maintenus (1)..

Elle interdisait à tous propriétaires ou engagistes, sous peine d'amende arbitraire, de faire, sur ces rivières, moulins, bâtardeaux, usines, gords, pertuis, murs, plants d'arbres, amas de pierres, de terre et de fascines, ou autres édifices ou empêchemens nuisibles au cours de l'eau, d'y jeter aucunes ordures, immondices, ou de les amasser sur les quais ou les rivages; enfin, de détourner l'eau ou d'en affaiblir et altérer le cours par des

(1) Art. 41, tit. 27.

tranchées, fossés et canaux, sous peine d'être punis comme usurpateurs (1).

Il fut enjoint à ceux qui avaient fait bâtir, sur les mêmes rivières, des moulins, écluses, vannes, gords et autres édifices, sans en avoir obtenu la permission du gouvernement, de les démolir; faute de quoi, la démolition en serait faite à leurs dépens (2),

Il fut ordonné aux propriétaires des héritages riverains de laisser le long des bords vingt-quatre pieds au moins de place en largeur, pour le chemin royal et trait des chevaux; et il leur fut défendu, sous peine de cinq cents livres d'amende, de planter des arbres ou faire des haies ou clôtures à moins de trente pieds de distance du bord destiné au trait des chevaux, et à moins de dix pieds du bord opposé (3).

Enfin, il fut défendu, sous peine de cent livres d'amende, de tirer, sur les bords, des terres, sables ou autres matériaux à une distance moindre de six toises; il ne pouvait être permis, par conséquent, d'en tirer du sein même de la rivière (4).

Cette ordonnance n'avait rien décidé sur la

(1)Art 42 et 44 du même titre.

(2) Art. 43 du même titre.

(3) Art. 28, tit. 27.

(4) Art. 40 du même titre. Arrêts du Parlement de Dijon du 1 août 1720, et du 20 août 1746.

propriété des îles, îlots et atterrissemens qui se formaient dans les fleuves et rivières portant bateaux de leur fond, sans artifice et ouvrages des mains; une déclaration du mois d'avril 1683 les considéra comme faisant partie du domaine de la

couronne.

Il existe, comme on voit, de nombreuses différences entre le droit reconnu par les lois romaines, et celui qu'établit l'ordonnance de 1669. Les Romains, ayant admis que toutes les rivières, navigables ou non navigables, faisaient partie du domaine public, reconnaissaient à chacun la faculté de profiter de tous les avantages qu'il pouvait en tirer, pourvu qu'il respectât les droits des autres, et qu'il ne leur causât aucun dommage. La monarchie absolue, sortie du régime féodal, réclame, comme faisant partie du domaine de la couronne, les fleuves et rivières navigables et flottables, et ne reconnaît aux particuliers que les droits qu'il lui plaira de leur concéder. Les lois romaines, nées d'un principe de liberté, ne sacrifiaient pas les droits de tous aux prétentions ou aux intérêts de quelques-uns; mais elles n'autorisaient que des mesures répressives. Les lois nées de la monarchie absolue sont au contraire essentiellement préventives: nul ne peut faire servir à son usage les domaines de la couronne, si ce n'est en vertu d'une concession personnelle.

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