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2215. Les arrêts qui ordonnent le renvoi d'un prévenu ou d'un accusé devant la juridiction compétente pour le juger, doivent motiver ce renvoi : 1° sur ce qu'il existe contre lui des charges suffisantes de culpabilité; 2° sur ce que le fait incriminé est qualifié crime, délit ou contravention par la loi pénale. Ce point a été consacré par un arrêt qui porte : « que d'après les articles 221, 229, 230 et 231, la chambre d'accusation, saisie pour prononcer sur le règlement de la compétence et le renvoi du prévenu, doit examiner, non-seulement si le fait est réprimé par une loi pénale et devant quelle juridiction il doit être poursuivi, mais s'il y a contre le prévenu des charges suffisantes de culpabilité; d'où il suit que l'arrêt de la chambre d'accusation, qui ordonne le renvoi d'un prévenu devant la juridiction compétente pour être jugé sur le fait dont il est inculpé, doit nécessairement être motivé, non-seulement sur l'existence d'une loi pénale applicable au fait, et sur la juridiction qui doit être saisie de la poursuite, mais aussi sur l'existence de charges suffisantes contre le prévenu'. »

2216. Les arrêts doivent être motivés sur chaque chef des réquisitions prises par le ministère public. Cette règle a été appliquée, en premier lieu, aux réquisitions prises à fin de supplément d'instruction « Attendu que de la combinaison de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 avec l'article 408 du Code d'instruction criminelle, qui exige à peine de nullité qu'il soit prononcé sur toutes les demandes et réquisitions des parties, il résulte qu'un arrêt n'est valable qu'autant qu'il contient des motifs applicables à chacun des chefs sur lesquels il statue; qu'il n'y a d'exception à cette règle que pour les dispositions de pure intervention; que la chambre d'accusation avait à prononcer, d'une part, sur la prévention admise par les premiers juges contre Baunes et sur l'opposition de la partie civile à l'ordonnance de non-lieu à suivre qu'ils avaient rendue en faveur d'un autre prévenu: d'autre part, sur les conclusions prises expressément devant elle par le procureur général à fin de supplément d'instruction; qu'elle a bien statué sur le tout, mais qu'on ne trouve dans son arrêt aucun motif applicable au rejet des conclusions du procureur général; que ce rejet ne peut être considéré comme une disposition de 1 Cass. 10 mai 1822 (J. P., tom. XVII, p. 340).

pure

instruction; qu'ainsi il y a eu violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 1. »

La même règle a été appliquée aux réquisitions tendantes à ce que les faits fissent l'objet de deux qualifications distinctes : « Attendu que les cours et tribunaux doivent, à peine de nullité, d'une part, statuer sur toutes les réquisitions du ministère public, lorsqu'elles tendent à user d'un droit accordé par la loi, et d'autre part motiver leurs décisions; que, en fait, Pimard, par l'ordonnance de la chambre du conseil, était prévenu de la tentative d'un crime prévu par l'article 437 du Code de procédure; que le procureur général, en faisant le rapport du procès à la chambre d'accusation, a expressément requis, ainsi qu'il en avait le droit aux termes des articles 221, 224 et 231 du Code d'instruction criminelle, l'annulation de cette ordonnance et la mise en accusation de Pimard, non-seulement pour la tentative ci-dessus spécifiée, mais encore pour tentative d'assassinat; que la chambre d'accusation s'est contentée d'ordonner la mise en accusation de Pimard à raison de la tentative de destruction dont il avait été déclaré suffisamment prévenu par la chambre du conseil, et de confirmer l'ordonnance de prise de corps décernée contre lui, sans s'expliquer en aucune manière sur les réquisitions du procureur général, en tant qu'elles portaient sur la tentative d'assassinat; qu'en rejetant ainsi formá negandi ces réquisitions, elle ne peut être considérée comme ayant satisfait à l'obligation d'y statuer; qu'elle peut encore moins être considérée comme ayant satisfait à l'obligation de motiver sa décision, puisqu'elle ne s'est appropriẻ, ni en les adoptant expressément, ni même en les transcrivant dans son arrêt, les motifs que contenait cette ordonnance pour écarter la prévention de tentative d'assassinat; qu'elle a donc formellement contrevenu aux dispositions de l'article 408 et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810. »

