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nécessaire qu'il y ait, entre les deux législations, identité ni même analogie dans la peine dont elles le frappent: il suffit, en effet, que l'infraction, punie en France d'une peine correctionnelle, soit punie par la législation étrangère. Mais il importe peu que le fait soit puni d'une peine criminelle, correctionnelle ou de police la condition est remplie, quand le même fait est puni par la loi étrangère".

160. L'article 5, § 4, apporte, aux règles de l'action publique, en ce qui concerne les délits commis en pays étranger contre un particulier, français ou étranger, deux exceptions: 1° En règle générale, la victime d'un délit peut citer directement l'auteur de ce délit devant le tribunal correctionnel, qui se trouve ainsi saisi de l'action en répression et de l'action en réparation : il en est autrement en cas de délit commis en pays étranger : « La poursuite ne peut être intentée qu'à la requête du ministère public ». 2o Le droit même du ministère public est subordonné à une plainte préalable de la partie lésée ou à une dénonciation officielle du pays où le délit a été commis, tandis que, s'il s'agit d'un délit commis en France, le ministère public a le droit d'intenter l'action de son propre mouvement, sans avoir besoin d'être provoqué. La loi, en exigeant le concours, dans la poursuite des délits commis en pays étranger contre les particuliers, du ministère public et de la partie lésée1o, a voulu laisser au magistrat la mission d'apprécier la gravité du délit et les difficultés de la procédure, tout en lui enlevant le droit de poursuivre, quand l'ordre public français paraît désintéressé, en raison même du silence de la victime.

gouvernement, mais les délits de presse dirigés contre les gouvernements étrangers. Ce point fut affirmé dans la discussion (Discours de M. Mège, membre de la commission, séance du Corps législatif du 21 mai 1866).

9 Peu importe, du reste, que le fait ne puisse plus être puni à l'étranger par suite d'une amnistie, promulguée, avant tout jugement, par la souveraineté étrangère; ou d'une prescription, qui serait acquise aux termes de la loi étrangère; l'article 5 n'exige qu'une chose que le fait soit puni par la loi étrangère, et non qu'il puisse être encore puni à l'étranger.

10 Il n'est pas, du reste, nécessaire que la victime du délit se constitue partie civile il lui suffit de porter plainte. Le désistement de la plainte, postérieur à la poursuite, n'arrêterait pas l'action du ministère public.

161. Lorsqu'un crime ou un délit est commis en France, trois juridictions peuvent se trouver compétentes, ratione loci, pour le juger celle du lieu où habite l'inculpé, celle du lieu où il est arrêté, celle du lieu où l'infraction a été commise. Les juridictions régulièrement compétentes, en cas d'infractions. commises en pays étranger, sont nécessairement réduites à deux; mais, comme le tribunal du lieu où l'inculpé a été arrêté et celui du lieu où il réside peuvent être éloignés de la frontière du pays où le délit a été commis, et que cet éloignement est de nature à compliquer la procédure et à rendre difficile l'administration des preuves, la Cour de cassation peut, aux termes de l'article 6, sur la demande du ministère public ou des parties, renvoyer la connaissance de l'affaire devant une cour ou un tribunal plus voisin du lieu du crime ou du délit.

162. Délits spéciaux et contraventions commis à l'étranger. - L'article 2 de la loi du 27 juin 1866, dont le texte est en dehors du Code d'instruction criminelle, autorise, en ces termes, la poursuite, en France, de certains délits spéciaux et contraventions commis en pays étranger, qui ne seraient pas punissables aux termes de l'article 5, § 2: « Tout Français, qui s'est rendu coupable de délits et contraventions en matière forestière, rurale, de pêche, de douane ou de contributions indirectes, sur le territoire de l'un des États limitrophes, peut être poursuivi et jugé en France, d'après la loi française, si cet État autorise la poursuite de ses régnicoles pour les mêmes faits commis en France. La réciprocité sera légalement constatée par des conventions internationales ou par un décret pu

blié au Bulletin des lois ».

