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Ah! s'il était possible, ( et le fút-il jamais? )
Qu'une mère un instant suspendit ses bienfaits,
Un cri de son enfant, daus son ame attendrie,
Réveillerait bientôt la nature assoupie, etc.

Tel est en général le ton de versification de Mme de Salm, et l'on conviendra qu'il y aurait au moins une rigueur excessive à vouloir, sous ce prétexte, interdire la poésie à qui se montre en même tems si bon poëte et si bonne mère.

On trouve le même talent et la même verve dans l'Epître à un jeune auteur sur l'indépendance et les devoirs de l'homme de lettres, dans celle à un vieil auteur mécontent de se voir oublié, dans le Discours sur les dissentions des gens de lettres, terminé par un tableau terrible du méchant, et par une imprécation contre lui in extremis, qui est l'effet ou d'une inspiration bien véhémente, si elle s'adresse aux méchans en général, ou d'un ressentiment bien profond si cette imprécation avait, comme on le crut dans sa nouveauté, une application particulière, et si elle était lancée par la vengeance.

N'y a-t-il point quelque chose d'un peu paradoxal dans l'Epitre sur les inconvéniens du séjour de la campagne, adressée à une femme de trente ans qui veut renoncer à la ville ? C'est peut-être mon amour bien constant et bien vrai pour la campagne qui me le fait croire; mais il me semble que l'auteur s'est dissimulé à elle-même des raisons très-fortes qui combattent les siennes. Il est vrai qu'elle ne veut détromper des illusions du bonheur champêtre qu'une femme jeune encore, qui a fait jusqu'alors ses délices de la ville, que les vices, les travers et les plaisirs fatigans du monde en ont dégoûtée, qui a connu cependant les jouissances de l'esprit, celles des arts, et qui se promet à la campagne un bonheur où elles n'entreront plus pour rien. On sent qu'alors l'auteur se donne des avantages dont son talent sait profiter. Il est vrai de plus que ce n'est ni par dépit, ni par dégoût qu'il faut habiter la campagne, si l'on veut y être heureux, qu'il faut l'habiter parce qu'on l'aime, parce qu'on y éprouve un attrait toujours renaissant dont rien ne peut tenir lieu quand on le connait, ni donner l'idée quand on l'ignore.

C'est encore, mais tout le monde n'est pas assez heureux pour y pouvoir trouver cette jouissance, c'est parce qu'on y fait mieux, plus aisément et plus utilement le bien que par-tout ailleurs; parce que, avec une fortune qui à la ville irait à peine à la simple aisance, on est riche à la campagne et que l'on peut dire à peu de frais : je ne verrai pas autour de moi un malheureux. C'est sous ces différens points de vue et sous quelques autres qu'il y aurait peut-être une réponse à faire à cette épître, sans se priver pour cela d'y reconnaître le même talent de raisonner et d'écrire que dans les autres.

Mais le grand ouvrage de Mme la comtesse de Salm,' celui dont elle s'occupe depuis dix ans et dont elle ne nous donne encore, en trois Epîtres, que la première partie, ce sont ses Epitres à Sophie contre le mariage, ou plutôt contre les hommes. Elle a été inspirée dans ce projet par les satires de Juvénal et de Boileau contre les femmes, mais on la croit facilement quand elle promet de prendre une autre route et un ton tout différent. «Ses Epîtres, dit-elle, ne sont véritablement que des conseils prudens donnés à une jeune personne qui songe à se marier, et une suite de tableaux des malheurs qu'entraîne une union mal assortie, tableaux dont le but n'est pas de détourner d'un lien qui seul peut faire le bonheur de la vie, mais d'en faire sentir toute l'im, portance. » Avec tout cela, on trouvera peut-être que la mesure de ces conseils est un peu forte, que si après avoir tracé dans sa première Epitre le tableau général des dangers d'un mauvais choix; dans sa seconde, ce qui était facile, ceux d'une union formée avec un mari trop jeune, un mari de vingt ans ; et dans sa troisième, ce qui était encore moins difficile, les dangers ou plutôt les désagrémens d'un mari vieillard, elle détourne aussi sa Sophie de s'unir avec l'homme de trente ans, l'homme qui, parvenu à la force de l'âge, et à tout le développement de la raison, peut enfin, selon l'expression même de l'auteur, aimer celle qu'il a choisie, il resterà peu de latitude au choix que cette amie peut faire.

avec

C'est ce que nous verrons dans les Epîtres suivantes,

si jamais elles sont finies et publiées; mais que sait-on ? Mme de Salm se trouve peut-être maintenant sur un terrain peu favorable à l'entière exécution de son dessein; peut-être a-t-elle trouvé, sans l'avoir prévu, une réponse sans replique aux objections qu'elle méditait encore. Ce sera une perte pour la partie satirique de son talent; mais il faudra bien qu'elle s'en console et que nous nous en consolions aussi, si c'est au profit de son bonheur.

