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session, mais non la propriété; il n'obtient la propriété qu'en vertu d'un jugement, qui prononce à son profit l'adjudication de la chose prise, mais qui peut également en décider la restitution au propriétaire primitif.

Les captures sont jugées et les prises déterminées par des tribunaux spéciaux appelés Cours d'amirauté, tribunaux ou conseils des prises, institués depuis longtemps dans les pays civilisés et commissionnés par les autorités souveraines de ces pays pour prendre connaissance de la plupart des affaires maritimes, notamment de toutes les questions concernant la légitimité des captures, le droit et le mode de disposer des prises et les réclamations qui s'y rattachent.

Chaque État organise ses tribunaux de prises et en règle la jurisprudence selon ses intérêts, ses traditions, sa constitution politique. D'après cette jurisprudence, les tribunaux de prise décident si la capture est conforme à la coutume, si la cargaison constitue en tout ou en partie de la contrebande de guerre, de la marchandise ennemie ou de la marchandise neutre ; à qui et dans quelles proportions doit revenir la propriété de la prise *.

Compétence pour le juge

ses,

§ 3036. Le jugement des prises maritimes appartient aux tribunaux du pays de celui qui a fait la capture. L'exercice du droit de ment des priprise étant un acte connexe à l'état de guerre et une délégation de la puissance souveraine, le droit des gens en fait naturellement et exclusivement peser la responsabilité sur le gouvernement du capteur; or cette responsabilité cesserait d'être effective, le redressement des injustices commises deviendrait impossible, si les tribunaux d'un pays étranger étaient appelés à juger des faits dont la légitimité intrinsèque leur échappe, et à rendre des sentences dont ils seraient hors d'état d'assurer l'exécution.

Quoique Phillimore soutienne l'opinion contraire, il est également admis en principe que les tribunaux de prises d'un pays allié sont incompétents pour statuer sur la validité des prises du co-belligérant. Le gouvernement du capteur est bien responsable envers les autres Etats des actes de ses propres sujets; mais il ne l'est jamais de ceux de ses alliés.

A plus forte raison le tribunal d'un pays neutre ne peut-il prononcer la validité ou la condamnation des captures que les belli

Bulmerincq, Revue de droit int., 1879, t. XI, p. 353; Rapport, pp. 222, 437; Creasy, First platform of int. law, p. 555; Funck Brentano et Sorel, Précis, p. 423; Boeck, Propriété privée, § 338; Perels, p. 343.

Clauses conventionnelles

tière.

gérants auraient amenées dans ses limites juridictionnelles. Admettre une pareille compétence serait susciter les plus graves complications, exposer le neutre à devenir juge dans sa propre cause ou à se placer dans une situation hostile soit à l'égard de l'une ou de l'autre des parties belligérantes, soit à l'égard d'États tiers, dont les sujets pourraient ainsi voir confisquer leur propriété pour violation de devoirs dont l'appréciation varie d'un pays à l'autre *.

§ 3037. La règle que nous venons d'exposer est tacitement ou sur la ma- explicitement formulée dans un grand nombre de traités; elle n'a été mise en question par aucun de ceux sur lesquels repose le droit public moderne. On cite, il est vrai, deux conventions par lesquelles la compétence dans des cas de ce genre a été réservée au souverain neutre; mais ces actes remontent au dix-septième siècle, ils ont été conclus par la Grande-Bretagne, le premier, en 1661 avec l'Espagne, le second, le 11 juillet 1670 (1) avec le Danemark. On lit à l'article 3 de ce dernier: « Si les sujets de l'un ou l'autre prince osaient contrevenir aux présentes, alors le roi dont les sujets en auront agi ainsi sera obligé de faire procéder contre eux avec toute sévérité comme contre des séditieux et infracteurs de l'alliance. >>

Les plaintes et les difficultés auxquelles cette marche a quelquefois donné lieu, ne doivent pas être considérées comme une preuve que le principe en lui-même soit injuste, mais seulement qu'une application abusive en a été faite à des cas particuliers. C'est ce que Rutherforth explique en ces termes dans ses Institutes of natural law : « La décision appartient au souverain belligérant, qui seul a le droit de surveiller ses bâtiments de guerre et ses corsaires. Cette décision oblige d'une manière absolue ses sujets, parce qu'il a sur leurs personnes une juridiction complète; mais elle n'oblige qu'eux; les autres parties en cause, étant membres