La même réglé a encore été appliquée aux réquisitions qui tendent à modifier la qualification donnée aux faits par la chaṁbre du conseil : « Attendu que la chambre des mises en accusation doit statuer, par des décisions motivées, sur tous les chefs du réquisitoire déposé devant elle par le procureur général, et qu'elle ne peut les rejeter sans s'expliquer sur les faits qui y sont 1 Cass. 25 août 1837 (Bull., no 251). 2 Cass. 7 sept. 1843 (Bull., no 234).

exposés et sur les différents caractères de criminalité que le réquisitoire leur attribue; que le procureur général avait, dans le réquisitoire par lui déposé, articulé des faits qui n'avaient point été soumis à la chambre du conseil, et pris des conclusions formelles tendant à faire qualifier, à raison de ces circonstances, les vols imputés au prévenu autrement qu'ils n'avaient été qualifiés par ladite chambre du conseil; que cependant la chambre des mises en accusation s'est bornée à maintenir l'ordonnance de la chambre du conseil, sans appuyer sur aucun motif le rejet des réquisitions du ministère public, et sans s'expliquer soit sur des faits particuliers qui servaient de base à ces réquisitions, soit sur la qualification que le ministère public en faisait résulter; en quoi l'arrêt dénoncé a formellement violé les articles 218 et 408 du Code d'instruction criminelle et 7 de la loi du 20 avril 1810 1. »

2217. Les arrêts qui rejettent les conclusions contenues dans les mémoires du prévenu ou de la partie civile doivent également être motivés sur chacun des chefs de ces conclusions. La même règle doit s'appliquer aux demandes des parties aussi bien qu'aux réquisitions du ministère public. Dès que la loi leur a donné le droit de former ces demandes, et ce droit est implicitement contenu dans celui de présenter des mémoires, il s'ensuit qu'elles doivent participer aux garanties qui protégent toutes les demandes régulièrement faites en justice : le juge est tenu d'y statuer et par suite de motiver sa décision, quelle qu'elle soit. Les parties doivent trouver dans l'arrêt la preuve que leurs demandes n'ont été écartées qu'après avoir été mûrement examinées.

2218. La règle qui veut que les arrêts de la chambre d'accusation soient motivés est donc générale, elle s'applique à tous les arrêts, soit qu'ils soient purement interlocutoires, soit qu'ils statuent sur le fond, soit qu'ils prononcent sur des points de fait ou sur des points de droit. La jurisprudence n'a fait à cette règle qu'une seule exception qui ne tend qu'à la confirmer : elle n'y a soustrait que les arrêts de pure instruction 3.

Or que faut-il entendre par les arrêts d'instruction? Ce sont ceux qui ordonnent des actes d'instruction, comme un plus ample informé ou une information nouvelle. Le rejet même de ces me

1 Cass. 18 avril 1850 (Bull., no 128); 8 mars 1851 (Bull., no 94). 2 Cass. 25 août 1837 (Bull., no 251).

sures, si elles avaient été formellement requises, constituerait un interlocutoire qui devrait être motivé. Cette distinction, que nous ne faisons qu'indiquer ici et qui sera ultérieurement développée, a été conservée par un arrêt qui dispose « qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, doivent être déclarés nuls tous jugements et arrêts qui ne contiennent pas de motifs; que si cette disposition générale, applicable en toutes matières et dans toutes les juridictions, peut néanmoins recevoir exception relativement aux jugements et arrêts de simple instruction, l'exception ne saurait être étendue au cas où il s'agit de statuer sur une demande principale formée par le prévenu d'un délit correctionnel, afin d'obtenir sa liberté provisoire 1. »

2219. Les arrêts de la chambre d'accusation doivent, en troisième lieu, qualifier les faits incriminés, et, par une conséquence nécessaire, spécifier ces faits et leurs circonstances.