Cette disposition n'a qu'un but: permettre à la loi française de protéger les intérêts de police et les intérêts fiscaux d'un pays voisin, à la charge, pour ce pays, de protéger les nôtres". Le

11 Le Code pénal allemand pose une règle plus générale aux termes de l'article 6: « Les contraventions commises en pays étranger ne peuvent être punies que dans les cas où il existerait à cet égard des lois spéciales ou des traités ». Disposition analogue, dans le projet de Code pénal autrichien (art. 5). Comp. également Code pénal luxembourgeois (art. 3); loi belge du 17 avril 1878 (art. 9).

caractère anormal de cette disposition nous indique qu'il faut la restreindre dans les termes mêmes où le législateur l'édicte. a) Ce sont les seuls délits et contraventions énumérés dans le texte, dont le caractère est essentiellement limitatif, qui peuvent donner lieu à une poursuite en France. b) Ces infractions doivent avoir été commises dans un pays limitrophe de la France: la Suisse, l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne. Il est même évident que les mots « États limitrophes » dépassent le but de la loi, qui n'a entendu punir, en France, les infractions, énumérées dans le texte, que lorsqu'elles sont commises dans le rayon frontière des États limitrophes. Il ne viendrait, par exemple, à l'esprit de personne de permettre la poursuite, en France, d'un délit forestier commis dans les Apennins. c) La loi française exige enfin que l'État limitrophe punisse les mêmes infractions lorsqu'elles sont commises en France, et la réciprocité entre les deux nations doit être légalement et publiquement constatée 12.

163. Le Français, sauf quand il a commis un des crimes attentatoires à la sûreté de l'État français ou à son crédit, ne peut être poursuivi, pour crime ou délit perpétré à l'étranger, avant son retour en France'. En effet, c'est la présence du criminel dans le lieu où il s'est réfugié, qui, par l'inquiétude et l'alarme qu'elle cause, justifie la poursuite en France. Le retour de l'inculpé devient donc une condition essentielle de l'application de la loi pénale française aux crimes et délits commis à l'étranger, comme aux contraventions elles-mêmes. Il

12 La Belgique est, je crois, le seul pays, jusqu'ici, vis-à-vis duquel l'art. 2 de la loi de 1866 reçoive une application. V. le décret du 2 novembre 1877. Cfr. Journal criminel, 1880, no 10620. Il y avait bien une convention avec la Bavière du 21 avril 1869, mais elle est devenue caduque par suite du traité de Francfort. Il existe des conventions diplomatiques en ce qui concerne certains délits spéciaux, notamment les délits de chasse (L. 21 avr. 1886, D. 86.4.86).

13 La condition du retour dans la patrie n'est exigée ni par le Code pénal hongrois, ni par le Code pénal allemand, ni par le Code pénal hollandais, ni par le projet de Code pénal autrichien. Mais, au contraire, la loi belge du 17 avril 1878 (art. 12) ne permet de poursuivre le Belge que s'il se trouve en Belgique.

faut conclure de cette règle, qu'une poursuite, commencée par contumace ou par défaut, serait irrégulière. Mais il ne pourrait dépendre du prévenu d'enrayer la poursuite, régulièrement commencée, en quittant le pays, soit qu'en raison de la nature du délit il n'ait pas été arrêté préventivement, soit qu'après son arrestation, il soit parvenu à s'échapper. Au jour du jugement, la justice prononcera, même en l'absence du prévenu, et la sentence, rendue par contumace ou par défaut, sera tout aussi régulière que si le débat avait été contradictoire" (C. instr. cr., art. 5, § 5).

