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DOMAINE DE PROPRIÉTÉ.

PREMIÈRE PARTIX.

DES BIENS EN GÉNÉRAL, ET DE LA PROPRIÉTÉ CONSIDÉRÉE DANS SA NATURE PROPRE, DANS SON ORIGINE, DANS SON INFLUENCE SUR LA PROBITÉ, LA BONNE MORALITÉ ET L'INDUSTRIE DE L'HOMME, AINSI QUE DANS LES AVANTAGES CIVILS ET POLITIQUES QUI EN DÉRIVENT POUR LA SOCIÉTÉ.

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CHAPITRE PREMIER.

NOTIONS GÉNÉRALES ET PRÉLIMINAIRES SUR CE QU'ON DOIT ENTENDRE PAR LA DÉNOMINATION DE BIENS, ET SUR LEURS DIVERSES ESPÈCES.

1. On entend en général par la dénomination et sous le nom de biens, toutes les choses qui contribuent au bien-être de l'homme : Naturaliter bona ex eo dicuntur, quòd beant, hoc est beatos faciunt; beare est prodesse 1; et de là il résulte qu'à proprement parler, la dénomination de biens n'est point applicable aux choses qui nous sont plutôt nuisibles qu'utiles : Propriè bona dici non possunt, quæ plus incommodi quàm commodi habent 2.

L'homme est le roi de la nature tous les autres êtres sont destinés à son service ou à son usage, suivant le décret du Créateur: Benedixitque illis Deus, et ait: Crescite, et multiplicamini, et replete terram; et subjicite eam, et dominamini piscibus maris, et rolatilibus cœli, et universis animantibus quæ moventur super terram 3.

2. Mais dans la jouissance de cet immense domaine, l'homme n'exerce pas le même degré de puissance sur tous les êtres qui y sont compris.

Il y a des choses qui peuvent être soumises à sa possession privée, et appartenir à

'L. 49, ff. de verborum significat., lib. 50, tit. 16. * L. 83, ff. eodem.

l'un plutôt qu'à l'autre : comme sont les champs que nous cultivons, les fruits que nous en percevons, et les animaux domestiques que nous employons dans nos usages et

travaux.

Il en est qui, par leur immensité, ne peuvent être renfermées dans les bornes étroites de son domaine: tels sont l'air, la lumière, les astres, la mer, l'eau courante considérée en général, et comme élément.

Il en est aussi qui, dans l'état de civilisation où nous vivons, sont placées, par l'autorité publique, en dehors de toute possession privée : tels sont les ports de mer, les routes, les chemins publics quelconques, les remparts des places de guerre, et autres fonds dont nous avons amplement parlé dans notre Traité du Domaine public.

3. Parmi les biens asservis à nos jouissances, les uns sont appelés meubles, parce qu'ils sont mobiles, et peuvent se mouvoir ou être transportés d'un lieu en un autre lieu; les autres ont reçu la dénomination d'immeubles, parce qu'ils sont immobiles, et ne peuvent être changés de place, tels que le corps de tous les fonds de terre.

Il y a des biens corporels qui ont une existence physique et palpable, comme les fonds de terre, les bâtiments, les meubles qui garnissent un appartement. Il y a des biens

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incorporels qui n'existent que dans la disposition du droit qui les protége, comme sont

CHAPITRE II.

PRIÉTÉ ET LE DOMAINE.

les créances et les servitudes. Il y a des choses DEFINITIONS; NOTIONS GÉNÉRALES SUR LA PROfongibles, qui, ne consistant que dans le nombre, le poids ou la mesure, se remplacent les unes par les autres.

Enfin on distingue aussi les biens, par rapport aux maîtres qui les possèdent, en ceux qui sont destinés à l'usage du public; en ceux qui appartiennent à l'État; en ceux qui sont acquis aux communes, aux diverses corporations, aux établissements publics; et en ceux qui sont dans le patrimoine privé des divers citoyens.