Ils doivent qualifier les faits; car l'article 221 prescrit aux juges d'examinera s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices d'un fait qualifié crime par la loi ». L'article 231 fait dépendre la compétence de la qualification du fait, et l'article 299 autorise l'accusé à demander la nullité de l'arrêt, si le fait n'est pas qualifié crime par la loi. Ainsi, la Cour de cassation a prononcé l'annulation d'un arrêt de chambre d'accusation : « Attendu que nul ne peut être accusé d'un fait qui n'est pas qualifié crime par la loi, et que les personnes qui ont recélé des effets soustraits à l'aide d'un crime ne peuvent être punies comme complices de ce crime que lorsqu'elles ont recélé ces effets sciemment; que la veuve Masson est accusée de s'être rendue complice du vol d'une pièce de toile commis la nuit dans une maison habitée, à l'aide d'effraction extérieure, en recélant cette pièce de toile dans son domicile, et que l'arrêt de mise en accusation n'exprime pas qu'elle l'ait recélée sciemment, d'où il suit que cet arrêt porte sur un fait qui n'est pas qualifié crime par la loi et qu'il a violé l'article 299'. >>

Ce premier point, ainsi établi par la loi et par la jurispru

1 Cass. 25 août 1837 (Bull., no 251).

2 Cass. 13 mai 1832 (Bull., no 152).

3 Cass. 12 sept. 1812 (J. P., tom. X, p. 723); et conf. 18 oct. 1827 (J. P., tom. XXI, p. 824).

dence, ne peut donner lieu à aucune difficulté. Nul ne peut, en effet, être renvoyé en état de prévention ou d'accusation devant une juridiction répressive qu'à raison de faits qui portent en euxmêmes le caractère de crime, de délit ou de contravention. La qualification de ces faits est donc la condition essentielle de cette mesure, puisqu'elle établit leur rapport avec la loi pénale, puisqu'elle constate, par la régularité de l'incrimination, la légalité de la poursuite. Là se trouve l'une des garanties les plus efficaces de la procédure; car l'obligation de qualifier les faits arrête à leurs premiers pas les poursuites arbitraires ou inconsidérées, en les forçant de nommer la loi qu'elles prétendent appliquer.

Or la qualification des faits suppose nécessairement leur spécification. En effet, comment qualifier un fait s'il n'est pas d'abord précisé et rapporté dans toutes ses circonstances élémentaires? La qualification, étant le rapport du fait avec la loi, est fondée sur une double base : la description du fait et la citation de la loi. Pour apprécier le caractère légal d'un fait, il faut le connaître; pour le connaître, il faut en relater toutes les circonstances, tous les éléments. Comment vérifier que la qualification n'est point inexacte si, à côté de l'énonciation de la loi qui doit saisir le fait, ne se trouve pas l'énonciation du fait lui-même? Comment constater que tel acte constitue un vol, une escroquerie, un faux, si les circonstances dans lesquelles cet acte a été perpétré ne sont pas exactement décrites?

2220. La loi est d'ailleurs formelle sur ce second point. L'article 232, rectifié par la loi du 17 juillet 1856, est ainsi conçu : « Lorsque la cour prononcera une mise en accusation, elle décernera contre l'accusé une ordonnance de prise de corps. Cette ordonnance contiendra les nom, prénoms, âge, lieu de naissance, domicile et profession de l'accusé; elle contiendra, en outre, à peine de nullité, l'exposé sommaire et la qualification légale du fait objet de l'accusation. »>

Cet exposé doit être clair, précis et assez complet pour que tous les caractères du fait puissent être saisis; car, d'une part, il importe que la qualification puisse être appréciée, et, d'une autre part, le procureur général ne peut porter aucune autre accusation, aux termes de l'article 271, que celle qui a été admise par la cour, d'où la conséquence que les faits qui en font la base

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