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dissiper, et laisser bien apprécier et les vainqueurs et les vaincus, si toutefois il se trouve alors un historien assez courageux pour aller chercher la vérité parmi les décombres ensanglantés de cette époque.

Si l'on alloit maintenant nous demander pourquoi le proconsul Carrier, qui fit noyer à Nantes tant de prêtres et de laïcs, épargna les déportés de la Nièvre, et les quinze prêtres d'Angers qui étoient associés à leur sort, nous ferions observer qu'ils n'arrivèrent à Nantes que le 15 mars, par l'effet des hésitations de Noël Pointe à les faire partir de Nevers, attendu que la faction des Dantonistes à la Convention y succomboit alors sous celle de Roberspierre; si bien qu'Hébert, avec dix-neuf des siens, fut conduit à l'échafaud le 24 de ce mois; que les têtes de Danton, de son intime ami Lacroix, et de sept autres de ses affidés, y tombèrent le 5 avril suivant; qu'enfin le 13, Chaumet et plusieurs de ses athées y reçurent la peine de leurs forfaits. Nous ferions encore observer que l'un des premiers soins de Roberspierre, le 27 germinal (16 avril 1794), fut de faire rappeler de leurs missions les proconsuls Dantonistes, et que Carrier surtout ne put se dispenser de revenir à la Convention. (V. NANTES.) Nous aurons occasion de répéter la même remarque en parlant du carnage qui se faisoit à Lyon, et que la mort de ces chefs du Dantonisme fit cesser tout à coup. (Voy., pour la série des prêtres de la Nièvre dont il vient d'être parlé, ADELON, etc.)

N° VIII.

LYON.

Cette antique métropole des Gaules y fut par excellence, depuis les premiers siècles du christianisme jusqu'à nos jours, la terre des Martyrs. Son Eglise, d'abord fécondée, fortifiée par le sang des Pothin, des Irénée, et de tant d'autres illustres confesseurs de la Foi, en 177 et 203, a toujours semblé depuis lors avoir le glorieux privilége de la faire triompher de la même manière dans toutes les persécutions. L'arianisme de Gondebaud, vers 501, le paganisme des Sarrasins, en 732, et des Huns, vers 930, ne purent pas ébranler davantage la foi des Lyonnais que ne l'avoient fait les cruautés de Marc-Aurèle et de Sévère à leur égard. Quand, dans la suite des temps, en 1567, l'Enfer excita contre leur sainte et pure croyance les enfans de Calvin, et que ceux-ci commirent à Lyon, notamment en 1558, toutes les impiétés imaginables, raffinant l'art des persécutions, spoliant, dévastant les temples, abattant, effaçant les images religieuses, faisant ainsi dès lors comme un essai des destructions, des sacriléges et des meurtres par lesquels, deux siècles plus tard, une révolution soi-disant philosophique ravageroit la France (1), les fidèles de Lyon montrèrent que, dignes de leurs ancêtres, ils sauroient, à leur exemple, braver désormais tous les périls pour conserver la Foi.

Si la persécution de nos jours, qui, tout en se généralisant, a semblé, quant à ses stratagèmes et à ses formes,

(1) Les ressemblances ne pourront qu'étonner ceux qui, connoissant l'histoire de notre temps, liront un ouvrage intitulé : Discours des premiers troubles advenus à Lyon, avec l'apologie pour la ville de Lyon, adressée au roi de France, par M. Gabriel de Saconay, comte de l'Eglise de Lyon; Lyon, 1569.

avoir le même esprit que celle du XVIe siècle, étoit venue par hasard de la même source, elle ne pouvoit que revenir avec toute la fureur du ressentiment contre les petits-enfans de ces Lyonnais qu'autrefois elle n'avoit pu vaincre. Objets d'une vengeance spéciale et progressivement réchauffée, ils devoient éprouver avec une horrible préférence toute la rage des nouveaux persécuteurs.

Dans le diocèse de Lyon, peut-être plus qu'en beaucoup d'autres, on n'avoit vu qu'un petit nombre de prêtres, en 1791 et 1792, adhérer à la schismatique constitution civile du clergé; et ce petit nombre se composoit d'esprits foibles, faciles à séduire par la protection qu'elle paroissoit accorder à leur zèle moins éclairé que sincère, et plus encore de ces esprits ambitieux qui s'étoient fait du saint ministère, et même d'une affectation de régularité cléricale, autant de moyens de parvenir aux honneurs ou à la fortune. On ne compta parmi les assermentés du diocèse de Lyon aucun de ces ecclésiastiques dont la conduite sacerdotale n'étoit pas suspecte de vues mondaines, et que l'on y connoissoit comme réunissant la droiture à l'instruction. Ceux-ci ayant résisté à l'erreur, les agens de la révolution les vouèrent dès lors à la haine aveugle de la populace; et la liberté de culte qui leur fut illusoirement accordée dans quelques chapelles particulières isolées auxquelles le clergé schismatique trop peu nombreux n'auroit pas été capable de suffire, devint bientôt un piége infâme pour les saintes réunions des catholiques qui réclamoient leur ministère.