4. Et ce qu'il faut bien remarquer ici, c'est que ces diverses distinctions ne sont pas seulement de simples nomenclatures grammaticales, attendu que les lois disposent sur les biens en se conformant, autant que possible, à la nature des choses et à la diversité des rapports qui existent entre elles et les hommes. Elles ne statuent point sur l'usage des choses publiques comme sur le domaine des choses privées; sur les choses corporelles comme sur les actions; sur les choses fongibles comme sur les meubles ordinaires; sur les effets mobiliers comme sur les fonds de terre. Dans la vente, par exemple, l'action en rescision pour cause de lésion des sept douzièmes du juste prix, est accordée au vendeur pour faire résoudre son contrat, si c'est un immeuble qu'il a aliéné, tandis qu'il n'a pas la même faveur lorsqu'il ne s'agit que d'une vente de meuble, parce que la possession des effets mobiliers n'a pas la même importance que celle de la propriété foncière.

On voit par là que, la distinction des choses étant la base de la distinction des règles auxquelles elles sont soumises, il est toujours fort important de s'attacher d'abord à bien saisir l'une, pour faire ensuite une juste application des autres.

5. La distinction des biens par rapport à ceux qui les possèdent est aussi très-importante, soit pour faire, en certains cas, la distinction des autorités compétentes qui peuvent être invoquées dans les débats ayant certains biens pour objet, soit pour déterminer les formes légales suivant lesquelles on doit procéder à l'égard des divers propriétaires de conditions différentes.

Au reste nous n'entendons encore donner ici que des notions générales et préliminaires que nous recommandons à l'attention des lecteurs, et principalement à celle des jeunes étudiants en droit, en leur promettant d'en démontrer des applications très-nombreuses par l'éclaircissement des difficultés que nous aurons à examiner dans la suite de cet ouvrage.

6. La propriété, comme l'indique l'étymologie du mot, consiste dans ce qui nous est propre à l'exclusion de tous autres.

Le mot BIEN comporte un sens beaucoup plus étendu que celui de PROPRIÉTÉ. Tout ce qui est propriété doit être classé au rang des biens; mais on ne peut pas dire réciproquement que tout ce qui est bien doit être classé au rang des propriétés : car l'air, la lumière, et l'eau courante, sont certainement des biens, et même des biens très-précieux; et cependant ils ne sont la propriété exclusive de personne.

Puisque la propriété consiste dans ce qui nous est propre à l'exclusion de tous autres. il faut, avec le jurisconsulte romain, conclure de là que la propriété d'une chose ne peut pas solidairement appartenir à deux ou plusieurs personnes: Celsus ait duorum quidem in solidum dominium esse non posse 1.

A la vérité, la même chose peut appartenir à deux ou plusieurs personnes la possédant en commun et par indivis; mais chacun de ces propriétaires n'y aura toujours, exclusivement aux autres, que sa portion numérique, attendu que ce qui appartient à l'un ne peut toujours pas appartenir à l'autre : en sorte que, comme l'observe Pothier, propre et commun sont deux choses absolument contradictoires qui s'excluent mutuellement.

7. Il faut cependant placer en dehors de cette règle les choses qui par leur nature sont indivisibles, comme les servitudes, puisque l'exercice en est essentiellement tout entier entre les mains de chacun de ceux qui y ont droit; mais cette exception, n'étant fondée que sur l'indivisibilité de la chose possédée en commun, ne peut être regardée que comme une confirmation de la règle générale sur la possession et la propriété des choses qui sont divisibles.

Il n'en est pas du droit de créance comme de celui de propriété ordinaire: car, quoique la même chose ne puisse solidairement appartenir à plusieurs propriétaires, elle peut être solidairement due à plusieurs créanciers. Qu'on suppose, par exemple, que Paul m'ait vendu son cheval, et que, sans me le livrer, il l'ait encore vendu séparément à Pierre. Dans cet état de choses nous serons, Pierre et moi, deux créanciers solidaires de l'animal vendu, et chacun de nous pourra

L. 5, § 15, ff. commod., lib. 13, tit. 6.

également agir en son particulier pour exiger la remise du cheval; mais une fois que la tradition en aura été faite, celui de nous deux qui, sans dol ou fraude envers l'autre, l'aura obtenu, l'ayant acquis par le double avantage du titre et de la possession, restera propriétaire in solidum à l'exclusion de l'autre.