Cauchy, t. I, pp. 66, 67; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 300 et seq.; Massé, t. I, §§ 406 et seq.; Pistoye et Duverdy, t. II, tit. 8, ch. 1; Gessner, pp. 357 et seq.; Heffter, §§ 138, 172; Bluntschli, § 842; Martens, Précis, § 322; Klüber, Droit, § 296; Steck, Essais, pp. 82 et seq.; Fiore, t. II, pp. 521 et seq.; Hubner, t. II, pte. 1, ch. I, II; Dalloz, Répertoire, v. Prises maritimes, sect. 6, §§ 251 et seq.; Phillimore, Cum., v. III, §§ 365 et seq.; Kent, Com., v. I, pp. 109, 110; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. II, §§ 13 et seq.; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. 1x, § 19; Halleck, ch. xxxi, § 2; Manning, pp. 379 et seq.; Wildman, v. II, p. 352; Bello, pte. 2, cap. v, § 4; Pando, pp. 432 et seq.; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 201; Boeck, Propriété privée ennemie, § 331; Perels, p. 337; Bulmerincq, Rapport, pp. 259, 281, 437.

(1) Hertslet, v. I, p. 186; Dumont, v. VIII, pte. 1, p. 132.

d'un État différent, ne sont forcées de se soumettre à la sentence du premier qu'autant qu'elle est d'accord avec le droit des gens. ou avec les traités particuliers, parce qu'il n'a pas de juridiction sur elles relativement à leurs personnes ou aux choses qui font l'objet de la controverse.

Dérogation

« Après la confirmation du jugement du tribunal inférieur, les réclamants étrangers peuvent s'adresser à leur gouvernement pour obtenir réparation, s'ils se croient lésés; mais le droit des gens ne leur accorde de réparation qu'autant qu'ils ont été réellement lésés. Quand la chose est poussée à ce point, les deux États deviennent parties dans la controverse, ct comme le droit naturel, qu'il s'applique aux individus ou aux sociétés civiles, a horreur de l'emploi de la force tant qu'il n'est pas devenu indispensable, le gouvernement de l'État neutre, avant d'en venir à une guerre ouverte ou à des représailles, doit s'adresser au gouvernement de l'autre État pour se convaincre qu'il a été bien informé, et en même temps pour aviser aux moyens de régler la controverse par un accord amiable *. » § 3038. La théorie qui exclut toute autre juridiction que celle des tribunaux du capteur pour décider de la validité des prises général. faites en temps de guerre sous l'autorité de son gouvernement admet toutefois deux exceptions: 1° lorsque la capture a été faite dans les limites d'un territoire neutre ; 2° lorsqu'elle a été opéréc par des bâtiments de guerre armés en pays neutrc. Dans ces deux cas, les tribunaux de l'État neutre ont qualité et juridiction pour statuer sur la validité des captures et affirmer la neutralité de leur gouvernement en ordonnant, s'il y a lieu, la restitution à qui de droit de la propriété saisie. Ces exceptions ont même été étendues par les règlements administratifs de certains États à la restitution illimitée et sans réserve des propriétés injustement capturées au préjudice de leurs sujets et fortuitement amenées dans leurs ports **.

*Gessner, pp. 358, 359; Polls, pp. 1226, 1227; Busch, ch. vi, §6; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. Ix, § 19; Manning, pp. 379, 380; Diaz Covarrubias, Bluntschli, § 860; Bulmerincq, Rapport, pp. 311, 323.

Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 327, 328; Massé, t. I, § 410; Pistoye et Duverdy, t. II, p. 185; Gessner, pp. 368, 369; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. II, § 14; Phillimore, Com., v. III, § 372; Halleck, ch. xxxi, § 3; Merlin, Répertoire, v. Prises, § 7, art. 1, no 3; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 6, art. 1, §§ 252 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. vIII; Loccenius, De jure, lib. II, cap. Iv, § 6; Azuni, t. I, ch. 11, art. 7, t. II, ch. iv, art. 3, § 12; Galiani, cap. ix, § 8; Heffter, § 172; Pando, p. 471; Manning, pp. 385, 386; Wheaton, Reports, v. IV, p. 298; v. VII, p. 283; Bulmerincq, Rapport, pp. 259, 311; Perels, p. 345; Boeck, Propriété privée, pp. 356, 357.

au

principe

Jurisprudence nordaméricaine.