Je ne m'en dédirai point, l'aimable auteur est revenue trop souvent, dans ses Epîtres, au ton de la satire pour qu'on ne reconnaisse pas dans son talent une partie que l'on peut nommer satirique, et qui est peut-être plus dominante qu'elle ne le croit. Comment appeler autrement ce portrait qu'elle fait, non de l'homme de tel ou tel âge, de tel ou tel caractère, mais de l'homme en général? Les hommes sont moins bons que tu ne le supposes. Bizarre composé de divers élémens,

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Combattu par l'orgueil, la raison et les sens;
Faibles avec excès, forts avec arrogance,

Vaincus par leurs désirs, vainqueurs de leur prudence;
Affligés par nos pleurs et les faisant couler,
Abusant de leurs droits pour nous les rappeler;
Fatigués des plaisirs qu'ils obtiennent sans peines,
Vantant l'indépendance et recherchant les chaines;
Nous blâmant des défauts qui les charment en nous;
Esclaves ou tyrans, volages ou jaloux (2),
Et pour comble de maux, forts de notre faiblesse,
Toujours chers à nos cœurs qu'ils déchirent sans cesse.
Voilà quels sont pour nous ces êtrès dangereux

Pour qui seuls nous vivons et qui vivent pour eux.

On sent que le portrait entier du mari de vingt ans ne peut et ne doit être qu'une satire, et que ce serait une grande faute si celui du mari vieillard ne l'était pas ;

(2) Dans ce vers nous en sommes quittes à bon marché. L'auteur pouvait dire :

Esclaves et tyrans, volages et jaloux ; et je prends la liberté de lui proposer cette variante.

cette faute, il suffit de ces vingt vers pour prouver que l'auteur ne l'a point commise.

Mais qu'attendre du sort dans un fatal lien,
Misérable union en disputes féconde,

Où l'un naît à la vie et l'autre meurt au monde,
Où chaque pas qu'on fait éloigne d'un plaisir,
Où l'œil épouvanté ne voit pas d'avenir,
Où des fleurs du printems l'épouse couronnée
Des frimas de l'hiver se trouve environnée,
Où d'un tems qui n'est plus l'inflexible rigueur
Elève un demi-siècle entr'elle et le bonheur?
Qu'attendre d'un époux dans cet âge terrible
Où l'on se trouve heureux de n'être plus sensible,
Où la glace des sens pénétrant jusqu'au cœur,
D'un vieux garçon aimé fait un mari grondeur,
Qui blâmant par boutade, approuvant par caprice,
Croit que l'âge est un titre et la jeunesse un vice;
Qui de regrets amers sourdement consumé,
Est jaloux d'être craint plutôt que d'être aimé ;
Qui vient sans cesse à tout opposer une digue,
Que l'ennui satisfait, que la gaîté fatigue,

Qui croirait, sur le trône où le tems l'a porté,

Par un mot caressant blesser sa dignité? etc.

La plupart des sujets traités dans ces Epîtres, amenaient nécessairement des peintures pareilles, et donnaient peu de place à des couleurs plus douces. On voit cependant, par le second passage que j'ai cité, que la muse de Me de Salm est loin d'y être étrangère, et il ne serait pas difficile d'ajouter dans ce même genre d'autres citations. Plusieurs morceaux et mêmes plusieurs scènes de l'opéra de Sapho ont la teinte de sensibilité que le sujet comporte, et l'on en trouve aussi dans un assez grand nombre des Poésies diverses, L'auteur n'a pas admis dans ce recueil toutes celles que l'on connaît d'elle. Le choix qu'elle en a fait est le même qu'aurait fait la critique, si la critique eût été assez sévère pour vouloir y faire un choix.

Je demande à Mme la comtesse de Salm la permission de revenir, en finissant, sur le projet de ses Epîtres à Sophie, dont elle a suspendu l'exécution. J'oserai lui

́dire qu'elle à fait assez pour prouver qu'elle peut beaucoup davantage, mais que cet état de guerre ouverte avec tout notre sexe peut, en se prolongeant, lui donner' un air de Clorinde et de Marphise, deux guerrières assurément fort belles, mais auxquelles on préfère la tendre Herminie, et qu'elle peut faire de son beau talent des emplois qui la satisferont elle-même davantage.

D'ailleurs, je ne sais si je me trompe, et si je vois trop en beau, mais il me semble que cette guerre entre les deux sexes a fini par un accommodement, qu'il y a eu des transactions faites, que l'on est convenu de se passer réciproquement ce qui a besoin d'une mutuelle indulgence, et qu'enfin, sauf les cas particuliers, on s'entend maintenant assez bien.

Parmi les petites comédies de Dancourt il y en a une fort gaie et que l'on donnait souvent autrefois, parce que Préville, de joyeuse mémoire, y jouait à mourir de rire un rôle de cocher ivre. Ce cocher de fiacre a amené au Moulin de Javelle une belle dame et sa suivante, qu'il prend pour ce que vous entendez bien. Il veut être payé; on le rudoie. Il ne se fâche pas, mais il insiste; on le traite de misérable : écoutez donc, mes princesses, dit-il enfin, avec sa langue embarrassée : « Vous autres, et »> nous autres, nous ne saurions nous passer les uns >> des autres.»> GINGUENE.

VARIÉTÉS.

INSTITUT DE FRANCE.

BEAUX-ARTS. La séance publique que la classe des Beaux-Arts de l'Institut impérial de France a tenue, au mois d'octobre dernier, a offert, comme elle offre tous les ans, beaucoup d'intérêt. M. J. Le Breton, secrétaire perpétuel, a d'abord présenté le tableau des objets qui ont occupé pendant l'année la classe dont il est l'organe, tableau qui comprend aussi l'état des écoles de Paris et de Rome, c'est-à-dire des études des élèves de première ligne dans es deux grands gymnases des arts. Il a désigné les travaux

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