8. Le mot domaine nous vient des expressions latines dominus, qui désigne le maître; dominium, qui signifie la maîtrise, à dominando, comme effet de la domination. Ce mot exprime la puissance légale que l'homme exerce sur les choses qui lui appartiennent: en sorte qu'à proprement parler, la propriété constitue l'objet auquel s'applique le domaine. Mais malgré cette distinction, qui, dans le langage métaphysique, paraît fort juste, souvent le domaine et le droit de propriété sont confondus et pris l'un pour l'autre, même dans le langage des lois : c'est ainsi que, rigoureusement parlant, c'est plutot la définition du domaine que celle de la propriété qui nous est donnée dans l'article 544 du Code, portant que « la pro«priété est le droit de jouir et de dis<<< poser des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règle

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«ments. »

La propriété comportant essentiellement dans le propriétaire la maîtrise sur la chose à l'exclusion de tous autres, il faut tirer de là la conséquence que nul ne peut être contraint de céder sa chose à un autre qu'autant qu'il en aurait lui-même pris l'engagement, ou qu'il n'y eut une cause d'intérêt public qui en exigeât la cession.

C'est ainsi que celui qui a vendu ou donné sa chose, peut être justement forcé de la livrer à l'acheteur ou au donataire.

C'est ainsi encore que tous les propriétaires des fonds à travers lesquels une route ou un canal doivent être construits, sont obligés de céder, moyennant une juste indemnité, les portions de leurs héritages qui doivent être occupées par l'établissement, soit parce que ce sacrifice est imposé aux habitants par l'effet de leur contrat social, soit parce que telle est la servitude imposée par la loi publique sur les divers fonds du territoire en sorte que le propriétaire étranger s'y trouve soumis comme les indigènes.

9. Le droit de propriété ne s'applique point aux choses qui sont naturellement commu

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nes, comme la mer, la lumière, l'air, et l'eau courante, parce que ces choses, ayant été destinées par le Créateur au service et à l'usage de tout le genre humain sans distinction, ne pourraient être renfermées dans les bornes étroites de notre domaine, ni revendiquées par les uns à l'exclusion des au

tres.

10. Il en est de même des choses qui appartiennent au domaine public, comme les routes, les forteresses et les terrains militaires, les rivières, les ports de mer, etc., etc. Tous ces fonds, ainsi que nous l'avons amplement établi dans notre Traité du Domaine public 1, ne peuvent être soumis aux règles qui gouvernent le domaine de propriété, parce que nul individu ne peut s'en prétendre maitre à l'exclusion des autres.

Enfin, toutes les choses qui, soit par le droit naturel, soit par la loi civile, sont placées hors du commerce, sont également audessus des règles de la propriété 2.

11. Mais à part ces grandes exceptions, l'on doit dire au contraire que le droit de propriété s'applique à toutes les choses soit mobilières soit immobilières, soit corporelles soit incorporelles, qui appartiennent aux uns privativement aux autres.

Un droit de créance est un droit de propriété, parce qu'il n'appartient qu'à celui qui en est le créancier.

Un droit de servitude est un droit de propriété foncière dans les mains du maître du fonds dominant, parce qu'il n'y a que lui qui ait la faculté légale d'en user.

Un droit d'usufruit ou d'usage est un droit de propriété pour l'usufruitier ou l'usager, parce qu'il leur appartient à l'exclusion de tous autres.

La liberté individuelle, les qualités personnelles de l'homme, les facultés que la loi lui accorde pour être électeur ou éligible dans nos assemblées politiques, sont aussi des droits de propriété, et de la propriété la plus rigoureuse.

Il en est de mème des droits de nationalité, et des divers genres de capacité qui se rattachent à l'âge, au sexe et aux droits civils et politiques de cité.

12. Il n'y a pas jusqu'au nom propre des personnes qui ne soit une propriété pour chacun des membres de la famille à laquelle il appartient, parce que ce n'est qu'au moyen des noms propres qu'on distingue les diverses familles, et qu'on parvient à en régler les droits et les charges.

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Et c'est pour éviter cette confusion dans les dénominations de famille, comme encore pour écarter les débats d'intérêts qui ne manqueraient pas d'en résulter, que nul ne peut changer de nom, ni même faire aucune ajoutance à son nom, sans une ordonnance du roi rendue avec la plus grande publicité, et avec injonction faite à l'impétrant de se pourvoir par-devant les tribunaux pour faire opérer le changement sur les registres de l'état civil, après les délais fixés par la loi, et en justifiant qu'aucune opposition n'a été formée devant le roi en son conseil 1.

