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l'opinion, de lui donner le change sur leurs propres forfaits, en imputant des horreurs aux noirs.

Mais, quelles qu'aient été ces horreurs, les colons ne sont-ils pas encore heureux que les hommes de la race noire n'aient pas eu à leur tête, à cette époque, des chefs comme la France en eut depuis en 1793? On peut juger de ce que nous disons ici par le propos atroce que Billaud-Varennes adressa à Pétion, de qui il reçut des secours et l'hospitalité qu'il ne pouvait trouver nulle part, des blancs comme lui. Chassé, après la restauration des Bourbons en France, de Cayenne où il avait été déporté, poursuivi au Mexique et aux Etats-Unis, à cause de ses antécédens, trouvant enfin un asile sur le territoire de l'ancien Saint-Domingue, il dit à Pétion : « La plus grande >> faute que vous ayez commise dans le cours de la révo»lution de ce pays, c'est de n'avoir pas sacrifié tous les » colons jusqu'au dernier. En France, nous avons fait la » même faute, en ne faisant pas périr jusqu'au dernier des » Bourbons 1. »

Non! ainsi que Pétion, n'approuvons pas ces paroles sanguinaires de l'ancien membre du comité de salut public. Plaignons-nous des injustices, des excès, des crimes des colons; signalons-les à la postérité, afin qu'elle compare leur conduite à celle de leurs victimes privées de lumières, opprimées depuis des siècles sous un joug de fer, et cependant donnant à ces oppresseurs l'exemple de sentimens plus conformes aux principes du droit des gens, à la nature de l'homme. Laissons à ce

1 Billaud-Varennes est mort au Port-au-Prince, en 1819. 11 recevait une pension du gouvernement de la république d'Haïti, qui ne voyait en lui qu'un homme à qui il fallait un asile. Il était dans le dénûment. Billaud-Varennes ignorait que le chef de ce gouvernement avait sauvé plusieurs colons en 1804.

juge impartial le soin de prononcer avec équité dans le procès que nous présentons à son jugement.

Les prisonniers blancs rendus au Cap se présentèrent, le 24 décembre, à la barre de l'assemblée coloniale, avec quelques-uns des chefs de l'escorte qui les conduisit. Le président dit à ces derniers :

<< Continuez à donner des preuves de votre repentir, » et dites à ceux qui vous envoient, de les adresser à >> MM. les commissaires civils : ce n'est que par leur in>> tercession que l'assemblée peut s'expliquer sur votre

» sort. >>>

Au retour de l'escorte dans le camp des insurgés, Toussaint Louverture, dont la perspicacité avait découvert facilement l'insuffisance des pouvoirs des commissaires civils, en fit la déclaration à Jean François et à Biassou. Ce dernier devait se rendre à son tour à une nouvelle entrevue avec ces commissaires; il résolut dès lors de s'en abstenir, et il fit bien.

Dans le même temps, M. de Touzard, lieutenant-colonel au régiment du Cap, et les blancs de la Marmelade, attaquaient les noirs. C'était par eux que ces insurgés avaient fait passer leurs premières adresses à l'assemblée coloniale. Les blancs voulaient donc la continuation de la guerre !

Cependant, les commissaires civils, malgré l'orgueil et la jalousie que leur montrait l'assemblée coloniale, voulurent proclamer une amnistie générale pour obtenir la soumission des esclaves; mais l'assemblée s'y opposa. Quelque temps après, le ministre de la marine, éclairé par les avis de la commission civile, en envoya une au nom du roi; et cette fois, l'assemblée coloniale, n'osant

pas paraître s'y refuser, mit de telles restrictions à cet acte du souverain de la France, qu'il devint inefficace. Elle l'accompagna d'un arrêté par lequel elle déclara « que c'était elle qui pardonnait, au nom de leurs maîtres, >> aux esclaves révoltés; que leurs chefs seraient tenus, » pour obtenir leur pardon, de remettre à l'assemblée » coloniale tous les papiers qu'ils avaient en leur pos» session, et de lui donner tous les renseignemens pro» pres à éclaircir les causes de la révolte actuelle. »>

Convenons que si cette assemblée se montrait arrogante, intraitable, elle était du moins conséquente. Le décret du 24 septembre, prétendu constitutionnel, ne lui avait-il pas délégué l'initiative des mesures qu'elle voudrait prendre à l'égard des esclaves, sous la seule sanction du roi? Le roi avait donc empiété sur ses attributions, il avait violé son droit!

La logique entraînait les colons. Il était écrit dans le livre du Destin qu'ils devaient perdre Saint-Domingue, et ils le perdirent.

Presqu'en même temps que les négociations pour la paix s'ouvraient de la part des noirs, les hommes de couleur de l'Ouest, apprenant l'arrivée des commissaires civils auxquels ils portaient le même respect, en leur qualité de délégués de l'assemblée nationale et du roi, leur envoyèrent des députations pour leur soumettre les concordats qu'ils avaient passés avec les blancs et en obtenir leur approbation. Mais ces commissaires n'avaient pas le pouvoir qu'ils leur supposaient le décret du 24 septembre laissait encore toute latitude à cet égard, à l'assemblée coloniale. Les commissaires civils improuvèrent les concordats passés tant dans l'Ouest que dans

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le Sud ils ne pouvaient agir autrement. Et l'assemblée coloniale, pour mieux prouver aux hommes de couleur de toute la colonie que leur sort dépendait d'elle seule, fit arrêter ces députations qui furent ou emprisonnées ou mises à bord des navires de guerre qui étaient sur la rade du Cap.

C'est à peu près à cette époque qu'arrivèrent dans la colonie plusieurs anciens membres de l'assemblée de Saint-Marc dont les intrigues incessantes, à Paris, avaient obtenu de l'assemblée constituante le décret du 24 septembre. On conçoit combien ils durent exciter encore les membres de l'assemblée coloniale.

Tant de causes devaient concourir à rallumer la guerre, qu'elle se fit de nouveau avec plus de violence que jamais. Elle continua dans le Nord, dans l'Ouest, dans le Sud, et Saint-Domingue parut devoir s'abîmer sous le poids des crimes qui souillèrent de toutes parts ce malheureux pays.

CHAPITRE X.

Conduite des hommes de couleur de l'Ouest, après leur expulsion du Portan-Prince. Conduite de ceux du Sud. Evénemens dans les deux proSaint-Léger se transporte dans l'Ouest.

vinces.

se décide à retourner en France.

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La commission civile Départ de Mirbeck et de Saint-Léger.

- Roume prend la résolution de rester à Saint-Domingue. Ses motifs.

Après leur expulsion du Port-au-Prince, les hommes de couleur se réfugièrent à la Croix-des-Bouquets, où ils continuèrent la confédération qu'ils avaient formée avec les blancs de cette paroisse et des autres paroisses de la province de l'Ouest. Nous avons vu que Hanus de Jumécourt et Coustard n'étaient pas moins exposés qu'eux à la haine des factieux du Port-au-Prince. Ces contre-révolutionnaires, qui visaient toujours au rétablissement de l'ancien régime de la colonie, à moins de changer d'opinion, étaient forcés de les accueillir et de maintenir les principes de la confédération.

On a beaucoup accusé les contre-révolutionnaires, par rapport à leur projet de refouler à Saint-Domingue la révolution française; mais il nous semble que jusqu'alors ils avaient un certain mérite, comme citoyens français, en ce sens qu'ils voulaient néanmoins le maintien de l'autorité de la métropole dans la colonie,

T. I.

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