Cas du navire espagnol

§ 3039. La Cour suprême des États-Unis a fait sur cette matière une remarquable déclaration de principe. « Une nation neutre, a-t-elle dit, qui a le sentiment de ses devoirs, ne s'interpose point entre des belligérants de manière à les entraver dans l'exercice de leur droit incontestable de juger par l'entremise de leurs propres tribunaux la validité de toutes les captures opérées en vertu des commissions respectivement délivrées par eux, et de décider toutes les questions de droit relatives aux prises qui peuvent surgir dans le cours d'une telle discussion. Mais on ne manque pas à cette obligation dans le cas où un navire capturé est amené ou vient volontairement intrà præsidia; la nation neutre pousse son enquête jusqu'à rechercher si une atteinte a été portée à sa neutralité par le bâtiment qui a opéré la capture. Tant qu'une nation n'intervient pas dans la guerre, mais qu'elle observe une parfaite impartialité entre les deux parties, c'est son devoir comme son droit du reste sa sûreté, sa bonne foi et son honneur l'exigent de veiller à ce qu'on n'usurpe pas sa neutralité dans un but hostile contre l'un ou l'autre de ces belligérants... On doit supposer que tous les belligérants ont un égal intérêt à l'accomplissement de ce devoir; et l'oubli ou la négligence de le remplir exposerait inévitablement une nation neutre à une accusation de manque de sincérité, ainsi qu'au mécontentement et aux justes plaintes du belligérant aux sujets duquel dans ces circonstances leur propriété ne serait pas restituée. »>

§ 3040. Les principes sur lesquels se fonde cette doctrine sont La Amistad clairement exposés par le juge Story dans une décision rendue au vé nom de la Cour suprême des États-Unis.

de Rues et du corsaire

nézuélien La Guerrière.

Observations du

juge Story.

Pendant la guerre de l'Espagne contre ses colonies de l'Amérique du Sud, un navire espagnol, la Amistad de Rues, pris en haute mer par un corsaire vénézuélien, la Guerrière, avait été amené dans le port de la Nouvelle-Orléans. Les propriétaires du navire espagnol provoquèrent une enquête, par laquelle il fut établi que le corsaire était venu, pendant sa croisière et avant la capture, renforcer son équipage aux Etats-Unis en violation de la neutralité de ce pays; la Cour de district de la Nouvelle-Orléans ordonna la restitution du navire et le paiement de dommages par le capteur.

Sur appel la Cour suprême des Etats-Unis cassa la décision de la Cour de district relative à ces dommages. En rendant son jugement, le juge Story développa les observations suivantes :

« La doctrine affirmée jusqu'à présent par la Cour est que toutes

les fois qu'une capture est faite par un belligérant en violation de notre neutralité, si la prise est amenée volontairement dans notre juridiction, elle doit être restituée à ses propriétaires. Cette pratique est basée sur le droit général des gens, et la doctrine en est pleinement reconnue par l'acte du congrès de 1794. Mais la Cour n'a jamais entendu étendre sa juridiction aux cas de violation de la neutralité au delà du pouvoir de décréter la restitution de la propriété spécifique, avec frais et dépens pendant la durée des procédures judiciaires.

<< Or nous sommes requis d'accorder des dommages généraux pour pillage, et si les circonstances particulières d'un cas le demandent par la suite, nous pouvons être requis d'infliger des dommages exemplaires dans la même étendue que dans des cas ordinaires de préjudices maritimes. Nous répudions entièrement tout droit à infliger ces dommages, et nous considérons qu'il ne fait pas partie des devoirs d'une nation neutre de s'interposer, sur la seule base du droit des gens, pour régler tous les droits et les torts qui peuvent provenir d'une capture entre belligérants. Rigoureusement parlant, il n'existe rien de semblable à des préjudices maritimes entre ennemis. Chacun a le droit incontestable d'exercer tous les droits de la guerre contre l'autre ; et l'on ne peut faire un sujet de plainte judiciaire de ce que ces droits soient exercés avec rigueur, lors même que les parties outrepassent les règles que les lois usitées de la guerre justifient. Du moins ces droits n'ont jamais été soumis à la compétence des tribunaux de prises des nations neutres. Les capteurs sont justiciables exclusivement de leur gouvernement pour tous excès ou toute irrégularité dans leur conduite, et une nation neutre ne doit intervenir que pour empêcher les capteurs d'obtenir des avantages injustes par une violation de sa juridiction neutre. Une nation neutre peut en effet infliger des pénalités pécuniaires ou autres aux parties pour une pareille violation; mais elle le fait ouvertement pour défendre ses propres droits, et non par voie de réparation en faveur du navire capturé.

<< Quand une nation neutre est requise par l'un des belligérants d'agir en pareil cas, tout ce que la justice semble exiger, c'est qu'elle exécute loyalement ses propres lois et ne donne pas asile à la propriété injustement capturée. Elle est donc tenue de restituer la propriété, si elle se trouve dans ses ports; mais à part cela elle n'est pas obligée de s'interposer entre les belligérants. En effet, s'il en était autrement, il n'y aurait pas de fin aux difficultés

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