15. Le droit de propriété ou le domaine peuvent être plus ou moins parfaits ou imparfaits.

Le domaine est parfait entre les mains de celui qui jouit de sa chose dégagée de toute charge envers des tiers.

Nous disons envers des tiers: car la charge de l'impôt qui pèse sur nos biens pour satisfaire aux besoins de la société, n'empêche pas le domaine d'en être parfait dans nos mains: autrement il n'y aurait pas de domaine entier et parfait.

Le domaine est imparfait lorsque la chose est affectée de la charge de restitution, comme cela a lieu dans le cas de substitution fideicommissaire; ou qu'elle est grevée de quelques droits réels envers des tiers tel est le cas où un fonds est grevé d'un droit d'usage ou d'usufruit, ou de quelque autre servitude plus ou moins grave, ou même frappé d'hypothèques envers les créanciers du propriétaire.

On appelle nue propriété celle d'un fonds dont l'usufruit ou la jouissance appartient à un autre qu'au propriétaire.

14. Mais quelque parfait qu'on suppose le domaine privé, la puissance qu'il comporte dans les mains de son maître est toujours subordonnée à l'omnipotence de la loi, puis que le propriétaire ne peut toujours disposer de sa chose qu'autant qu'il n'en fait pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements (544).

Quoique le mineur, l'interdit, la femme mariée, aient véritablement le domaine des choses qui leur appartiennent, néanmoins ils n'ont pas la libre faculté d'en disposer, parce que les lois s'y opposent.

Le majeur lui-même est, dans l'exercice

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de son droit de propriété, soumis aux règlements portés soit pour un avantage public, soit pour satisfaire à des convenances de bon voisinage envers des tiers.

C'est ainsi que nul ne peut transporter en pays étranger le produit de ses récoltes lorsque cette exportation est prohibée par quelques règlements;

13. Que, pour cause de sûreté publique, tout propriétaire peut être forcé de réparer ou de démolir un édifice menaçant ruine sur la voie commune, et de placer ses constructions sur l'alignement fixé par l'autorité compétente 2;

16. Que celui qui est propriétaire d'une source d'eau, ne peut en changer le cours, lorsqu'il fournit aux habitants d'une commune, village ou hameau, l'eau qui leur est nécessaire (645);

17. Que les propriétaires riverains des grandes routes ne peuvent abattre les arbres plantés au bord, même sur leur terrain, sans la permission de l'administration préposée à la conservation de ces routes 3;

18. Qu'il est généralement interdit aux communes et établissements publics de faire aucun défrichement de leurs bois sans une autorisation expresse et spéciale du gouvernement, ainsi qu'il est prescrit par l'article 91 du Code forestier;

19. Qu'aux termes de l'article 219 du même Code, pareille défense a été faite aux particu liers pendant l'espace de vingt ans, comme le défendait déjà, pour vingt-cinq ans, l'article 1er de la loi du 9 floréal an XI, suivant lequel le défrichement ne peut être licitement fait que six mois après l'avertissement qui en aura été donné par le propriétaire au conservateur forestier de l'arrondissement où le bois est situé, et dans le cas où, durant ce délai, l'administration forestière n'aurait pas formé d'opposition au défrichement 4;

20. Que pour satisfaire aux besoins de la marine, le martelage des arbres propres à ce genre de service s'exécute dans les hois de particuliers comme dans les forêts nationales ou communales, et qu'il a été défendu aux propriétaires de les abattre sans avoir fait, six mois d'avance, devant le conservateur forestier de l'arrondissement, la déclaration des coupes qu'ils ont l'intention de faire, et des lieux où sont situés les bois 5; mais

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aujourd'hui l'administration forestière néglige de faire exécuter ces lois en ce qui concerne l'avertissement sur les coupes que les particuliers veulent faire : seulement elle ordonne de respecter sa marque sur les arbres qu'elle a choisis;

Qu'en cas d'insuffisance du produit de forêts nationales situées à proximité du Rhin, pour fournir aux fascines nécessaires à contenir quelques parties de ce fleuve dans les temps de débâcle, l'administration des ponts et chaussées est autorisée à les prendre dans les propriétés particulières au prix courant 1;