Les expressions, dont se sert la loi, semblent indiquer que la seule présence du malfaiteur sur le territoire français ne suffirait pas à autoriser des poursuites contre lui, si cette présence n'était pas volontaire, en un mot, si l'inculpé n'était pas de << retour » en France. Ainsi interprété, le texte conduit à une double conséquence : 1° l'extradition ne pourrait être demandée par le gouvernement français, du chef d'un de ses nationaux qui aurait commis à l'étranger un crime ou un délit punissable en France et qui se serait réfugié sur le territoire d'une puissance tierce; 2° la poursuite ne devrait pas être intentée, si le malfaiteur se trouvait, sur le territoire français, par un cas de force majeure, indépendant de sa volonté, par exemple, à la suite d'un naufrage, ou bien s'il avait été arrêté à l'étranger et conduit en France 15. Mais ces deux conséquences sont l'une et l'autre contestées.

14 Comp. dans ce sens : Paris, 17 juin 1870 (S. 71.2.66). Cet arrêt est, il est vrai, critiqué par MORIN (Journ. de droit criminel, art. 9037); Molinier, op. cit., p. 264. Cfr. GODDYN et MAHYELS, op. cit., p. 43.

15 CARNOT, t. I, p. 24; MANGIN, Action publique, t. I, p. 128; FAUSTIN HÉLIE, t. II, no 679. Voy. Cass., 5 février 1857 (S. 57.1.220); Aix, 28 avril 1868 (S. 68.2.302). La commission de la Chambre des députés, qui a été saisie du projet de loi tendant à réformer le Code d'instruction criminelle, déjà voté par le Sénat, met fin à la difficulté, en proposant l'adjonction du mot « volontaire », dans le § dernier de l'article 7. Même disposition dans l'article 6 du projet de la commission de révision du Code pénal.

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§ XXI. DES CONFLITS DE LÉGISLATION ET DE JURIDICTION EN MATIÈRE PÉNALE'

(C. instr. cr., art. 5, § 3; art. 7.)

164. Des conflits sont de nature à s'élever lorsque le même fait est punissable dans deux pays. 165. Des conflits de législation en matière pénale.

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166. Des conflits de juridiction. Comment la question devrait être résolue en législation. 167. Le Français ou l'étranger qui a commis une infraction hors du territoire ne peut être jugé en France s'il a été déjà jugé à l'étran- 168. Etendue de la règle. ger. 169. Un nouveau jugement peut intervenir si l'infraction a été commise en France. 170. Législation comparée.

164. Lorsqu'une infraction, punissable en France, a été commise en pays étranger, le coupable se trouve soumis à deux lois et justiciable de deux juridictions. S'il y a conflit entre ces deux législations et ces deux juridictions, comment devra-t-on le trancher? C'est à cette question que nous allons répondre, en examinant successivement les conflits de législation et les conflits de juridiction.

165. Des conflits de législation en matière pénale. Deux situations sont à prévoir.

Un étranger commet une infraction en France : il est justiciable des tribunaux français, qui lui appliqueront, non pas sa loi nationale, mais la loi française (C. civ., art. 3, § 1). C'est une des conséquences les moins contestées de la souveraineté territoriale.

Un Français ou un étranger commet une infraction en pays étranger. Est-il poursuivi et jugé, en France, d'après les dispositions des lois françaises ou d'après celles des lois étrangères? Trois hypothèses sont possibles. a) Le fait, commis hors du

§ XXI. 1 On lira avec intérêt et profit sur ce point la thèse remarquable d'un de mes élèves, M. PEIRON: Effets des jugements répressifs en droit international (Paris, 1886). Aj. A. LE POITTEVIN, Des crimes ou délits commis par des Français à l'étranger (Journ. de droit intern. privé, 1894, p. 207 à 236); MONTEAGE, De l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux jugements étrangers (id., 1885, p. 401); G. FUSINATO, Des délits commis à l'étranger (id., 1892, p. 56); G. DIENA, Des conflits de législation à l'égard des délits commis à l'étranger (id., 1893, p. 25).

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