Ce seroit trop retarder notre marche que de nous arrêter aux scandaleuses et barbares scènes par lesquelles d'impies révolutionnaires vinrent les y troubler, et aux violences qu'ils y exercèrent avec une impunité qui trahissoit l'encourageante protection dont ils jouissoient nous avons des outrages et des maux bien plus graves à raconter.

Parmi les officiers municipaux qui gouvernoient la ville à l'époque du 10 août 1792, il en étoit quelques uns qui,

ardens pour le crime, et d'intelligence avec les hommes de la Commune de Paris (Voy. SEPTEMBRE), faisoient en sorte qu'à Lyon l'on imitât ces massacres dont ils savoient que la capitale alloit donner l'exemple. Ils se conformoient de tout leur pouvoir à l'ordre qu'ils en avoient reçu de leur procureur-syndic, lequel, se concertant alors à Paris avec les Dantonistes, avoit écrit le 18 août à ses affidés de Lyon : « Préparez-vous : tout se dispose à faire un massacre général des malveillans (1) ».

A Lyon comme à Paris, bien des prêtres non assermentés, qui alloient demander des passeports pour obéir à la loi de déportation rendue le 26 août (Voy. DEPORTATION), furent emprisonnés; et la plupart de ceux qui en obtinrent ne les eurent qu'avec un signe perfide, inconnu d'eux, par lequel les assassins semés sur la route, et notamment sur les frontières, tout en examinant cette espèce de sauf-conduit, devoient les reconnoître pour des victimes sacerdotales qu'ils pourroient librement sacrifier à la révolution. Les frontières de la Savoie, le plus à la proximité de ces respectables bannis, se garnissoient alors de troupes, qui, prêtes à envahir cette province, et stimulées par les auteurs du 10 août, crioient avec rage : « A mort les prêtres et les rois »>! Et c'étoit parmi ces forcenés que les déportés devoient passer pour entrer dans la terre de leur exil. Si tous ne furent pas massacrés par eux, beaucoup furent cruellement blessés: et tous se virent pour le moins inhumainement enlever par les agens municipaux de la frontière le peu d'argent qu'ils emportoient pour subsister quelques mois dans l'étranger. C'étoit leur dire, suivant un historien qui fut du nombre de ces déportés : « Nous voulons que tu meures la faim dans l'exil, ou par le glaive dans ta patrie (2) ».

par

L'atroce invitation envoyée par la municipalité de Paris à

(1) Histoire du Siége de Lyon et des Désastres qui l'ont suivi; Paris, 1797, à la pag. 76 du tom. Ier.

(2) Ibid., pag. 74 du tome Ier,

que

toutes celles des provinces, le 3 septembre (Voy. SEPTEMBRE), celle d'imiter bien vite les massacres commencés dans la capitale, produisit son effet à Lyon, le 9 de ce mois. Le nombre des prêtres qui y périrent alors, ne fut pas aussi considérable le désiroit la faction Dantoniste, parce que plusieurs de ceux qui étoient dans les prisons échappèrent aux meurtriers, soit par leur promptitude à escalader les murs et à fuir sur les toits des maisons voisines, soit par les bons offices des géoliers qui auroient désiré les sauver tous. Trois seulement furent massacrés; mais ils le furent avec des raffinemens de cruauté qui montroient combien la férocité des assassins avoit soif du sang des prêtres. (Voy. GUILHERMET, LACROIX et Regny.)

D'autres tentatives furent faites quelques mois après, et surtout en février de l'année suivante, pour se saisir, dans les mêmes intentions homicides, de tout ce qui restoit encore de prêtres cachés dans Lyon; mais elles furent déjouées par les soins de quelques officiers municipaux, qui, voués à la faction Girondine, tâchoient de réprimer la fureur des anarchistes pour établir, avec les formes de la modération, ses républiques fédératives. Les prêtres enfin respirèrent, et purent se livrer à tout leur zèle, après que les Lyonnaiş eurent remporté sur ces agitateurs Dantonistes leur victoire du 29 mai 1793, et surtout pendant le siége mémorable que cette ville soutint jusqu'au 9 octobre suivant contre un général Dantoniste de la Convention. Mais quand Lyon fut réduit à ouvrir ses portes aux assiégeans, les ennemis de la religion se promirent bien d'y exterminer non seulement tous les prêtres, mais encore toutes les personnes qui y faisoient profession de piété.

Cependant la Convention, par un décret du 12 brumaire (2 novembre), porté en même temps contre les Bordelais et les Lyonnais, sembloit ne vouloir frapper que ceux qui avoient pris une part directe à la résistance. Ce décret livroit à un tribunal particulier, qui avoit des formes judiciaires,

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