21. Que le dessèchement d'un marais peut être ordonné aux frais du propriétaire et malgré lui 2;

22. C'est ainsi, enfin, que, par rapport à l'intérêt des tiers, nul ne peut clore son héritage si, par l'effet de la clôture, les fonds voisins doivent se trouver sans issue sur la voie publique (647 et 682), et que tout propriétaire au joignant d'un mur a la faculté de le rendre mitoyen en tout ou en partie, en remboursant au maître du mur la moitié de la valeur de ce qu'il veut rendre mitoyen, en lui payant en outre la moitié du prix du sol. Quoique en thèse générale nul ne puisse étre forcé à aliéner son bien au profit d'un autre particulier, la loi le permet ainsi dans ces cas, pris égard aux servitudes et obligations qui se rattachent naturellement au voisinage des propriétés aux besoins desquelles il est important de satisfaire pour le bien de la paix publique.

CHAPITRE III.

DU FONDEMENT DU DROIT DE PROPRIÉTÉ PARMI LES HOMMES.

23. Le droit de propriété a son fondement dans la loi naturelle, qui en a décrété le principe.

Et, d'abord, en ce qui touche à la liberté et aux qualités personnelles de l'homme, il est de toute évidence qu'elles ne sont qu'à lui seul, parce que l'auteur de la nature n'en a point ordonné autrement, et que si, dans l'état social, les qualités dont il s'agit reçoivent diverses modifications, ce n'est toujours que pour l'avantage propre des individus, et d'après les inspirations de la loi de nature, qui, appelant les hommes à vivre dans une société plus ou moins parfaite, veut, par voie de conséquence, tout ce qui est nécessaire à l'organisation de cette société.

En second lieu, il est certain que toutes les

'Décret du 6 novembre 1815.

choses qui sont en dehors de l'homme ont été destinées à son usage par le Créateur reste donc à savoir si, à l'égard de celles de ces choses qui sont susceptibles d'une appropriation particulière, le partage qui en a été fait entre les individus est un acte avoué par la raison comme conforme à la loi de notre nature.

La solution de cette question ne peut être mieux éclaircie qu'en la faisant ressortir successivement soit de la constitution propre de l'homme, soit de l'application du droit de propriété aux choses qui en sont l'objet.

24. Si nous envisageons d'abord la question par rapport à la constitution propre de l'homme, nous le voyons naître avec la convoitise du droit de propriété, puisque toujours son instinct naturel le porte à se préférer aux autres dans ses jouissances; mais, pour peu qu'il réfléchisse sur l'application de cette inclination de personnalité, il sent de suite que, même après les années de sa longue enfance, il est absolument incapable de se suffire à lui-même; que, du moment que la terre ne produit pas spontanément ce qui est nécessaire aux aliments de ses habitants, et du moment encore qu'ils sont dans la nécessité de se construire des abris et de se procurer des vêtements contre l'intempérie des saisons, chaque individu ayant l'usage de la raison, reste nécessairement convaincu que, pour pouvoir subsister, il lui faut le secours des autres hommes; qu'ainsi il se trouve invinciblement lié à la vie sociale avec ses semblables; que, cette vie sociale ne pouvant reposer que sur les services mutuels que tous les individus se rendent de l'un à l'autre, le sentiment de personnalité qui porte chacun d'eux à se préférer aux autres doit avoir ses bornes, parce que nul ne peut légitimement prétendre aux services des autres sans fournir réciproquement les siens: or les services mutuels qu'on se fournit, soit par des soins et travaux personnels, soit par des échanges de choses nécessaires aux besoins naturels ou aux mouvements de la société, supposent nécessairement la division des propriétés, attendu que personne ne peut toujours, en bonne équité, fournir cette espèce de mise sociale, que par la prestation d'une chose qui soit à lui.

25. Et d'ailleurs, comment la société, à laquelle l'auteur de la nature nous a destinés, et dans laquelle nous naissons, pourrait-elle subsister sans la division des propriétés? Tous les hommes pourraient-ils donc vivre en puisant leurs aliments dans la même gamelle? La confection de tous les meubles nécessaires

Voy. la loi du 16 septembre 1807.

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